Je n’étais pas soulagée du tout, ni sereine, ni presque contente de connaître la vérité sur Joe. J’aurais presque préféré qu’il me laisse flotter sur mon nuage, qu’il me laisse dans ma petite bulle de conte de fées. Je pensais réellement avoir enfin trouvé un homme qui me ferait vivre cette histoire d’amour passionnée dont tout le monde parle. En moins d’une semaine, j’avais l’impression que je m’étais attachée au point de ne plus pouvoir passer une journée sans le voir. C’était plutôt intense et rapide. Et j’avais aimé ce sentiment, ces émotions si vives. Maintenant que j’étais retombée les pieds sur terre, j’avais envie de m’envoler de nouveau. Mais c’était impossible, tant que Joe ne m’assurerait pas qu’il n’allait plus jamais se mêler à des histoires croches du genre. Et comme il semblait mentir aussi bien qu’il respirait, je n’étais pas certaine de pouvoir lui faire confiance. Quand j’éclatai en sanglots, tout de suite le professeur se leva pour venir s’agenouiller à mes côtés et prendre mes mains dans les siennes. Mon cœur s’emballa de nouveau parce que vraiment, je ressentais pour lui quelque chose qui ressemblait énormément à de l’amour. C’était fort, ça me rendait impulsive. Il fallait que je me raisonne. Je l’écoutai. « Tu n’as pas répondu à ma question … Qu’est-ce que tu foutais exactement là-bas, avant que j’arrive ? C’est quoi cette grosse connerie dont tu parles ? » Parce que si sa grosse connerie avait un certain rapport avec ses activités criminelles d’autrefois, cela voulait dire qu’il m’avait menti quand je lui avais demandé s’il avait tout arrêté depuis son arrivée en Californie. Je voudrais tant qu’il me dise que ça n’avait aucun lien avec cela, malheureusement je doutais que mes vœux se réalisent. Après tout, un moment aussi louche ne pouvait que cacher un secret de la sorte. Je soupirai, essuyant mes larmes. « La vérité, Joe. Je pense que je la mérite. » Je gardai ses mains dans les miennes et caressai même l’intérieur de sa paume, sans m’en rendre compte. Malgré tout ce qu’il pouvait faire, j’étais attachée à lui.

Je voulais l’entendre. Je voulais tout entendre. Je ne voulais pas continuer à faire comme si rien ne s’était passé, comme si tout était comme avant. Rien ne serait comme avant tant qu’il ne me disait pas tout. Alors quand Joe me dit que j’avais besoin de prendre l’air et qu’on remettrait tout ça à plus tard, je me montrai réticente. Je me levai tout de même, car être à l’extérieur serait tout de même mieux que de rester ici, sachant très bien que je ne serais jamais prête à faire un choix. Rester ou partir. Quand le professeur me tira par la main, j’enlevai ma main de son emprise. J’étais très capable de le suivre sans qu’il ait besoin de garder un contact physique avec moi. Trente minutes plus tôt, j’aurais voulu que nos corps ne cessent jamais de se toucher, et maintenant je voulais m’en éloigner le plus possible. C’était décevant. La vie était si cruelle, si mauvaise joueuse. Une fois dehors, je me tournai vers Joe. « On ne remettra rien à plus tard pour le moment, Joe. » Je pris une grande inspiration. Je n’étais pas fan du drame, mais il avait besoin qu’on le secoue un peu. « Tu crois quoi, Joe ? Que je vais venir dehors avec toi, qu’on va se balader dans le parc et que je ne poserai plus de question ? Je sais que tu me caches quelque chose. Je veux la savoir, la vérité. C’est mieux que de me voiler les yeux, je pense. » Je regardai les passants qui tournaient la tête vers nous. Je marchai vers l’autre côté de la rue, afin que nous soyons un peu à l’écart. Je m’assis sur un banc et attendis que le professeur me rejoigne. J’attendis un moment, fixant le vide. « J’ai rarement ressenti un sentiment aussi fort envers quiconque. C’en est terrifiant. Et je ne peux pas tout simplement m’en aller sans me retourner et sans t’avoir entendu jusqu’au bout. Mais je ne peux pas non plus rester et continuer d’être avec toi sachant qu’il manque des morceaux à ton tableau. Alors … dis-moi, Joe. Dis-moi ce que je ne veux pas entendre. » Soufflais-je.

