« D'accord. » J'acquiesçais, lui montrant par là que je comprenais sa décision. Ce n'était pas mon combat, c'était le sien. Et puis après tout, il n'était pas le premier que je rencontrais qui ne s'entendait pas avec son géniteur. « Je reconnais que ça m'arrangerait. » Fis-je remarquer. Je ne tenais pas particulièrement à expliquer mes actes, ou à devoir batailler ferme pour que la réputation de ma confrérie ne se dégrade pas. Le statut de Rayan ne le protégeait pas plus qu'un autre membre ; il n'y avait pas de privilèges qui tiennent.  « Et ce qui me ferait plaisir, c'est qu'il n'y ait plus de conflit du tout. » Mais vu les propos que tenaient le Delta, il faudrait se lever tôt pour que ça arrive. Et si même Kenzo ne pouvait leur faire entendre raison... Je n'avais plus qu'à m'incliner. « Laissez mon bras droit en état, c'est tout ce que je vous demande. » Dis-je en souriant légèrement, amusée par la situation. Je l'imaginais déjà devant s'interposer entre son frère et son père, et prier tous les saints qu'aucun mal ne lui soit fait, que rien ne vienne entacher son physique de rêve. Un Delta qui se respecte, en somme. Et celui qui me faisait face avait tout compris. Franchement offusquée par sa remarque, j'ai posé mes mains sur mes hanches en guise de désapprobation. « Excuse-moi ? » Fis-je, la voix partant dans les aigus. Je devinais à son petit air goguenard qu'il n'avait fait ça que pour m'énerver, et j'avais mordu à l'hameçon. « T'es qu'un enfoiré. » Grommelais-je en croisant les bras. Valentina, cinq ans et demi. Moue boudeuse et air grognon, je laisse pourtant Rayan m'éteindre avec délicatesse. Nous restâmes ainsi pendant de longues secondes, dans le silence le plus total. Je me demandais ce qu'il pouvait se passer dans la tête de Rayan. Lui qui avais su s'armer de courage pour m'avouer ses sentiments, lui qui avait dû digérer des nouvelles et des révélations qui n'avaient pas dû être faciles à entendre, lui qui devrait me côtoyer pour des raisons administratives et professionnelles. Je me demandais si nous nous éloignerions, si notre relation amicale tiendrait, ou si tout cela n'était que faux semblant. J'espérais sincèrement que ce ne soit pas le cas, mais je restais dans l'incertitude. « D'accord. » Acquiesçais-je timidement, sachant pertinemment ce qui allait se produire la seconde suivante. Et mes soupçons se confirmèrent lorsque les lèvres du Delta se posèrent sur les miennes. Pour la dernière fois, je le savais. C'était un baiser d'adieu. Ma main droite glissa dans ses cheveux, les ébouriffant au passage. Juste pour l'emmerder un peu, comme il avait pu le faire pas il n'y a pas deux minutes. Un sourire naît sur mes lèvres, mais meurt dès que j'entends la porte s'ouvrir avec fracas. Nous nous détachâmes l'un de l'autre aussitôt, mais c'était trop tard : nous avions été pris la main dans le sac. Déjà prête à incendier la personne qui avait osé entrer dans mon espèce personnel sans attendre mon approbation, j'ai soupiré en voyant les yeux écarquillés de Kenzo. Qui, malgré la situation, n'en perd pas son latin. Je mets ma main devant mes yeux, morte de honte, alors qu'il me demande si je tente un concours avec la famille Clives. « Je ne veux rien savoir. » Dis-je en secouant la tête. Chacun sa vie privée, et ça évitera bien des soucis. « Gardez vos combats de coq pour vous, je n'en suis pas ! » Parce que vu le tempérament explosif de la famille, on me demanderait bientôt des comptes, et je tenais à ma neutralité. « Kenzo ! » M'exclamais-je alors que le Delta posait des questions sur nos vies privées. Est-ce que je lui demandais les détails de ses relations sexuelles avec la doyenne des Alpha, moi ? Non. « Et puis t'en as pas bientôt fini avec tes séances d’exhibitionnisme ? » Demandais-je en mettant les poings sur mes hanches, tentant vaguement de prendre un air moralisateur. « Tu déconcentres tout le monde avec tes conneries ! » M'exclamais-je en secouant légèrement la tête. Parce que si pour ma part, j'avais une connaissance développée du corps de Kenzo, d'autres espéraient encore que leurs charmes aient un effet sur le Delta. Peine perdue ; depuis qu'il sortait avec Meleya, il était rangé – presque moine. C'en était navrant. « D'ailleurs, t'as pas un mariage à préparer ? » Fis-je remarquer, l'air de rien. J'avais eu beaucoup de mal à imaginer le Delta en père de famille rangé et consciencieux, mais il m'avait prouvé le contraire. Mais le voir se faire passer la corde au cou me dépassait complètement. Kenzo, fidèle à Meleya jusqu'à ce que la mort les sépare ? Come on. C'était du gâchis. « Je suis en train de préparer ton enterrement de vie de garçon. Crois-moi, je vais te faire passer l'envie de te présenter à l'autel le lendemain ! » La messe était dite. Sans mauvais jeu de mots.

