J’étais assis là, sur le rebord de ce sommet d’immeuble. De là où je me trouvais, je pouvais admirer la vie de San Francisco la nuit. Bien qu’il soit minuit, la plupart des gens avait encore la lumière allumée chez eux, comme s’ils étaient tous en vacances. Une ville qui ne dort jamais. J’entendais des gens discuter, des moteurs de voiture, des personnes qui klaxonnaient, de la musique. Et je me laissais bercer par cela. Finalement je m’allongeais sur le dos, une main derrière la tête, l’autre portant la cigarette à mes lèvres et je fermais les yeux. Mon esprit embrumé par l’alcool me donnait l’impression de tourner sur moi-même. C’est dans ces moments là où je me dis que ceux qui ont compris que la Terre tournait s’étaient tout simplement bien bourrés la gueule car je faisais la même constatation depuis mes douze ou treize ans : en somme depuis que j’avais bu mon premier verre de whisky.

A chaque fois que mon téléphone sonnait pour me déclarer un appel, j’espérais secrètement que le prénom de ma femme s’affiche sur l’écran. Mais ce n’était jamais le cas. Cheyenne était donc la seule qui, maintenant, arrivait à m’accorder un peu d’attention. Et quand la sonnerie cessait, je m’en voulais de l’inquiéter et me jurais que je lui enverrais bientôt un message pour lui dire que tout va bien. Et puis ça me passait au-dessus du crâne. Nouvel appel. Je soupirais en levant mon téléphone jusqu’à mes yeux. J’arrivais enfin à distinguer ‘‘Maria’’ sur l’écran et mon sang ne fit qu’un tour, au même titre que mon cœur se mit à battre de façon plus intense. J’hésitais un instant avant d’enfin répondre. « Ouais ? »

Deux possibilités s’offraient à moi. La première, Maria avait enfin envie de discuter de toute cette histoire, m’avouer tout ce qu’elle avait sur le cœur. Peut-être voudrait-elle me donner rendez-vous chez elle pour que l’on ait enfin une véritable conversation. La seconde, Cheyenne l’avait appelé en catastrophe. Pour vivre avec moi ces temps-ci, elle savait à quel point cette histoire avec ma femme ruinait mon moral. Je ne trouvais plus le sommeil, ni même l’appétit. Mes sentiments quotidiens s’accentuaient plus que d’ordinaire, et pour un hyperactif, l’ordinaire était déjà d’une certaine intensité comparé à une personne dite ‘‘normale’’. Et si elle tâchait de me laisser le moins seul possible, c’est uniquement parce qu’elle craignait que je puisse faire une connerie. Et j’avais beau la rassurer, je ne me sentais pas très convaincant non plus. Je suis quelqu’un d’impulsif et je savais à quel point mes prises de décisions peuvent être influencées par tel ou tel ressenti. Les évènements de ma vie m’avaient déjà donné de sombres pensées après tout. Quoi qu’il en soit, j’espérais que Maria m’appelait pour la première raison. Et c’est pour en avoir le cœur net que je lui demandais, sans même lui laisser l’occasion de me parler de suite : « Ca y est, t’es enfin décidée à discuter ? »

Please, don't be in love with someone else. Please, don't have somebody waiting on you.

Alors que les sonneries s’effectuaient les unes après les autres, Maria entendit finalement une voix à l’autre bout. Un « Ouais ? » qui n’annonçait rien de bon. Elle le connaissait suffisamment pour savoir que quelque chose dans son comportement clochait. Il avait certainement bu, bien qu’elle n’ait aucun moyen de le prouver. De toute façon, elle ne voulait pas le prouver. S’il était effectivement ivre, elle en serait fortement malheureuse pour Edward, mais comprendrait aussi la raison de cette soudaine envie de boisson. « Ça y est, t’es enfin décidée à discuter ? » La brunette commença de suite à blêmir. Non, elle ne lui avait pas appelé pour qu’ils discutent de leur rupture. Elle voulait simplement s’assurer qu’il allait bien. « Est-ce que…Edward, où es-tu ? » Elle venait d’entendre des bruits de circulation au loin, ainsi Edward n’était pas proche de la route à proprement parlé, mais où pouvait-il bien être alors ? Tout cela l’inquiétait, bien qu’elle tâche de ne pas le montrer.

