Dire que Kirby avait perdu son petit ami et qu’Aengus cherchait depuis plusieurs semaines un moyen efficace de tuer le sien. Le but restait de faire  passer  l’ensemble pour  un accident. Enfin, tout ça était une autre histoire. Bref, maintenant seule, il ne restait plus qu’à attendre en silence. Après tout, Kirby savait qu’elle était là et qu’il suffisait de sonner en cas de besoin. Pas nécessaire de lui redire continuellement ou de la materner sous peine de l’étouffer. Aengus se connaissait et l’excès lui prenait rapidement. Quant à Benedikt, il s’en sortait bien. De toute façon, elle avait apprit à faire une chose peu permise au commun des mortels, se changer en porte manteau à volonté  ou devenir un caméléon papier peint! Posant son regard sur la pièce, elle chercha une occupation pour au moins avoir l’air normal, chose plutôt délicate. Dénichant un homme, Nick Clark, esseulé dans son petit univers, elle avait trouvé son modèle. Personne ne lui disait rien, à lui. Aussi, elle adopta la même expression faciale, la posture et tourna son regard vers le vide, dehors. Un frisson remonta dans son dos en remarquant le lac. Que Nick ne se méprenne pas. Aengus ne cherchait pas à le singer mais belle et bien à trouver une posture adéquate avant de se promener négligemment sans bien prêter attention aux autres, jusqu’à entendre une voix qui ne la laissa pas de marbre. Aussitôt, le regard tomba sur ce dos large… James. Pourquoi ne l’avait elle pas vu en arrivant ? Parce qu’il était trop loin, à ce moment là, qu’elle n’avait eut d’yeux que pour Kirby et Benedikt et qu’elle aurait aussitôt pris la fuite autrement.  Un coup d’œil vers James et le personnel des pompes funèbre lui rappela un vieux film : Joyeuses funérailles. Évidemment, Aengus s’était gavée de film sur le sujet pour en savoir un maximum avant de poser les pieds ici. Mais voilà, James avait l’air contrarié et aussitôt, Aengus l’était aussi, du moins, un peu plus. Avançant doucement vers lui, elle passa timidement une main sur son dos avant de se raviser. Ne pas casser le personnage et puis de toute façon, elle ne savait pas réellement comment utiliser sa main là, dans ce geste ci. Que se passait-il ? Avait il trop mal pour laisser le cercueil ouvert ? Avaient-ils mal préparé Noah ?  Après tout, elle ne savait pas quel lien, James entretenait avec Noah. Peut être qu’il avait, lui aussi, perdu un ami. Si dans les moments difficiles, il était impossible de compter sur elle, alors elle ne serait jamais la personne qu’elle voulait devenir. Redressant un regard sur James, elle souffla doucement presque tendre, comme pour lui rappeler d’éviter de monter le ton alors que les invités n’étaient pas loin.

« Ca va aller. Qu'est ce qui t’arrive? Tu veux un coup de main? »

Si elle savait à quel point elle était à côté de la plaque … Il ne fallait pas rêver non plus. Aengus n'allait pas devenir soudainement utile et logique ! Et voilà, elle tendait la main vers le cercueil, sans l'ouvrir, juste pour aider James à passer cette épreuve. Enfin, presque.

Cailin de son côté remarqua parfaitement bien le départ de Kenzo. Pauvre petit. Cette façon de le voir n’avait rien de péjoratif. Le côté poule de Cailin remontait souvent  à la surface dans ce genre de situation. Mais rassurez-vous. Elle ne pondrait aucun œuf dans le salon. Finalement, William vînt à elle, arrachant un maigre sourire à Cailin, juste de quoi le réconforter un peu. Même si le contact de William sur son front lui fit plaisir, elle détestait se montrer en public. Pudique, elle préférait largement garder une apparence plus froide. Néanmoins, elle ne pouvait pas refuser à William un peu de chaleur humaine et elle consenti à lui en offrir avec bon cœur. Sa main serra donc doucement le bras du professeur dans un geste réconfortant. Il était évident que William devait aller voir son fils. Hochant la tête pour seul commentaire, elle le regarda s’éloigner avant de se diriger vers Nick et Lucy. Elle aurait bien voulu présenter ses condoléances à la famille mais tout le monde se dispersa brusquement. Une autre fois. Se plaçant à côté du criminologue, elle salua autant Nick que sa compagne. De toute façon, que dire ? Il avait déjà tout deviné non ? Le regard se redressa vers lui pour surveiller un instant son expression. Finalement, elle passa doucement une main sur son bras entre la caresse et un moyen de le ramener sur terre, il semblait si loin.

