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On pouvait dire que Lucy Wakefield s’était faite une amie à San Francisco. Après plus de trois ans passés dans un hôpital pour soigner son infection, Wakefield n’avait pas récupéré beaucoup de ses connaissances. Son poste dans l’une des meilleures écoles primaires de Londres avait été donné à une autre enseignante, ou un autre enseignant tout aussi brillant(e) qu’elle. Et elle ne pouvait ni le reprendre ni recouvrer la complicité qu’elle avait avec ses collègues de travail de l’époque. De ses contacts, il ne lui restait plus que sa famille et Nick, son ex petit-ami. Elle avait débarqué aux Etats-Unis dans l’espoir de le reconquérir, sans penser à l’époque que si les choses se déroulaient comme elle l’entendait, elle allait devoir rester vivre en Amérique du Nord, au moins pour un moment, Nick était engagé par un contrat à l’université de Berkeley. Finalement, Lucy s’était remis à chercher du travail et en avait trouvé, en remplacement dans une petite école primaire de San Francisco. Il faudrait encore du temps à ses nouveaux collègues et elle pour apprendre à se connaître, si tant est qu’elle ne soit pas affectée à un autre remplacement ailleurs. Heureusement son chemin avait croisé celui de Chilali et sans trop que cela puisse s'expliquer elles avaient commencé à devenir amies. En ce jour, elles avaient prévues de se voir au Conservatoire des Fleurs. Si avant d'emménager aux Etats-Unis, Lucy dénigrait relativement le pays, elle s'était rendu compte avec surprise qu'il pouvait regorger de choses intéressantes à voir, ne serait-ce qu'à San Francisco. D'ores et déjà sur place, Lucy Wakefield accueilla Chilali avec un grand sourire, en lui ouvrant les bras. "Hey ! Comment tu vas ?" Cela lui faisait du bien de sortir avec quelqu'un d'autre que Nick. Elle discutait avec ses collègues de travail mais c'était différent, il y restait le cadre de travail et c'était la nouvelle remplaçante, à qui on ne s'attachait pas trop car elle allait sûrement repartir bientôt. Elle même avait du se comporter ainsi avec les nouvelles têtes effectuant des remplacements dans les écoles où elle avait travaillé précédemment.

Spoiler:

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Les deux femmes se serrèrent dans leurs bras. Lucy s'était faite à cette habitude typiquement américaine de se saluer entre soi. Elles se considèraient toutes les deux comme des amies, mais en réalité beaucoup de personnes diraient qu'elles ne sont encore que des connaissances. Ce n'était pas faux, mais étant donné que ni l'une ni l'autre n'avait beaucoup de relation, en dehors du travail et de la famille, malgré le faible lien qui les unissait encore, elles se préféraient se considérer comme des amies. Et puis c'était un pari sur l'avenir aussi, au moins elles démontraient cognitivement d'une volonté de devenir plus que de simples connaissances. Lucy avait bien besoin d'une personne sur qui compter, elle était loin de sa famille, elle avait changé de boulot, changé de pays, elle n'avait plus ni voisins ni collègues, tout était à recommencer. Tous ses contacts étaient restés dans son pays d'origine, en Angleterre. Ici elle avait bien Nick, et heureusement, c'était la seule chose qu'il l'avait fait passer la frontière et la poussait à rester ici et à s'adapter aux moeurs états-uniennes, mais malgré tout l'amour qu'elle lui portait elle ne pouvait pas se contenter de cette simple relation, son esprit avait besoin de respirer et ses sentiments aussi, alors une amitié n'était jamais superflue. Et puis le feeling passait bien pour le moment avec Chilali, ce n'était pas comme si elle se forçait simplement pour se créer une amie, elle avait choisie Chilali pour ce qu'elle était. Elle lui demanda comment elle allait, ce à quoi Lucy répondit par la positive. Elles ne savaient pas grand chose l'une de l'autre mais cela semblait plutôt les arranger. Lucy n'aimait pas parler d'elle, d'autant plus que cela lui faisait plaisir d'avoir quelqu'un à qui parler qui ne connaisse pas toute son histoire, et qui ne la juge pas avec ce regard de pitié que les gens ont souvent au regard de son passé. Chilali lui demanda ensuite si elle était prête pour leur petite sourire. Lucy sourit à la vue du visage radieux qu'elle arborait, elle semblait enjoué de son idée ce qui était plutôt une bonne chose. "Absolument !" Lucy empoigna Chilali bras dessus, bras dessous et entama la marche jusqu'à l'entrée du conservatoire. "Alors ton travail ?" C'était sa grande tare, elle avait souvent tendance à ne parler aux gens que de leur travail, comme plus jeune elle ne parlait que des études. Beaucoup lui avaient déjà reproché ce comportement, mais on change difficilement la nature des gens n'est-ce pas ?

