Lorsque le regard bleu azur de Kilian se déposa sur le fauteuil roulant, il ne put s'empêcher de pouffer de rire en imaginant le pauvre James dans un engin pareil... à part assommé et ficelé comme un saucisson, il serait impossible de l'asseoir là-dedans. D'ailleurs, il n'était même pas venu à l'idée du Breton que son ami soit contraint de se coltiner un fauteuil roulant pour se déplacer : en limitant ses déplacements et en évitant de postuler au prochain marathon de New York, il pouvait aisément s'en passer sans que sa guérison soit ralentie pour autant. L'attention du Sigma fut bien vite attirée par la mine déconfite de ce pauvre Gauthier qui avait cru bien faire. Pour un peu, si Kilian avait été du genre à compatir, il aurait été désolé pour lui. Ce ne doit déjà pas être facile d'être un homme de main - du moins, c'est ce que l'esprit français d'un jeune homme de classe moyenne s'imaginait - mais être l'homme de main d'un homme qui ne supporte pas jusqu'à l'emploi du mot "infirme", c'est encore pire dans une situation pareille. L'étudiant se tourna pour murmurer de façon incognito à l'oreille de James en souriant, sans que le Britannique puisse l'entendre et que la position du businessman soit égratignée. "Tu préfères qu'on te porte, c'est plus romantique, c'est ça ?" ironisa-t-il en glissant un regard plus amusé que jamais dans sa direction. "La princesse qui se fait porter par son chevalier servant jusqu'à son château... à un ou deux détails près, on y est." Deuxième couche, l'une va rarement sans l'autre avec un Salaun. L'idée que la "princesse" James O'Malley soit conduite par son preux Gauthier à bord de son destrier carrossé lui tira un rire spontané qu'il tâcha de calmer un peu en retrouvant l'imperturbable sérieux neutre qu'on lui connait habituellement.
Le jeune homme composa son visage d'une petite moue sceptique qui laissait clairement entendre que sa défense sur la gourmandise ne tenait pas la route. Encore moins sur le sucré et définitivement pas par rapport au chocolat. Enfin, il fallait qu'il garde de la contenance face à son employé, c'était compréhensible... mais de là à s'offusquer qu'on le traite à juste titre de gourmand, c'était pousser le vice un peu loin. Bref, Kilian n'était pas là pour juger de cela, il se contenta de lever les yeux au ciel en secouant la tête en entendant l'avertissement que lui donna son interlocuteur avant de partir. "Oui monsieur, bien monsieur." rétorqua-t-il avec un sarcasme grognon et presque agacé, bien qu'au fond ce petit côté surprotecteur l'amusait assez venant de lui. Ses deux boites sous un bras, le jeune homme fit un salut militaire parfait en direction de Gauthier qui se tenait toujours raide comme un piquet. Irrévérencieux, le fils Salaun ? Oh, si peu... Face à l'air légèrement surpris de Gauthier, à en juger par le très subtil haussement de son sourcil gauche, un sourire en coin anima les lèvres de Kilian qui marcha jusqu'à sa Mustang garée non loin d'eux. Une fois à l'intérieur, il soupira puis se reposa contre l'appuie-tête. Sacrées retrouvailles mais on ne peut plus plaisantes. Même lorsqu'ils avaient abordé le sujet extra-sensible de la famille Salaun, Kilian ne regrettait rien. Pas avec James, il ne l'avait jamais déçu jusqu'ici et bien que la confiance du Sigma soit quelque chose de difficile à acquérir, l'Irlandais était bien l'un des seuls qui puisse prétendre en posséder une part assez large pour le moment.
Après avoir mis le contact, le beau brun passa juste à côté du 4x4 où James venait de s'installer, les saluant d'un petit coup de klaxon et d'un signe de la main avant de les contourner et s'engager sur la route en direction de l'appartement familial. Suivant religieusement le conseil du père de Louna, le jeune homme roula doucement, très doucement. Mesure de précaution ? Non, juste l'envie de retarder l'inéluctable arrivée. Environ vingt minutes plus tard, Kilian franchit le seuil de la porte d'entrée. Son père était assis dans le salon, devant un livre. Il leva la tête vers lui et ouvrit la bouche pour parler... mais avant même qu'un son n'en sorte, l'étudiant l'arrêta d'un grognement et d'un geste de la main. "Je viens de passer une bonne journée, alors ne va pas tout gâcher en m'adressant la parole. Tiens, cadeau de la part d'un ami. Un vrai." ponctua-t-il avec une mesquinerie et une froideur sans nom. Sur ces bonnes paroles, il lâcha une boîte de chocolats sur le canapé près de Logan et se rendit jusque dans sa chambre sans ajouter quoique ce soit. L'énervement léger qui l'avait saisi en parlant se dissipa à la pensée qu'il eut pour James et leur moment passé ensemble. Mieux valait se concentrer sur du positif.