À la remarque qu'il vient à me lancer, je ne peux que faire rouler mes yeux dans leurs orbites. Ne joue pas à ce jeu, Noah, tu sais très bien de quoi je parle. C'est donc avec attention, que je finis par écouter ses paroles que je redoutais un tantinet, la peur, sans aucun doute, de savoir qu'Amoun ne se sentirait peut-être plus à sa place maintenant que notre fille était née. Mais Grace venait à peine d'arriver au monde et il était certain qu'elle aurait besoin d'une grande partie de notre attention, aussi bien maintenant que lorsque nous pourrions enfin l'amener dans notre cocon familial. « Tu as fait ce que tu as pu, mais il lui faudra sans doute du temps avant de... clairement comprendre. Et je suis convaincue que tu sauras lui apprendre à tenir correctement ce rôle de frère. », répondis-je finalement tout en me lovant un peu plus contre mon compagnon. Au même moment, Amoun ouvrit les yeux, redressant quelque peu sa tête des genoux de Dana et nous observant avec ce même regard qu'il m'avait adressé au moment de notre toute première rencontre. Un regard presque craintif qui provoqua une brève douleur au creux de ma poitrine. Mon cœur venait de se serrer, la peur de voir cet enfant retourner sa veste du jour au lendemain. « Non, attends, ça ne peut pas attendre ? » Que les choses soient bien claires, je suis loin d'être rassurée et une boule s'est formée au fond de mon ventre, ne cessant de retourner mon estomac, encore et encore. Je pousse un fin soupir. Evidemment, ses parents, n'allons pas préciser qu'il parle plus de sa mère qu'autre chose. « Tu signaleras à ta mère qu'il est inutile de prendre le premier avion pour San Francisco afin de voir la petite. Idem pour le second. Et ainsi de suite. » Autrement dit, fait en sorte qu'elle ne vienne pas nous rendre visite trop tôt. En aucun cas, je ne me trouve prête à partager ma Grace avec qui que se soit, même que je pourrais déjà mordre Noah, à peine l'effleure-t-il, alors encore Catherine Clives et ses envies de câliner sa digne lignée... Sans façon. Un hochement négatif de la tête afin de répondre à la question de Noah, et je laisse ce dernier s'éclipser de la chambre. Ma mère contraint Amoun à se redresser alors qu'elle aussi est en train de se lever, accompagnant au passage le petit jusqu'au lit. « Je vais vous laisser un petit moment, vous en avez besoin. Et j'ai deux-trois choses à régler. » Penchant sa tête vers la mienne, ma mère finit par déposer un baiser sur mon front. Elle adresse un dernier regard attendri à Grace, se retenant également de déposer un baiser sur ce petit ange au vu de mon regard qui s'est instantanément assombri dés lors qu'elle a osé poser les yeux sur sa petite-fille. Cinq secondes plus tard, montre à la main, la porte de la chambre venait de se refermer sur elle, me laissant seule dans la pièce en compagnie d'Amoun et Grace. Les deux mains posées au bord du lit, le jeune Indien me fixe pendant quelques instants avant que son regard ne dévie sur ce minuscule être que je portais dans mes bras. Aucune parole n'est prononcée, ni par l'un, ni par l'autre, jusqu'à ce que finalement... « Elle est très jolie. » Un mince sourire finit par s'étirer sur mes lèvres. « Regarde. » Je redresse quelque peu Grace contre moi et agrippe délicatement la main de mon fils adoptif afin de la rapprocher de celle de ma fille. Cette dernière l'observe de ses grands yeux bleus et lorsque sa main entre en contact avec celle du petit, elle se referme délicatement autour de son index. Amoun semble surpris et loin d'être à l'aise avec la petite, sans doute lui faudra-t-il du temps avant de réaliser qu'un nouveau membre vient à agrandir notre famille. « Elle a les yeux de papa. », souffle-t-il finalement. En parlant de ton papa, s'il ne revient pas rapidement, je le cherche par la peau des fesses.

