Sceptique dans le fond, bien que je n'en montre rien, je ne connais pas encore suffisamment mon frère pour le croire sur parole. La confiance est quelque chose que je ne donne pas si facilement, bien que Kenzo ait réussi à me faire plier en un rien de temps. Cependant, une petite part de moi reste encore méfiante, malgré le fait que je me sois déjà attaché à ce dernier, chose qui n'était jamais arrivée ne serrait-ce qu'une seule fois au cours des dernières années. Et si je n'accorde pas si rapidement ma confiance, c'est parce que j'ai fait l'erreur de m'incliner une seule fois devant un être qui m'a piétiné le cœur en une fraction de seconde à peine et c'est pour cette raison que je garde une grande part de mystère. Les personnes autour de moi m'ont si souvent déçu que je préfère arborer un air des plus détachés qui agit telle une carapace. Mais que voulez-vous, avec le jumeau, c'est tout de suite différent. En même temps, le fait de l'avoir observé de loin pendant des jours et des jours a dû en grande partie jouer. Sans quoi, je serais bien plus distant et froid envers ce dernier. « Je sais que j'ai une certaine réputation, mais j'ai des limites. » Si j'ai déjà brisé quelques couples suite à mes prouesses auprès de la gent féminine, je ne conçois aucunement draguer ouvertement la compagne de Kenzo, si ce n'est que pour voir de la fumée sortir des oreilles de mon jumeau. N'oublions pas que je ne suis rien de plus qu'un homme au potentiel physique fort développé qui ne cherche qu'à se pavaner avec la dignité d'un paon afin d'épater la galerie autant qu'il le peut. Un simple rire s'échappe de ma gorge en entendant la réplique de mon vantard de frère. Mieux vaut répondre aux imbéciles par le silence. Bon d'accord, Kenzo n'est pas vraiment un imbécile en soit, c'est surtout sa réflexion qui l'est, puisque de nous deux, je suis de loin le plus beau. Je passe également sous silence la remarque qui suit, mais à quelques pas du berceau, je fais bien moins le fier. Notamment lorsque Kenzo ne trouve rien de mieux à faire que d'agripper mon poignet et de me rapprocher du berceau afin que je jette un coup d'œil au petit être qui se trouve profondément endormi à l'intérieur. Ce n'est pas que je ne trouve pas les enfants mignons, n'importe qui pourrait craquer devant leurs attendrissantes bouilles, c'est juste que je pense également à toute la misère qu'ils peuvent provoquer. « Mouais... quand il dort, un tout petit peu quand même. » Pour ne pas dire, mignon quand il dort, parce que réveillé, ça ne doit plus être la même chose. Et vas-y que je hurle, et vas-y que je pleure, et vas-y que je t'ai fait un beau popo. Ah, enfin, je peux m'éloigner de cette chose avant qu'elle ne se réveille. Et j'espère qu'il restera endormi jusqu'à mon départ de la villa. Une fois dans la cuisine, j'écoute avec grande attention mon frère. Même si je ne montre aucune affection vis-à-vis du bébé endormi, je m'intéresse beaucoup à la vie que mène mon jumeau. J'émets un faible grognement en guise de réponse lorsqu'il me balance à la figure que je suis tonton. Qu'on soit d'accord, être oncle ne veut pas dire jouer à la nounou pour laisser les parents dîner aux chandelles ou passer une nuit à batifoler dans leur lit, parce que je le sens venir de loin, le frangin. J'ai un boulot, des études, un corps à entretenir et des filles à draguer, autrement dit, une vie déjà bien remplie. Mais l'argument du bébé qui aide à allumer les femmes me fait un tant soit peu réfléchir. Si en temps normal, je fais déjà fureur auprès de la population féminine, j'ai du mal à imaginer en quoi un bébé m'aiderait à attirer un peu plus la marchandise. Malgré tout, je ne peux m'empêcher de m'imaginer le petit Charlie installé sur un porte-bébé contre mon torse, tandis que j'arpente les rues avec une paire de lunettes de soleil posée sur le nez, une horde de