Je rougis quand Joe me regarda d’un air visiblement impressionné. Je n’avais jamais considéré comme un exploit le fait de connaître quelques langues. J’aimais bien les autres cultures, les autres pays, alors à défaut de ne pas pouvoir voyager, j’en apprenais le plus possible à propos d’eux, y compris le dialecte ! Évidemment, l’espagnol avait été obligatoire à partir du lycée, mais pour le reste, cela avait été mon choix de me lancer dans cet apprentissage enrichissant. Même si cet atout ne me servait pas à grand-chose pour le moment, j’espérais pouvoir, dans quelques années, m’en servir au cours de nombreux voyages. Si seulement la vie m’en laissait le temps. Joe commença finalement à vider le sac rempli de petites boîtes de carton qui sentaient si bon. L’odeur eut comme effet de faire gargouiller mon ventre. J’avais énormément faim. J’espérais que Joe n’entendait pas cet orchestre provenant de mon corps. « On aura qu’à le parler que toi et moi … Ce sera … notre truc. » Dis-je avec un petit sourire. Si lui avait le droit de parler d’un futur commun, pourquoi ne pourrais-je pas moi aussi planifier un avenir à ses côtés ? Je nous imaginais, le professeur et moi, pratiquer le gaélique. Personne ne nous comprendrait. Ce serait notre langage secret. Je me doutais bien par contre que la charge de travail avant d’être capable de le parler allait être assez grande. Gigantesque, même. J’étais douée en langue, oui, mais pas surhumaine. Joe laissa les boîtes de nourriture asiatique ouvertes et me versa un second verre de cocktail, pour mon plus grand bonheur. « Bon appétit ! » Dis-je avant de prendre les baguettes et de manger avec agilité les nouilles qui se trouvaient dans la boîte juste en face de moi. Il y avait des crevettes, du porc, du poulet, un peu de tout ! C’était délicieux. « Oh … comme ça fait du bien de manger … » Je pouvais bien me montrer aussi gourmande, j’avais averti Joe un peu plus tôt de mes besoins concernant la nourriture ! J’avalai une gorgée du cocktail, toujours aussi goûteux. « Est-ce que tu donnes des cours demain ? » Je n’avais cours qu’en après-midi, ce qui nous laissait encore bien des heures devant nous. La nuit était jeune.

Je fus ravie de lire sur le visage de Joe qu'il était tout aussi enjoué à l'idée d'avoir ce langage que nous seuls comprendrions à San Francisco. Certes, il y avait sans doute d'autres irlandais qui avaient immigrés en Californie, mais je doutais fortement qu'ils se trouvent à côté de nous lorsque nous le parlerions. Les probabilités étaient plutôt minces, je dirais. J'espérais que Joe mettrait réellement du temps à m'apprendre ce magnifique langage oublié. Cela ajouterait une nouvelle langue à ma liste, en plus ! Bref, alors que je mangeais un peu de tout, piquant dans les mêmes boîtes que Joe, comme si nous étions si intimes, si proches, je lui demandai s'il avait cours demain. C'était devenu tellement naturel d'être avec lui. La conversation coulait, nous étions à l'aise. Nous avions l'air d'un vrai couple, et pourtant, le tout était encore loin d'être officialisé. Au moins, maintenant, j'étais à peu près certaine que cette histoire mènerait à quelque part. Je ne savais pas si c'était pour des semaines, des mois ou des années, mais je savais que Joe partageait cette envie de nous projeter dans le futur ensemble. Il me répondit qu'il n'avait aucune idée de s'il avait cours demain ou pas. Je rigolai. Pour un professeur, il n'était pas vraiment à son affaire ! J'avais vu des étudiants beaucoup plus sérieux que lui. Il jeta finalement un coup d'oeil à son agenda afin d'être en mesure de me répondre, et je fus aux anges de l'entendre me dire qu'il ne donnait pas de cours avant l'après-midi. « T'auras qu'à ne pas répondre, si jamais Berkeley appelle demain matin ... » Dis-je avec un petit sourire espiègle. Égoïste, dites-vous ? Pas tant que ça. L'université m'avait déjà volé mon prince charmant ce matin. Je pouvais bien me le garder rien que pour moi afin de faire la grasse matinée. Je pourrais lui faire un petit-déjeuner au lit, même ! Quoique ... à voir le contenu de son réfrigérateur, ce serait un défi. « Pas avant demain après-midi non plus. Ça tombe bien. » Déclarais-je, visiblement contente de la tournure des événements. Joe me rendait heureuse. Il fallait que je cesse de me poser trop de questions, de toujours mettre ma maladie en priorité. Joe avait raison. Il valait mieux vivre une vie courte mais épanouie qu'une vie longue et banale. « T'as de quoi m'impressionner avec un autre cocktail ? » Je venais de terminer le mien. Avec la demi bouteille de vin du restaurant en plus des deux cocktails que je venais de boire, il commençait à faire chaud. Je ne me gênais plus pour en demander plus.  