Flash-back :

« D’accord, mais mise à part ça ? Vous parliez de risques…tout le monde sait que l’anesthésie est un risque en soi, alors de quoi parlez-vous ? » Cette fichue discussion avec le chirurgien commençait sérieusement à l’inquiéter, bien qu’elle fasse en sorte de ne pas se laisser emporter par ses émotions en ce moment. Elle devait rester forte, et aller au bout de cette histoire. « Disons qu’en cas d’insuffisance respiratoire liée à la myasthénie, celle-ci peut être transitoirement aggravée et donc nécessiter une hospitalisation en réanimation. » Cette fois-ci, elle avait tout entendu. Maintenant, elle savait.

Alors qu’il ne répondait pas à sa question, la brunette la réitéra. « Edward, où es-tu ? » Cette fois-ci, qu’importe qu’il comprenne qu’elle s’inquiétait ou non, il fallait absolument qu’elle sache où se trouvait son mari, juste pour être certaine qu’il ne craignait rien présentement. « Cheyenne m’a téléphoné. » Avoua-t-elle. Il fallait qu’il sache, et maintenant c’était chose faite. Edward savait donc que l’appel n’était pas une idée de la brunette, à la base. Mais si Maria avait décidé de téléphoner, c’est également parce qu’elle l’avait bien voulu. Et maintenant, elle commençait à sérieusement se questionner sur l’état d’Edward.

« Est-ce que… Edward, où es-tu ? » Ce n’était pas vraiment la question que j’attendais. Et dans la mesure où elle ne m’avait pas appelé plus tôt, j’imaginais bien facilement que j’avais affaire à la seconde possibilité : Cheyenne était inquiète et avait demandé à Maria de me joindre. Après tout, elle savait très bien que dans mon état, je serais plus apte à répondre à ma femme, uniquement parce que j’espère, au plus profond de moi, que les choses viendront à s’arranger. Un espoir qui s’éteignait peu à peu dans la mesure où Maria ne ressentait apparemment que peu d’amour pour moi. Donc même si nous venions à se réconcilier, ses sentiments resteraient les mêmes. Et pour ça, il n’y avait aucune solution. Par conséquent, à partir de là, elle ne reviendrait pas et je n’étais pas sûr d’avoir envie de vivre avec une personne qui s’en fou.

Comme je ne répondais pas, trop perdu dans mes pensées, Maria décida de reprendre la parole. « Edward, où es-tu ? » Elle ne souhaitait donc toujours pas parler. Je soupirais, exaspéré de me trouver dans cette impasse qui me tapait sur le système et qui m’était clairement insupportable. Demeurer entre le doute et le manque d’espoir, je ne le souhaitais à personne. Je ne pouvais dire s’il existait une autre raison pour laquelle la brunette avait décidé de me quitter, même si j’avais bel et bien l’impression que c’était le cas. Que cherchait-elle ? A me protéger de quelque chose ? Car si c’était le cas, si elle pouvait être dans ma tête, elle comprendrait qu’elle me fait forcément beaucoup plus de mal que de bien. D’ailleurs, je n’imaginais pas qu’elle puisse à ce point me blesser.