filles courant derrière moi. « Il faudra que je teste cette théorie. Un jour ou l'autre, hein, pas dans les heures à venir. Je préfère pour une fois profiter d'une journée au calme sans provoquer la moindre émeute en ville. » Pour ne pas dire rester avec toi et gonfler un peu plus ton égo déjà bien flatté. « Tonton Rayan... ça me vieillit quand même un peu beaucoup. J'espère que les rides ne vont pas déjà arriver, si je pouvais éviter un lifting pour réparer ça, ça m'arrangerait pas mal. » Je m'empare de la cuillère que Kenzo a déposé devant moi, la levant devant mon visage pour contempler mon reflet dans cette dernière. Au passage, je tâte les moindres traits de ma figure de séducteur et une fois rassuré, je plante le couvert dans la mousse pour en avaler une première bougée. Orgasme culinaire en prévision. « C'est Meleya qui a fait ça ? Parce que c'est vachement bon, alors j'pense venir de temps à autre pour pouvoir savourer sa cuisine. » Je sais cuisiner, d'accord ? C'est juste qu'au final, ce n'est pas toujours bon, mais étant seul, je mange malgré tout. Pas de gaspillage, au pire, je suis malade. « Il faudra que je la remercie comme il se doit pour cette mousse. », ne pus-je m'empêcher de rajouter tout en m'armant d'un sourire un tantinet provocateur. Promis, je ne lui mettrais pas la main aux fesses. Ou tout du moins, j'essaierais. Mais je ferais un gros effort pour lui faire un bisou et un gros câlin. Ah Rayan, si tu savais qui l'a vraiment préparé... Sans plus attendre, ma cuillère plonge à nouveau dans le récipient, et je mange, toujours et encore. En moins de quinze secondes, la coupe est presque vide, ne reste qu'un petit fond de son contenu. Désolé, mais c'est la meilleure chose que j'ai pu manger au cours des derniers jours, entre ma cuisine et les sandwichs desséchés. Morfale que je suis. « Mais William, il a fini par accepter Charlie ? Ou il prend la nouvelle vraiment mal ? », demandais-je finalement à mon jumeau tout en essayant de manger moins rapidement le peu de mousse qu'il me reste. Même s'il en a un récipient entier, je ne vais pas jouer au grand gourmand.

Si certains peuvent être relativement surpris de voir le président des Deltas heureux en couple et papa poule comme personne, cela ne m'a jamais gêné outre mesure. Si cette confrérie est faite de briseurs de cœurs en pagaille, je n'en reste pas moins un séducteur dans l'âme, un fêtard avéré ainsi qu'un personnage populaire sur le campus. Bref, même si je suis fidèle, Rayan a pu voir que je ne m'interdisais pas d'aller vendre du rêve à ces dames tôt en sachant que je resterai de l'ordre du fantasme. Et parfois, c'est même pire pour elles. Après avoir attiré le frangin près du berceau, j'avais admiré mon petit bonhomme dormir d'un sommeil profond avec un sourire béat sur les lèvres. Kenzo Junior, comme j'aime à l'appeler. Nous ne partageons peut-être aucun lien de sang, mais pour avoir suivi la grossesse du début jusqu'à aujourd'hui, c'est comme s'il était mon fils biologique, même si je mettrai un point d'honneur à ne pas ternir la mémoire de son vrai père. Sur ce point, je sais que Rayan saura de quoi je veux parler, lui qui a grandi en partie dans le mensonge. Le peu d'entrain dont mon frère fait preuve me fait froncer les sourcils avant que je ne comprenne l'évidence. "Ah... En fait, t'es jaloux parce qu'un bébé, ça attire toujours plus l'attention qu'un homme." J'affiche un sourire fier comme Sherlock devant une enquête résolue. Quoi ? C'est pas pour ça qu'il est si peu séduit par ce petit bout d'amour ? Nous marchons vers la cuisine, en direction d'une mousse au chocolat pour laquelle on sacrifierait probablement père et mère. Dire que Noah est un cordon bleu serait un euphémisme. Je pouffe de rire en l'écoutant parler de l'effet qu'il peut provoquer sur les masses populaires, imaginant sans mal un troupeau de