 Depuis que j'avais rencontré Joe, je ne cessais de penser à lui dans tous les sens possibles. Quand je m'endormais la nuit, c'était sur des images de lui et moi enlacés, et un désir ardent s'éveillait en moi. Une soif que lui seul pouvait apaiser. Nous passions une belle soirée malgré tout, malgré ce qui s'était passé en bas dans la rue et au restaurant, alors je ne pouvais que m'imaginer qu'elle ne cesserait de s'améliorer. Quoi de mieux que de la terminer dans ses bras, au chaud sous ses couvertures ? Je ne pouvais songer à meilleur tableau. Ce n'était pas mon genre d'aller aussi vite et de brûler des étapes, mais entre le professeur et moi, tout était si naturel. Nous ne nous connaissions que depuis une semaine et pourtant, j'avais l'impression que nous étions si à l'aise déjà. Je n'aurais aucune gêne à me dévoiler au grand complet devant lui. Je n'avais rien à lui cacher. Aucune raison de mentir. J'étais toute à lui. C'était fou, complètement cinglé et irrationnel, mais en même temps ça me semblait si bon, si bien. Je le regardais avec un sourire rêveur alors qu'il changeait de musique et revint concocter son cocktail sur les notes de Whole Lotta Love. Il me tendit ce mélange assez surprenant. Je goûtai et fit une moue surprise. « Mmh ! C'est un goût particulier, mais ce n'est pas forcément négatif ! Tu devrais donner un nom à ce nouveau drink. » Dis-je avec un grand sourire. Comme ça, personne d'autre ne pourrait l'inventer après lui, et j'aurai été la première à goûter ce cocktail des plus spéciaux. Je déposai finalement mes baguettes chinoises sur le comptoir. « Bon. Assez mangé. » Je bus quelques autres gorgées de la boisson. Je ne savais pas quelle était la prochaine étape. Continuer à discuter en buvant ? L'embrasser toute la soirée sur le divan à côté ? Passer tout de suite au lit ? Aller terminer nos verres dans un bain d'eau brûlante ? Tout me semblait si attirant, et pourtant je ne savais que faire. J'étais figée devant lui.

 Je n'avais pas non plus une âme de poète. Rien que de trouver le titre d'un de mes travaux à l'université me prenait une heure à décider, alors que ça pouvait être le nom le plus simple et de base qui soit. Alors trouver le nom d'un cocktail ? Ce ne serait pas ce soir que je réinventerais les menus d'alcool, surtout pas avec la quantité que j'avais absorbée. Je rigolai quand j'entendis Joe prononcer des mots incompréhensibles en mandarin. Je n'avais effectivement rien compris de ce qu'il avait dit, mais j'acquiesçai tout de même, me disant que c'était si ridicule que ça pourrait bien être le nom de ce cocktail farfelu. Puis le professeur me fit rougir en proposant de l'appeler Astor, cherchant un adjectif pouvant aller avec. « Tant que c'est pas un Bloody Astor ... ça fait un peu ... comme si j'avais mes règles en permanence, quoi. C'est dégueu. » Séduction 101 par Astor-Laine Birnbaum ? Parler de ses menstruations lors des premiers rendez-vous avec l'homme qui vous étourdie par sa beauté. Il sera conquis pour toujours ! Me rendant compte de la bêtise que je venais de dire, je plaquai ma main sur mon front et fermai les yeux, honteuse. « Bon et si on changeait de sujet pour que je cesse de dire des conneries ? » Demandez et vous recevrez. Joe s'approcha de moi après avoir contourné le bar. Il s'assit sur le tabouret à côté de moi mes nos cuisses se collaient l'une à l'autre. Le jeune homme posa ses mains dans mon dos et commença à m'embrasser. Je lui rendis son baiser, le prolongeant le plus longtemps possible. Je commençais à avoir chaud, mon bas-ventre criait mon envie de lui arracher ses vêtements et de me blottir contre sa peau. Ma tête s'embrouillait. Mes mains glissaient dans ses cheveux, sur sa nuque, sur son torse, le long de ses jambes puis sur ses fesses. Next thing I know, il était debout et moi toujours assise, les jambes de chaque côté de son corps.