Nous n’avions pas la même prison, tout simplement. Ma prison était ma maladie, la sienne était sa perte de liberté. Sachant exactement comment on se sentait lorsqu’on était esclave de quelque chose, je ne voulais certainement pas donner ce sentiment à Joe. Je ne voulais pas qu’il soit mon esclave, et de toute façon je savais qu’il ne se laisserait jamais l’être, même si c’était par amour. Joe était un homme libre, je ne pouvais le changer, ni l’enchaîner à mes convictions et à mes valeurs. Nous allions donc devoir tous les deux travailler sur nous-mêmes afin de s’habituer à l’autre. De jongler entre nos deux modes de vie si différents. Ce serait difficile, et je perdais déjà toute mon énergie rien qu’à y penser, mais j’avais envie d’essayer. Je voulais tellement que ça fonctionne, car même si c’était fou et complètement insensé, je tenais réellement à ma relation avec Joe. Je ne voulais pas tout foutre en l’air. Alors j’allais tenter de me montrer moins restrictive. Il fallait que je le laisse vivre. Je souris à sa remarque sur le café. « Je ne suis pas une grande buveuse de café, je dois l’admettre … alors j’vois pas trop la différence. » Avouais-je avec une petite moue désolée et honteuse. Je ne m’y connaissais pas en grand-chose en particulier, je savais un peu tout et rien. J’étais cultivée mais pas au point de parler longuement de chaque sujet. Joe m’impressionnait de ce côté-là. Il semblait tout savoir, tout connaître, de fond en comble. Tout en avalant quelques gorgées de café, je regardai le professeur de dos, en train de réchauffer le petit-déjeuner. Il me surprit dans ma contemplation pour me demander si j’avais déménagé. « Euh … je suis en processus, oui … Pacey, c’est mon colocataire, il me l’a proposé y’a quelques temps et j’ai accepté durant la semaine … je n’arrive plus à tout payer … ma résidence, les études, les traitements alors … il m’aide énormément de ce côté-là. » J’avais décidé d’en mettre plus que nécessaire dans mes détails afin que Joe comprenne toute l’ampleur de la situation, et à quel point il fallait être là pour me soutenir. J’étais peut-être égoïste envers Joe, mais je voulais davantage le rendre jaloux de l’aide que m’apportait Pacey, peut-être parce qu’au fond je voulais que lui aussi s’investisse un peu plus.

Je rigolai en rougissant légèrement quand Joe me dit qu’après avoir goûté à un café italien, je ne voudrais plus jamais remettre les pieds dans un Starbucks. Il ne parlait pas directement de moi, plutôt des gens en général, mais en réalité je me sentais extrêmement visée. Après tout, je ne buvais effectivement que du café provenant de cette chaîne. Pourtant, il était vrai que c’était bien trop dispendieux pour la qualité bonne, mais sans plus. Je ne faisais que suivre la masse, ne m’y connaissant pas assez en café pour connaître les bonnes adresses. « Tu as tellement à m’apprendre. » Dis-je en souriant. Et c’était une bonne chose. Les relations servent aussi à cela ; à nous faire grandir, évoluer, apprendre. Être avec Joe allait ouvrir mes horizons, me cultiver encore plus, et cela valait cher à mes yeux. Voilà une chose à laquelle m’accrocher. Le sujet dévia finalement sur mon déménagement à venir dans un avenir très rapproché. Joe me questionna un peu plus sur mon colocataire, sans toutefois laisser paraître une quelconque jalousie que j’aurais plutôt aimé voir dans ses yeux. « Oui, c’est vraiment un type bien. Et non, il n’est pas étudiant il est … il est un peu plus vieux que moi. En fait, il était professeur avant, mais il a changé de carrière … » Lui avouais-je. Je ne rentrai pas plus dans les détails, ne les connaissant même pas moi-même de toute façon. Pacey était en train de se chercher un nouvel emploi dans un nouveau domaine et c’était sa décision. Je ne voulais pas nécessairement tout savoir. S’il ne me le disait pas, c’était parce qu’il ne le voulait pas, ou que ce n’était pas important. Bref, concernant Joe, je ne doutais pas que celui-ci ne m’aurait pas non plus laissée tomber si j’avais été dans le besoin. Toutefois, pour le moment, je préférais de loin aller vivre chez Pacey plutôt que de crécher ici. Vue notre relation naissante, il aurait été trop rapide de venir habiter ici le temps de me remettre sur pieds financièrement. Je ne voulais pas brûler d’étapes dans cette toute nouvelle histoire. Je me levai de mon banc, mon estomac criant famine, et je pris une cuillère sur le comptoir afin de goûter aux haricots à même le plat de cuisson. « Mmm, c’est chaud et délicieux ! » Lançais-je avec satisfaction pour faire comprendre à Joe que c’était assez réchauffé, et surtout que je mourrais de faim, finalement.