jeunes femmes se jeter sur le chemin foulé par Rayan comme s'il était le Christ en personne. Jusque là, c'est normal, j'ai envie de dire. D'ailleurs, je ne le contredis même pas, considérant qu'il a entièrement raison. "La sécurité avant tout." relevai-je même avec un air sérieux. Deux bêtes d'égocentrisme et de narcissisme dans la même pièce, ça va faire des ravages pour ceux qui nous rencontreront ensemble. "Mais non, ça ne te vieillit pas ! Ça fait classe, je trouve. Allez, si t'es gentil, je te paie ta première injection de botox quand une ride viendra se loger sur ta peau de bébé." Je tape dans sa cuillère avec la mienne par taquinerie puis je plonge dans la mousse. Oui, il a une peau de bébé. Ce n'est pas une moquerie puisqu'à l'œil, je peux constater que nous avons la même. Pratiquement aucun pore, pas une imperfection, très bien hydratée, un bronzage naturel dû aux régions dans lesquelles nous avons grandi. En un mot : flawless. Je le regarde manger avec l'appétit d'un homme qui n'aurait pas mangé depuis quinze jours, les yeux légèrement écarquillés. J'ai à peine le temps de prendre deux cuillères qu'il a quasiment fini sa coupe. "Euh..." J'avoue, je n'ai pas tout écouté, trop absorbé par la vision de ce ventre sur pattes. Un ventre au physique irréprochable, d'accord. Une raison de plus de se faire haïr de la gent masculine : nous pouvons manger n'importe quoi sans prendre un millième de graisse. Par contre, je plisse légèrement les yeux quand il parle de remercier Meleya avec application. Careful, brother. Tu vois  j'en suis même rendu à plisser les yeux, chose que je ne fais que rarement car ça creuse les rides. "En fait, c'est Noah qui l'a faite. C'est bon, hein ? J'ai réussi à piquer le saladier avant que sa compagne ne tombe dessus... Quand j'te disais qu'il cuisinait bien." Je suis parfaitement inconscient du fait que savoir que cette mousse est l'œuvre de son oncle pourrait rebuter Rayan, j'en rajoute même une couche. "Il t'aura avec ton estomac, frangin." Inutile de lutter. Rien qu'à l'odeur, tes défenses vont s'écrouler les unes après les autres, et la première bouchée sera le coup de grâce. Noah, c'est un guerrier des fourneaux, un samouraï de la pâtisserie et un ninja culinaire. Je fais glisser le saladier sur le comptoir en direction de Rayan pour qu'il tape dedans direct à la petite cuillère, puis je continue à manger la mousse qui reste dans ma coupe. "Non, je ne pense pas qu'il l'ait mal pris. Il me surveille pour être sûr que je ne prenne pas ça à la légère. J'suis convaincu que dès que j'ai le dos tourné, il joue au papy gâteau, mais j'ai encore jamais réussi à le prendre sur le fait." Je l'aurais, un jour, je l'aurais. "Mais tu sais, j'pense que c'est aussi un moyen pour lui d'essayer de se rattraper de ce qu'il n'a pas pu vivre avec nous. Enfin, je le vois comme ça, personnellement." William est encore mal à l'aise avec la paternité, alors il doit apprendre à son rythme, sans qu'on le pousse à la roue sous peine de le voir se renfrogner et se refermer sur lui-même. J'en ai une réplique parfaite juste en face de moi. Rayan est aussi borné, il ne faut apparemment pas le brusquer. "Dis, on n'a rien de prévu pour le premier de l'an. Ça te dirait qu'on le passe ensemble ? Je te présenterai à Meleya." J'ai dis que je voulais le faire participer activement à ma vie, faire en sorte qu'il se sente vite intégré. Je l'aurais bien présenté à la famille Clives, mais c'est sans doute prématuré.[/b]

