Aucun regret. Patience. Cailin avait attendu le dernier moment pour partir. D’une part, son arrivée avait été tardive dans l’espoir de croiser le moins de monde possible. D’autre part, son départ avait été solitaire dans le but de ne croiser personne. Malheureusement, Rayan avait traîné plus que de raison. Le voir ne faisait pas particulièrement plaisir à Cailin qui avait gardé une image particulièrement négative du garçon. Loin de chercher les ennuis, la blonde préférait se montrer polie dans l’espoir de ne pas avoir à éterniser la discussion.

Fidèle à son habitude, Rayan se pavanait. Cailin avait tenté de se montrer agréable avec lui mais, Rayan semblait préférer rejeter tout le monde qui tentait de s’approcher de trop près.  Navrée pour lui, certes, mais pas assez idiote pour chercher à aller plus loin, Cailin restait de marbre. Après tout, il avait choisi. Le visage impassible, la douce et maternelle Cailin avait laissé place à une statue de glace. Seul le claquement des talons de la belle répondirent aux paroles de Rayan. Regarde comment on descend des escaliers,  petit ! La démarche chaloupe, sensuelle et sûre.  La Bêta accrochait les regards pour mieux les manier à sa façon. Impossible de chasser l’envie qu’imposait son décolleté ou les formes généreuses mises en valeur avec soin. La contemplation n’était que de courte durée. Hors de question de laisser penser que ce corps pourrait s’acquérir, même pour une simple contemplation. Aussi, un pas effaçait un autre pour ne laisser qu’un effluve poivré sur son chemin. Cette emprunte fugace témoignait du caractère piquant de la bête.

Le bras droit continuait à parler et se pavaner alors que Cailin arborait ce visage impassible sans prendre la peine de caler son pas sur celui du garçon ou de l’attendre au moment où il s’empara de ses bagages. Nul besoin de perdre son temps à lui répondre ou le regarder. Dans quelques instants, il ne serait qu’un souvenir lointain. Actuellement, il avait des airs de mouche à merde, ou à emmerdes, qui lui tournait autour. Certes, l’ensemble demeurait comme un bruit de fond quand soudain, il se plaça devant elle. Quelque chose à lui dire ?  Les yeux de Cailin se plantèrent sur son regard avant d’analyser l’expression de Rayan. Ils n’avaient rien à se dire, pas plus que Cailin ne se sentait à sa place dans cette confrérie. Si elle restait, c’était avec le vague espoir de parvenir à éloigner Aiden de Valentina. L’examen placide et froid qu’elle effectua des expressions de Rayan ne lui permit pas de comprendre ce qui l’attendait.

Aucune réponse de la part de la jeune femme ne fut offerte à Rayan. L’envie de lui coller son poing par la figure aurait probablement pu lui passer par la tête, à une époque bien différente. Aujourd’hui, Cailin ne se voyait plus autrement qu’un objet que tous s’amusaient à toucher sans le moindre respect. Tout ça n’avait pas la moindre valeur.

« Ca y est ? T’as fini ? » Interrogea la blonde d’un ton toujours aussi glacial.

En d’autres termes : Tu peux te casser ? Ce qu’il avait voulu dans cet échange lui parut flou avant qu’il ne fasse signe à la blonde de se retourner. Un pervers ? Si son cœur s’emballa rapidement, Cailin ne laissa rien paraître. Jouer des apparences devenait une habitude pour elle. Pourtant, la panique se saisissait de ses tripes. Aiden, fut sa première pensée. Il allait utiliser ce baiser contre elle. Probablement avait-il tout filmé. Peut être menacerait il de le divulguer à Valentina ou William ! Aussi, Cailin pivota vers la direction indiquée pour faire un joli « fuck » à Aiden… Pas de chance, ce n’était pas lui. Oh merde !

« William ? » Souffla Cailin en redressant un sourcil sceptique, seul signe d’émotion sur son visage.