Quand il recommença à se confier à propos de sa vie, je me calmai. Au moins, il avait fait l’effort d’être honnête avec moi. Rien que cela m’apaisait et me donnait envie de lui offrir une seconde chance, malgré le mensonge de notre première rencontre. Ce qu’il avait fait par son passé ne me concernait pas, certes, mais ce qu’il faisait de son présent et ce qu’il ferait de son futur allait jouer sur ma vie également si nous en venions à être ensemble. Chose qui me semblait tout à fait possible jusqu’à ce qu’il m’annonce qu’à la fête foraine, il était là pour dealer de l’herbe. Et il acheva tout espoir quand il m’avoua aussi faire des courses de voiture. Mon souffle se coupa et je levai brusquement la tête vers lui. « Ça ne porte préjudice à personne ? Tu pourrais te tuer ! » Dis-je avec surprise, incompréhension et ébahissement. Je secouai la tête comme pour me raisonner, me réveiller. « Joe … La vie est tellement fragile, et je sais de quoi je parle crois-moi. Loin de moi le désir de te faire la morale mais … putain, je vais mourir dans dix ans, vingt ans maximum, et je peux rien faire contre ça, merde. Et toi tu joues avec ta vie comme si elle ne valait rien ? Risquer la prison, risquer un accident … » Je pleurais à chaudes larmes. Maintenant, ce qui me semblait le plus terrible, c’était le passe-temps favori de Joe plutôt que ses activités louches. Je me levai soudainement de mon banc, passant une main dans mes cheveux, cherchant mes mots. « On ne vit pas de la même façon, on ne vient pas du même monde, ça saute aux yeux. J’ai envie de vivre ma petite vie normale avant de mourir, pas de m’inquiéter d’où se trouve l’homme que j’aime tard le soir, s’il est sain et sauf là où il est, s’il ne risque rien. » Je sanglotais encore légèrement. Les larmes coulaient le long de mes yeux en des tracés noirs de maquillage. « Tu es une bonne personne, Joe. Je suis d’ailleurs en train de tomber amoureuse de toi, ce n’est pas pour rien … Mais ça n’ira nulle part, n’est-ce pas ? Alors aussi bien arrêter ça tout de suite avant qu’on en souffre trop … » Je soupirai, attrapai mon sac à main que j’avais laissé sur le banc de parc, et posai ma main sur l’avant-bras de Joe avant de la glisser jusqu’à sa main et de la laisser aller. Je reculai de quelques pas en le regardant, puis tournai les talons et continuai à marcher le long du trottoir. Je n’avais aucune idée d’où j’allais, et mes pieds me faisaient mal dans ces souliers. Au bout de quelques secondes, j’avais les talons-hauts dans les mains et je marchais pieds nus, pleurant à chaudes larmes. J’avais du mal à respirer. Ma tête tournait. Je toussais sans relâche. Je n’allais pas bien. Dans mon être tout entier.

Je toussotais encore comme la malade que j’étais quand Joe me rattrapa sans trop de mal. Cela devait bien faire une vingtaine de secondes que je m’étais arrêtée de marcher afin de reprendre mon souffle, en vain. Je levai les yeux vers lui, essayant de cacher mon petit malaise. Je replaçai mes cheveux vers l’arrière. Je souris faiblement quand le professeur insista sur le fait qu’il n’était pas prêt à m’oublier. Cela faisait du bien à entendre, malgré tout. J’hochai la tête à ses paroles. « Je pense à nous deux, là-dedans, tu sais. Tu aimes cette vie trépidante et dangereuse. Sache que ma vie à moi est composée de rendez-vous hebdomadaires à l’hôpital, de beaucoup de travail afin d’arriver à payer mes études, de la peur de crever à chaque fois que j’attrape un rhume, parce que j’ai la fibrose kystique, Joe, et qu’un rien peut m’achever, comme ça, sans prévenir. C’est pas toujours joyeux par chez nous, et ce n’est pas un long fleuve tranquille non, certainement pas, mais ce ne sont pas non plus des vagues de plaisir. » Lui avouais-je. Tant qu’à être dans la thématique de la vérité et de l’honnêteté, autant tout lui révéler sur ma condition physique. Je toussotai dans le creux de mon bras. Je n’avais pas pris mes médicaments aujourd’hui, ni fait mes exercices afin d’évacuer le mucus de mes poumons. Il était donc normal que je sois aussi mal en point durant cette soirée. « J’ai besoin de quelqu’un qui comprend tout ce qu’une relation avec moi implique. Ça prend beaucoup d’énergie … et d’espoir. » Avouais-je. Cela voulait dire des séances quotidiennes de drainage postural, m’accompagner à mes rendez-vous de temps à autre, être là pour moi lorsque je tombais malade et que j’étais clouée au lit, et prier avec moi pour qu’on me laisse encore un peu plus de temps. Je toussotai encore une fois. Ma respiration se faisait de plus en plus difficile, et cela s’entendait dans le sifflement provenant de ma gorge à chaque fois que j’inspirais. « Fais attention à toi, Joe. Et ne fais pas de connerie. J’ai assez de moi à garder en vie. » Déclarais-je en essuyant mes dernières larmes. Je le regardai avec un petit sourire aux lèvres.