« Pff. » C'est la seule et unique chose qui s'échappe d'entre mes lèvres. Moi, jaloux d'un morveux en couche culotte ? Absolument pas. Ce n'est certainement pas un bébé qui me volera mon potentiel de séduction, et même, une centaine de rejetons coincés avec moi dans la même pièce ne pourraient égaler ma beauté. Rien ni personne ne peut l'égaler, à dire vrai, et je ne dis cela simplement pour me vanter. Je ne fais qu'appuyer la vérité. Par contre, pour ma peau de bébé, il tape dans le mille. C'est ça de prendre soin de moi deux à trois heures par jour. Ça demande beaucoup de temps, mais au final, je ferais de l'ombre à n'importe quelle célébrité se trouvant dans le top des hommes les plus sexys. George Clooney et compagnie, vous pouvez vous rhabiller. Un coup d'œil à Kenzo me permet de voir la tête qu'il affiche. Qu'on soit d'accord, ma mère adoptive m'a très bien élevée, mais il m'arrive de me jeter sur la nourriture comme un malpropre, puis nous sommes juste entre nous, alors où est le mal-être ? Mon sourire de tombeur en puissance retombe bien rapidement et mon regard tombe sur ma coupe. Noah. Oui, ça m'a refroidi. Hors de question que je câline mon oncle pour le remercier pour cette mousse. Les câlins, c'est le mal, quoi que tout dépend de la personne, mais en public, c'est défendu. « Il commence déjà, alors que j'le connais même pas. » Oui tonton, sers-moi de la mousse quand je viendrais un jour te rendre visite et je te dirais pleins de choses. Mais pas trop non plus. Oui, parler à mon oncle à la limite, je m'en moque. Aux dernières nouvelles, je n'ai aucun problème envers ce dernier. Il est écrivain, il cuisine bien, puis je vais l'emmener se décoincer devant des danseuses presque nues. S'il n'est pas parfait, celui-là. Attends... Il a une compagne ? Il n'est pas censé être timide tout plein ? La pauvre, elle ne doit pas trop s'amuser et doit peser une tonne vu le cordon-bleu que mon oncle semble être. Que je suis vilain. Je termine le peu de mousse qu'il me reste dans ma coupe, autant dire, une cuillère bien bondée, et attaque directement l'énorme bol que mon frère vient de pousser en ma direction. Plus doucement cette fois-ci. Une bouchée par minute environ, bien que si je m'écoutais, j'aurais déjà descendu tout le récipient. Sans oublier de lécher les parois du bol pour ne pas en manquer une miette, mais passons. Attentivement, j'écoute Kenzo me parler de la réaction de notre paternel vis-à-vis de Charlie. Mouais, se rattraper, tu parles. S'il veut se rattraper avec moi, qu'il trouve autre chose, je ne vais pas lui offrir de petits-enfants avant... en fait, hors de question que j'ai un jour un môme. La catastrophe. Moi-même, je ne suis encore qu'un enfant malgré la maturité dont je fais preuve, le fait de ne pas vraiment avoir eu de père ayant joué un grand rôle. Bien trop tôt, j'ai dû m'afférer à la tâche d'être l'homme de la maison, grandissant bien trop vite, mais gardant cette âme d'enfant qui n'est pas arrivé au terme de sa jeunesse. « Le père qui ne souhaite pas voir son fils faire les mêmes erreurs que lui, rien de plus. » Bon, finalement, le Rayan, ça le gave pas mal de parler de son père. Du coup, me voilà en train de parler un peu bête dans son dos, mais peu importe, les murs n'ont pas d'oreilles dans cette maison. Je gâche que Kenzo sera assez intelligent pour ne pas jeter en plein visage de son paternel qu'il a un second fils qui galope dans la nature et qui ne l'apprécie pas vraiment. Après un instant de réflexion, un sourire s'étire sur mes lèvres. « Oui, pourquoi pas, t'as pas d'autre choix que de me la présenter, de toute manière. » Sourire ravageur sur les lèvres qui n'annonce en principal rien de bon, mais pour l'occasion, il s'agit seulement d'embêter mon jumeau. C'est marrant de le voir froncer les sourcils et de se creuser des rides. Allez, on fait le concours de celui qui aura besoin de quelques injections de botox en premier ! Quoi qu'il en soit, me voilà embarquer pour une soirée en compagnie des tourtereaux, il faudra que je remette à plus tard mes opérations du nouvel an consistant à me rendre en terre hostile afin d'y chasser la gazelle. Finalement, cette journée, elle est parfaite, et j'espère qu'elle ne s'achèvera pas de si tôt.