« Elle tentera de faire de son mieux. » Entre Noah et moi, j'étais loin d'être celle qui saurait conseiller au mieux nos enfants quant à ce lien fraternel qui les liait à présent. Le médecin avait grandi avec un frère et deux sœurs, il devait connaître ce rôle sur le bout des doigts tandis que pour ma part, j'apprenais encore à apprivoiser ce statut avec James, et le tout n'était en rien une partie de plaisir, sans nul doute dû à nos caractères quelque peu enflammés, certes. « Malheureusement... ou heureusement, selon la situation, oui. » Doit-on vraiment reparlé de notre première rencontre ô combien désastreuse ? Sans façon, j'en ai fait des cauchemars pendant plus d'un mois à l'idée de savoir que Noah avait une mère aussi... collante. Et protectrice. Et pénible. Sans compter désagréable. Quoi ? C'est vrai, on aurait dit Cruella d'Enfer face à un bébé dalmatien. Un véritable carnage qui en a amusé plus d'un. Être la compagne d'un fils à madame d'Enfer n'était pas facile tous les jours, notamment lorsqu'ils s'agissaient de se retrouver en famille. Une chance que j'ai pu passer au travers du dernier dîner qui avait eu lieu chez Kenzo, bien que la situation ne m'avait guère enjoué sur le coup et que j'aurais préféré assister à ce repas plutôt que de me retrouver dans l'état dans lequel je fus à cette période. Je profite donc de ces quelques instants, seule, pour porter un peu d'attention à Amoun tandis que Grace la dévisage de ses grandes billes azur. L'invitant finalement à prendre place à mes côtés, s'allongeant tout en calant sa tête contre mon épaule. Je dépose un baiser au sommet de son front, passant ma main dans sa chevelure brune, tandis que l'autre était afférée à caresser délicatement celle de ma fille. Finalement, après quelques minutes, ma mère n'étant toujours pas réapparue, Noah refit son apparition dans la pièce, un sourire quelque peu... étrange, plaqué sur ses lèvres. Qu'est-c'qu'il a encore fait comme idiotie ? Je ne le connaissais que trop bien. Haussant un sourcil, je finis par me demander si ses propos ne sont pas le début dune plaisanterie, mais au vu de la distance qu'il maintient entre nous, j'en déduis que non. « Par la bonne, de préférence. Histoire que je puisse être au courant de cette dernière, au cas où la mauvaise ne me plairait absolument pas et que je serais obligé de t'arracher la langue avant de te couper la tête. » Et voilà le rire d'Amoun qui suit sans grande surprise tandis que je plante mon regard noisette dans celui de mon compagnon. Tu as de la chance, mon cher Noah, que je ne puisse faire le moindre mouvement entre le petit garçon et Grace que je tiens tous deux fermement contre moi. Mais tu ne paies rien pour attendre, crois-moi. « Alors ? » J'attends. J'attends de savoir si je vais te transformer en pâté pour Socrate, ou non, selon les nouvelles que tu vas finir par cracher.

À cet instant, Noah peut s'estimer heureux que notre fille se trouve dans mes bras et que je suis actuellement encore bien trop épuisée de cet accouchement pour pouvoir ne serrait-ce que me redresser, sans quoi, ce cher médecin aurait dû faire un petit tour par le service des urgences. À la clé, nombreux points de suture et autres blessures plus ou moins superficielles. Je suis un véritable pitbull enragé lorsqu'il s'agit ne serrait-ce que d'énumérer la mère de Noah. C'est presque un soupir de soulagement qui s'échappe d'entre mes lèvres. Serait-ce un miracle de savoir que les parents Clives ne vont pas se rendre jusqu'à San Francisco pour voir leur petite-fille ? Oui, évidemment que oui, cela aurait été bien trop beau pour être vrai, et la vérité finie par tomber. « Pardon ? Déjà ici ? » J'ai dû mal entendre, forcément, une telle chose semble tellement impossible, sauf que Noah ne fait que confirmer les craintes qui viennent de me frapper. Des nouvelles... Chaque mois... Mon sang ne fait qu'un tour dans ma tête. Sérieusement, est-ce que ta mère était obligée de savoir tout ce qui se déroulait ? Je rêve. Je dois vraiment rêver. Un véritable cauchemar. Les nouvelles s'enchaînent, toujours plus mauvaises les unes que les autres et mon silence n'annonce guère de bonnes choses, bien au contraire. Fulminant à l'intérieur, je ne peux me résoudre à encaisser une seule parole de plus provenant du médecin, et pourtant, je me dois de l'écouter. Et après, il s'étonne que j'ai autant de difficultés vis-à-vis de sa mère. Rien d'étonnant au vu de ses manières à me rendre la vie auprès de son fils, ô combien impossible. Poussant finalement un soupir, c'est à peine si je me suis rendue compte du regard du tueur que je venais à adresser à Noah depuis quelques instants déjà tout en berçant Grace dans mes bras. « Tu veux que je te dise ? J'aurais très largement préféré les savoir en route pour l'aéroport afin de prendre le premier avion pour San Francisco, plutôt que de savoir qu'ils sont déjà sur place depuis... une semaine. » Rien que cette idée me donne des hauts le cœur. Ne manquerait plus que sa mère se soit décidée à rôder autour de la maison sans que personne ne s'en rende compte... Catherine Clives ne connait aucune limite, alors mieux vaut s'attendre au pire de sa part. « Ta mère est une véritable sangsue et elle devrait enfin apprendre à couper le cordon avec son petit bébé. » Qui n'est plus si petit que ça, d'ailleurs, puisqu'il a passé le cap des trente-cinq ans. Je vais arrêter de chercher à comprendre ce lien si fusionnel les unissant, même si Catherine a déjà su en partie m'expliquer ses agissements envers Noah. Compréhensive, je l'étais, mais il y avait des limites à ce que je pouvais entendre et supporter. « Et par pitié, ne viens surtout pas me dire qu'ils vont arriver d'une minute à l'autre. » La cerise sur le gâteau, il ne manquerait plus que ça. Suis-je d'humeur à recevoir la visite de Catherine Clives ? Aucunement, je préférerais bien mieux me crever les yeux plutôt que d'avoir à supporter sa présence, d'autant plus quelques heures seulement après la naissance de la petite. Autant dire que je suis fatiguée, irritable, en un terme plus simple : chiante.