« Cheyenne m’a téléphoné. » Voilà donc la confirmation. Je restais un instant silencieux, désolé pour Maria qu’elle soit ainsi, qu’elle ne soit pas capable de faire face aux problèmes. Et pour ma part j’en avais assez de me battre seul dans mon coin, sans qu’il n’y ait aucun changement. C’est pourquoi je lui répondais brièvement, avec une grande déception. « Mauvaise réponse. T’as qu’à dire à Cheyenne que je ne me suis pas encore tué, si ça peut la rassurer. » Non, ce n’était définitivement pas ce que j’aurais voulu que Maria me dise. Et c’est sur ces mots que je lui raccrochais au nez, désemparé. S’il suffisait d’appuyer sur un bouton pour effacer tous les sentiments que l’on peut avoir pour une personne, je le ferais sans l’ombre d’une hésitation, car présentement, j’avais trop mal. Je venais de perdre la seule personne qui me donnait l’impression de me sentir un minimum chez moi sur ce continent que je détestais. Et jamais je ne me suis senti aussi seul avec cette impression d’être le pire des loosers. Et je savais que ses sentiments pour elle ne s’effaceront jamais.

Please, don't be in love with someone else. Please, don't have somebody waiting on you.

Lorsqu’Edward raccrocha, Maria ferma les yeux. Une larme perla au coin de son œil droit, une fichue larme qu’elle essaya de refouler, mais sans succès, évidemment. Il la haïssait présentement, exactement ce qu’elle avait souhaité d’ailleurs, qu’il la haïsse, qu’il ne la veuille plus dans sa vie, qu’il la pense profondément mauvaise pour ne rien regretter plus tard.

Flash-back :

« Dites-moi la vérité, Maria, cela vous soulagera de la partager avec quelqu’un. » Détournant la tête, la brunette déglutit difficilement. Non, même sa thérapeute dirait que c’était idiot d’agir comme elle l’avait fait. Oh, elle le savait, et pourtant elle était persuadée que c’était ce qu’elle avait de mieux à faire pour protéger son homme d’une décision qui n’était finalement même pas la leur. « Il fallait que je l’éloigne de moi le plus vite possible. » La réaction de la thérapeute fut sans appel. « Mais pourquoi ?! »

Elle ne croyait plus aux contes de fées dorénavant. Elle allait mourir. Du moins, c’est ce que son chirurgien lui avait plus ou moins fait comprendre quelques jours auparavant. Et Maria refusait très clairement et simplement de faire encore plus de mal au seul homme qu’elle n’ait jamais aimé depuis la mort de Matthew. Edward était le seul homme qui lui avait redonné le sentiment d’être une femme, une vraie, une qui valait le coup. Et puis elle avait appris qu’elle était atteinte d’une maladie pulmonaire appelée myasthénie. Et là, tout avait été encore plus vite. Elle avait progressivement senti que son corps la lâchait, qu’Edward s’en inquiétait de plus en plus, qu’il en souffrait. Les enfants, heureusement trop jeunes pour comprendre, n’étaient finalement que les spectateurs d’une pièce de théâtre trop complexe pour eux.

Bien consciente qu’elle serait seule dans cette fameuse chambre d’hôpital avant l’opération, seule à attendre le verdict qu’on lui réservait finalement, Maria avait déjà rédigé une lettre adressée à celui qui restait malgré tout son mari, et dans laquelle elle exprimait son choix de non-acharnement thérapeutique si elle tombait – comme le chirurgien le lui avait dit – dans le coma. Le risque était immense, elle le savait, Edward l’apprendrait au dernier moment. C’était ce qu’il y avait de mieux. Il se prendrait une énorme claque, mais elle serait rapide, alors que si elle lui avait dit toute la vérité, il se serait rongé les sangs et il en aurait pâti sévèrement. Maria refusait d’être celle qui causerait le malheur à long terme d’Edward. Oh elle ne se voyait pas en héros, bien au contraire, mais la brunette après y avoir longuement réfléchit pensait que c’était finalement la meilleure solution qu’elle ait pu trouver pour sauver un minimum Edward et leurs deux enfants. Égoïstement, elle allait le laisser avec deux enfants à charge en plus et une simple lettre dans laquelle elle disait toute la vérité. Mais déjà, Maria avait tout organisé. Si elle venait à mourir, Edward aurait en main cette fameuse lettre dans laquelle elle lui avouait tout. Ses sentiments, son amour en vérité inconditionnelle pour lui, ses excuses également et sa demande de tourner la page. Il fallait qu’il avance, qu’il soit heureux, même sans elle.