Pas de surprise, pas d'horreur et pas de désir de fuir de la part de la jeune femme. Inutile, elle ferait face. De toute façon, que pourrait-il arriver? Après tout, c’était  ça le but de Rayan ? Mais pourquoi ? Cailin ne s’affichait plus avec le professeur depuis des mois. Ils s’étaient engueulés devant une foule d’étudiants. Rayan ne pouvait pas penser un instant que ça pouvait la toucher, elle.

« Le seul pervers ici, c’est toi. » Annonça Cailin, toujours de glace.

Est-ce que William avait tout vu ? Elle le saurait assez rapidement.

Dans son esprit,  Cailin fomentait déjà divers plans pour faire payer à Rayan son affront. L’idée de s’exposer face à William ne la contrariait en rien, même dans cette étrange position. En revanche, elle ne supportait pas le principe de répliquer continuellement sur la même personne, ici, elle. La colère sourde et froide qui sommeillait en elle s’étirait lentement de son sommeil. Tapie dans la grotte de glace dans laquelle, elle avait été longuement emprisonnée, la bête de haine et de rage ouvrait lentement son regard endiablé. Ici Sixteen Pott, voleuse expérimentée et garce de première, celle qui dealait les diverses drogues qu’elle volait dans la réserve du directeur de sa maison de redressement ou pire encore. Celle qui à présent s’imaginait déjà cambrioler l’appartement de Rayan et  donner ses plus précieuses affaires à une association pour les nécessiteux.

« Oui, décider de quelque chose est trop complexe pour un esprit faible comme le tien. » Reprit Cailin dans son manteau d’impassibilité.

William approchait à présent au point d’arriver trop proche de la bêta. Le bal ? Ne pas retourner  faire tourner les têtes et la sienne ? Sans intérêt, William ne l’accompagnerait pas et c’était peut être mieux ainsi. Cailin n’appréciait plus autant la foule et les paillettes.

« Laisse les grands parler entre eux, Kid. » Souffla la voix éternellement impassible de Cailin alors qu’elle effectuait un pas vers William pour mieux laisser Rayan derrière elle.  « Si vous vous roulez une pelle, je ne réponds plus de rien. » Releva Cailin toujours prisonnière de son manteau de glace. Serait-se un brin d’humour qu’elle tentait de faire là ? Peut être. Un vague geste de la main avait chassé la mouche à emmerde qu’était Rayan. Le voir parler de sentiments ou de relations interdites aurait pu la faire rire. Les menaces du Delta ne semblèrent pas ébranler Cailin. La blonde avait assez d’informations sur lui pour le réduire en bouillie s’il osait parler de quoique se soit d’ennuyeux à son sujet. Quant à Rayan et William, Cailin ne comprenait pas réellement leur lien jusqu’à la soudaine mise en lumière que lui offrit le visage du professeur. Merde ! ! Cette affaire de jumeau n’avait rien à voir avec un lien de fraternité entre Delta. C’était le gamin de William, enfin, un de plus. Clives Junior et Senior réunis !

Inutile qu’ils se battent. Cailin ne supporterait pas l’idée et n’hésiterait pas à se mettre entre les deux pour obtenir le cesser le feu. Rayan ne savait plus où donner de la tête pour obtenir de l’attention. Un point de vue que Cailin continuait à suivre. Le remettre à sa place serait probablement nécessaire mais en attendant, elle désirait avant toute chose obtenir une réponse. Oui, après avoir obtenue l’information nécessaire, elle les laisserait se cogner dessus, une forme primaire de discussion musclée entre deux hommes, en somme !

« Qui ? Qui lui a parlé de nous ? » Demanda Cailin dont le regard venait de s’allumer d’une étincelle de folie. Regarde bien, là, au fond de ses yeux. C’était ici qu’elle enfermait les flammes de l’enfer qui la consumaient un peu plus chaque jour. Au fur et à mesure que le temps passe, la femme que connaissait William et dont il était tombé amoureux tombait en cendre. Mais l’âme s’apparentait à un phénix. Elle renaissait de ses cendres, différentes et hideuses. Bientôt, William ne pourrait plus la reconnaître ou la contenir.