« On devrait y aller. » Fini t elle par lui dire simplement. « Ils sont là. »

Nul besoin de préciser qui non ? C’était l’avantage de partager une conversation avec Nick ou sa compagne. Ils étaient vif d’esprit. Enfin, si le deuil avait ramolli le cerveau, sa femme pouvait sauver la mise;  

Allez James, tais-toi, tu ne veux pas offenser ta sœur aujourd'hui, parce que tu sais très bien que je peux démarrer au quart de tour à l'heure qu'il est. Mieux vaut donc ne pas contredire. Je ne suis aucunement à l'aise face à tant de monde et il m'est impossible de réagir autrement que tel un robot, les larmes en plus, certes. Bien qu'extérieurement, je donne plus ou moins l'impression de tenir le coup, il n'en est rien intérieurement où je me sens vidé de tout, notamment de mon âme qui semble s'être envolée en même temps que mon compagnon. J'ai appris à me préserver au fil des années, notamment depuis que ma mère est morte peu avant mes vingt ans, depuis que j'ai été livrée à moi-même alors que mon père ne cessait de me rabaisser sous l'emprise de l'alcool, depuis que j'avais eu cet accident de voiture l'année précédente et qui avait engendré une perte partielle de ma mémoire. Et plus récemment, il y avait eu ces nombreuses disputes avec mon paternel, lequel aurait très bien pu m'envoyer à l'hôpital à plusieurs reprises, Aengus qui avait coupé les ponts au cours de l'hiver dernier, la découverte de mon demi-frère né d'une relation adultère entre ma mère et le père de ce dernier, le fait d'avoir été agressé à plusieurs reprises, ou encore Roxane qui se retrouvait à présent en fauteuil roulant après avoir été passé à tabac. Alors oui, après tant d'histoires, la douleur était restée encrée en moi et faisait dorénavant partie de mon quotidien. Je ne dis pas être indifférente face à la mort de Noah, bien au contraire, mon état s'était déjà bien dégradé lorsque j'ai vu qu'il n'allait pas bien, mais face à tant de visages, familiers pour la plupart d'entre eux, il m'est plus facile de garder mes émotions enfouies au plus profond de moi. Et je pense aussi, que la présence de James à mes côtés est le meilleur soutien que je puisse avoir, parce que pour une fois, c'est un membre de ma famille qui m'aide à surmonter une telle épreuve, ce que je n'aurais jamais espéré. J'ai légèrement détourné la tête lorsque la mère de Noah s'est agrippée au bras de son époux tout en versant quelques larmes, me retenant de craquer face à eux, peine perdue, car une larme a roulé le long de ma joue et ce n'est qu'une question de secondes avant que d'autres ne suivent. Mon cœur s'est arrêté de battre l'espace d'un court instant, lorsque la matriarche Clives a demandé à me parler. Au passage, j'ai senti que mon visage a perdu une nouvelle teinte. Ah non, non, c'est une très mauvaise idée que de me laisser en tête à tête avec l'Anglaise, je n'ai pas la force de subir un nouvel affront venant de cette dernière. « Ça va aller. », murmurais-je finalement à mon aîné dont la main refusait de me lâcher. Non, ça ne va pas aller, il doit le savoir, il doit le sentir et c'est à contre cœur, et après avoir adressé un dernier regard à James, que je prends la direction de la cuisine, vide de toute présence, talonnée par Catherine Clives. J'ai cette lourde impression de marcher droit vers la mort, à croire que ce n'est qu'une question de secondes avant qu'elle ne vienne à m'exécuter. En plus dans la cuisine, endroit où j'ai retrouvé un Noah inconscient une semaine plus tôt, c'est un comble. J'ai pris soin de fermer la porte derrière nous, alors que je sais que le corps de mon défunt petit-ami vient d'arriver. N'y pense pas Kirby. Mais encore une fois, il est trop tard et j'essuie maladroitement quelques larmes d'un revers de main. « Vous... vous voulez boire quelque chose ? », questionnais-je alors l'Anglaise tout en attrapant deux verres dans un placard, venant à les remplir d'eau avant d'en tendre un à la matriarche Clives. Il m'est impossible de fixer cette grande dame, qui malgré nos différents, m'inspire le plus grand respect. Et que pouvais-je lui dire ? Je lui avais déjà présenté mes condoléances lorsque je lui annoncé l'horrible nouvelle qu'était la mort de son fils et la réconforter était au-dessus de mes forces à l'heure présente.