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Lorsqu’elles rentrèrent sous la verrière, les yeux de Lucy s’écarquillèrent devant la file de queue. Elle ne s’était pas attendue à voir autant de monde, c’était le moins que l’on puisse dire. Bien au contraire, elle s’était imaginé le Conservatoire florale comme une petite niche de San Francisco dont la plupart des gens se désintéressaient. Il faut croire que non. Alors surprise oui, mais plutôt agréable. En dépit de la patience dont elles allaient devoir faire preuve, Lucy se réjouissait de voir et de savoir qu’autant d’Américains n’avaient pas comme unique loisir le sport ou la télévision. Elle se réconciliait peu à peu avec ce pays qu’elle avait pour ainsi dire toujours dénigré. Comme elles avaient une longue file d’attente devant elles, les deux trentenaires décidèrent de passer le temps en discutant. « Mes élèves sont tous là aussi, mais les miens sont obligés de toute manière, et puis ils n’ont pas encore l’âge de sécher. Toi en revanche t’as du mérite, ça prouve que tes cours les intéressent, et que tu les vends bien. » Tout en ne manquant pas d'accompagner sa réplique d'un large sourire.
Lorsque Chilali lui demanda si elle avait envie de voir des plantes en particulier Lucy réfléchis un instant en levant les yeux au ciel, chose qu’elle faisait souvent lorsqu’elle était pensive. « Pff… Non pas vraiment, et toi ? Au fait, t’es partie étudier quel peuple ? » Elle se rendait compte qu’elle ne connaissait pas grand-chose de concret sur Chilali et que c’était peut-être l’occasion d’approfondir leur amitié en partageant des petites anecdotes de leur vie personnelle. « Absolument oui, on doit pouvoir trouver ça dans la boutique. T’as décidé de te mettre au vert ? » Cette perspective donna une idée à Lucy qui se dit qu’elle devrait elle aussi redécorer son appartement avec un peu de verdure. Quoique le décorer tout court était plus juste, elle ne l’avait jamais vraiment aménagé, pensant que ce ne serait qu’un passage transitoire. Et elle se voyait déjà acheter des graines avec Chilali et probablement lui demander des conseils quant à la gestion des pousses si elle s’y connaissait. Ou alors, elles seraient deux novices à s’entraider autour d’un manuel de jardinage.

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Même si elles étaient toutes les deux enseignantes, Lucy réalisait qu’il y avait un véritable gouffre entre le travail de Chilali et le sien. Elle n’avait pas à se soucier de la présence de ses élèves, ils étaient forcément là, ou alors c’était qu’ils étaient malades. Elle n’avait pas à faire preuve de sévérité comme Chilali pour les dissuader de sécher les cours. Lorsqu’elle découvrit en son amie quelqu’un de fondamentalement engagée dans l’histoire de son peuple, les yeux de Lucy pétillèrent. « Ah oui ! Je trouve ça vraiment très très louable. Il y a trop peu de gens qui s’intéressent à ce qu’il y a juste sous leurs yeux et qui partent avec l’idée d’étudier une civilisation étrangère alors qu’ils sont probablement les moins bien placés. » Réalisant qu’elle devait avoir l’air totalement habitée, Lucy souffla un peu et repris en calmant le rythme de son flot de paroles. Mais cela lui faisait tellement plaisir de rencontrer quelqu'un qui avait pratiquement la même passion qu'elle, transposée de son peuple au sien. « J’aime bien les gens qui voient la richesse de leur propre communauté. Je suis un peu comme ça. Je n’ai pas ta fibre anthropologique, mais je suis très attachée à mon pays et à sa culture. D’ailleurs, pour dire vrai, j’étais très réticente à l’idée de m’installer aux Etats-Unis au départ. » Finit-elle en un rire. Elle vit Chilali sortir un bout de papier de son sac à main et relancer le sujet des plantes. « Woo woo woo, je suis perdue, tu m'expliques ? » Elle parlait de plantes qu'on n'avait pas voulu lui donner, mais qui étaient dans la réserve, et qu'elle espérait retrouver aussi ici ? Elle espérant que personne n'irait se plaindre si elle en achetait ? Et elle parlait d'avion ? Décidément Lucy avait l'impression d'avoir manqué un épisode. Peut-être avait-elle laissé son esprit s'évader un instant, un instant de trop.

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"Oh alors finalement on peut dire qu'on est deux expatriées !" Enonça Lucy sur le ton de la plaisanterie. Un ton qui n'enlevait rien à la réalité de la situation. Elle vivait loin de sa tribu, de sa terre, et elle loin de sa famille et de son pays natal. Evidement les choses étaient différentes, Chilali était encore en relation avec sa tribu, puisqu'elle la dirigeait, et elle devait régulièrement y faire des voyages, mais Lucy elle n'avait plus aucun lien avec sa vie précédente. Elle avait encore des contacts, sa famille, mais ils lui avaient entre guillemets tourné le dos, et de ses collègues et anciens amis elle n'avait plus rien, probablement qu'ils l'avaient oublié. Mais elle ne leur en voulait pas le moins du monde, comme on dit loin des yeux loin du coeur. Oui, c'était même ce principe qu'elle avait voulu mettre en application en éloignant Nick d'elle, or il faut croire que cela ne marche pas à tous les coups, enfin comme on dit il y a toujours une exception qui confirme la règle, probablement qu'il en fait toujours une. "Est-ce que vous êtes l'une de ces tribus qui ont ouvert des casinos ?" Elle ne connaissait pas grand chose des tribus, tout juste avait-elle étudié Sacagewea lorsqu'elle était au lycée, mais elle n'avait jamais approfondi la chose, ni cherché à s'intéresser à d'autres peuples Amérindiens. Elle ne les méprisait pas pour autant, seulement dans la vie il faut faire des choix, et même avoir toute la curiosité du monde, on ne peut pas s'intéresser à tout, même si pour cela on doit être frustré. "Et ça se passe bien, ce n'est pas trop dur ?" Elle imaginait non sans mal les tensions qui devaient exister dans la tribu de Chilali si elle avait fait le choix d'en conserver la direction, à distance, alors qu'elle se mêlait au monde de vie des colons.