La preuve, son esprit s’échauffait en échafaudant divers plans pour retrouver la langue bien pendue qui avait osé trop parler. Cet être devait forcement être malveillant !

Tout ça devenait complétement fou. Les deux s’envoyaient des pics abjects au visage. Un père ne devrait jamais avoir à blesser son enfant ainsi et un enfant n’avait pas à devoir blesser son père pour que ce dernier daigne poser les yeux sur lui. Pourquoi est-ce que William lui avait parlé de Kenzo et jamais de Rayan ? Qu’est-ce que le blondinet avait pu faire pour qu’il soit rejeté ainsi ? Pourquoi devait-elle se retrouver au milieu de ce bordel ? Sa vie serait tellement plus simple sans William dans son existence, sans Rayan pour venir la provoquer à longueur de journée.

« Valentina deviendrait presque une affaire familiale, touchant… »

Lequel devait-elle frapper en premier ? Rayan ? William ? Les deux ? Sincèrement, si la tête de l’un pouvait heurter celle de l’autre, la journaliste serait satisfaite. Les yeux roulèrent dans les orbites avant de venir sur Rayan avec condescendance. Elle aurait bien voulu le traiter comme un égal mais il ne cessait d’agir comme un gamin.

«C’est vraiment navrant… pour vous deux.» Trancha Cailin d’une voix froide. « T’es censé être l’adulte William. Tout ce que tu fais c’est entrer dans sa provocation. Mais merde, c’est ton fils. C’est toi qui es censé faire attention à lui et non à lui de tout faire pour que tu fasses attention à lui. »

Les doigts agrippèrent le haut de William pour tirer fermement et être certaine qu’il écoute jusqu’au bout.

«  Te prendre pour un con ? Mais William, réveilles-toi. Je suis mère de deux enfants et tout ce que je vois de toi c’est que tu as abandonné tes deux fils et que l’un d’eux est obligé de me rouler une pelle pour obtenir ton attention ! Tu ne m’as même pas dit que tu avais un deuxième fils. »

Les mots pouvaient paraître cruels dans la bouche Cailin, particulièrement lorsqu’une voix placide et glaciale les formulait. Mais le but n’était que de pousser Rayan à bout, que de faire comprendre à William la position délicate dans laquelle son fils se trouvait et que spirale infernale les absorbait. Et qui se trouvait dans cet enfer malgré elle ? Cailin !  

« Quoi ? T’es pas fier d’avoir un gamin qui a su entrer dans une prestigieuse université, intégrer une bonne confrérie, devenir beau et être assez doué pour travailler en tant qu’assistant dans une grande entreprise ? Il s’est démerdé sans toi tout ce temps, tu pourrais l’encourager et le soutenir maintenant. Si t’es pas foutu d’être un père, tu n’as aucune place dans ma vie. Et vu que l’abandon semble être ta marque de fabrique, tu pouvais effectivement te passer de parler moi à ton frére. Je ne laisserai jamais mes petits, moi. »

Léa et Simon. William avait probablement déjà lu une montagne d’informations sur les deux petits. La plus jeune, une petite fille avait trois ans et le deuxième en avait six. Deux têtes blondes que Cailin avait adoptées lors de sa mise en couple avec son ex fiancé. William ne le savait peut être pas encore, la nouvelle datant de la veille, mais Cailin avait réussi à négocier un droit de visite pour la santé psychologique des enfants. La fuite de leur père biologique avait été assez perturbante. Inutile de les forcer à couper le cordon avec la femme qui les avait élevés. Aussi, Cailin avait le droit de les garder un week end sur deux et durant la moitié des vacances scolaires.

« D’ailleurs, vous savez quoi ? Oubliez moi tous les deux. »

Cailin finissait par tourner les talons. Ras le bol de leurs bêtises puériles. Sa vie comptait assez d’ennuis pour ne pas avoir besoin de Rayan et William en prime.