« Évidemment, penses-tu ! Il fallait qu'il vienne foutre son gros nez dans nos histoires au meilleur moment ! » M'exclamais-je, manifestant clairement mon mécontentement, après avoir retiré la main de devant mes yeux. Inutile d'essayer de me cacher pour me faire oublier ; apparemment, Kenzo n'était pas prêt de nous lâcher, son jumeau et moi-même, concernant ce qu'il venait d'apercevoir. « Et par ailleurs mon cher, tu seras bien aimable de te mettre au point sur les notions de privauté. » Autrement dit, frappe avant d'entrer, si tu ne souhaites pas découvrir des choses désagréables ou dérangeantes. Mais ce concept était flou aux yeux de Kenzo, et le demeurerait sans doute jusqu'à la fin des temps. Il suffisait de voir la façon dont il s'exhibait pour comprendre que le Delta n'avait aucun mal à partager ce qui lui appartenait. « Kenzoooooo ! » M'exclamais-je en écarquillant les yeux avant de lui balancer un oreiller à la figure, puis de griffer la première parcelle de peau que je pouvais atteindre – son bras gauche. « Si jamais cette histoire circule, je te jure que je saurai d'où ça vient. » Sifflais-je, levant à nouveau le bras, main prête à l'emploi, prête à frapper à nouveau. « Et je te le ferai payer. » Parole de Suédoise déterminée. Comment, je ne savais pas encore, mais je déborderai d'idées si nécessaire au moment opportun. J'ai laissé les deux frères s'écharper pendant quelques secondes sans piper mot, trop contente de ne plus être le centre de l'attention. Mais cette histoire de territoire me fit tiquer, et ma langue se délia rapidement. « Excusez-moi, mais aux dernières nouvelles, c'est mon territoire avant d'être le vôtre. » Fis-je remarquer en arquant un sourcil, peu convaincue par leur petite joute verbale. C'était moi la doyenne, moi qui avais les pouvoirs, moi qui régnait en maîtresse absolue sur les lieux. Et je ne comptais pas céder ma place avant la fin de mon cursus scolaire, soit dit en passant. « Je dispose de vous comme bon me semble, mes petits sujets. » Ajoutais-je, franchement moqueuse, en posant sur eux et à tour de rôle un regard qui en disait long sur l'étendue de mes pouvoirs.  À commencer par celui d'aider à l'organisation de vie de garçon de mon bras droit. « Et tu seras vautré au milieu de strip-teaseuses. » Précisais-je, faisant suite aux paroles de Rayan, qui prédisait à Kenzo sa future impossibilité à de se réveiller pour le jour J. et Meleya sera loin, loin, loin, trèèèèès loin. Enfin, dans nos plus grands rêves. « Kenzo, tu ne te rends pas compte dans quoi tu te lances. Est-ce que t'as besoin de te marier pour avoir une super soirée, un buffet élaboré et une partie de jambes en l'air torride ? Non. Est-ce que t'as besoin de passer une journée en costard pour que les yeux des filles se posent sur toi ? Non. Il suffit que tu viennes te trimbaler à moitié à poil ici, et ça fonctionne de la même façon. » Fis-je remarquer en haussant les épaules. « Jurer l'amour éternel et la fidélité jusqu'à ce que la mort nous sépare, ce n'est pas ton truc. Ce n'est pas notre truc. » Précisais-je en haussant les épaules, faisant référence à la confrérie à laquelle nous appartenions tous les trois. Si les Bêta et les Delta avaient été connus pour leur stabilité sentimentale, ça se serait su, depuis le temps. « Comment tu feras quand une blonde viendra te faire du charme ? Ou qu'une brune surexcitée te dévoilera ses plus beaux atouts en espérant que tu l'honores dignement ? » Demandais-je, peu convaincue par la capacité de résistance des mâles qui composaient la confrérie Delta. Et cette question eut malheureusement un effet boomerang, auquel je ne m'étais pas attendu ; soudainement, Kenzo revenait à la charge avec ses questions gênantes et indiscrètes. « On ne sort pas ensemble et on ne sortira jamais ensemble. » Voilà, désormais, les bases étaient posées. Voyant le regard à la fois méfiant et interrogateur de Kenzo, j'ai soupiré avant d'ajouter : « Et ce que t'as vu, c'était rien. Ça va, c'est pas le premier que j'embrasse sans donner suite. Et inversement. » En espérant que Rayan m'appuie et me suive dans ma logique, sinon, on était mal barrés. Et même si, quelques mois plus tôt, le plus si affinités avait été sur le point de se produire, si son emmerdeuse de coloc' n'avait pas tout foutu en l'air. « Non, ne me dis pas que tu as dit ça. » Soufflais-je en levant les yeux au ciel, à la fois dépitée et mortifiée. Si les jumeaux commençaient à débattre de mon meilleur profil, je n'étais pas sortie de l'auberge. Décidant qu'il serait peut-être mieux que je ne relève pas avant d'avoir droit à des révélations encore plus gênantes, je me suis contentée de tapoter amicalement la joue de Kenzo. « T'en fais pas chéri, t'es le seul des deux à avoir vu l'ensemble dans son intégralité. » Il pensait avoir mis les deux pieds dans le tas ? J'en rajoutais une couche. L'air boudeur du Delta me fit gentiment sourire. Qui sème le vent récolte la tempête. « On pourrait en dire autant de toi. » Fis-je remarquer, avant d'enchaîner. « Alors dis-nous tout. Meleya est suffisamment souple à ton goût ? C'est quoi ses trucs préférés ? La sex-tape, vous avez fait ? Non parce que tu sais, avec Rayan, on cherchait des photos et des vidéos pour illustrer ta vie et celle que t'as avec la dinde, donc on pensait que ce serait pas mal. » Fière de moi et de mes conneries, j'ai levé la main en direction de Rayan. High five, président. On viendra à bout de ton jumeau exhibo.