Et voilà qu'une nouvelle année à Berkeley s'achève, une année que j'aurai gâchée, en quelque sorte. Je n'ai été que très peu présente au début de l'année, la disparition soudaine de Noah qui avait été annoncé comme mort avant de réapparaître près de deux mois plus tard, ayant été pour quelque chose, puis plus récemment, l'agression que j'avais subie, un séjour à l'hôpital qui avait duré quelques jours puis le repos forcé pendant près de trois mois, jusqu'à ce qu'enfin, je ne vienne à donner naissance à la petite Grace. Autant dire que j'avais eu du mal à entamer cette nouvelle vie de mère, mais heureusement, mon compagnon avait toujours été à mes côtés. Pour l'heure, je ne pensais plus aux cours, je n'étais même plus sûre de retourner à l'université à la rentrée. J'ai ce constant besoin d'être auprès de ma famille, de les savoir en parfaite santé et à l'abri de tout danger, car dés lors que je m'absentais, c'était le drame. Après presque deux mois suite à la naissance de ma famille, je m'étais enfin daigné à sortir le bout de mon nez de la maison familiale, priant Noah pour m'emmener chez James. Évidemment, le but de cette visite n'était pas de voir mon demi-frère, mais plutôt la femme qui partageait sa vie. Depuis quelque temps, Louna ne cessait de téléphoner à la maison en me relatant certains problèmes que rencontrerait la Bêta et je me suis rapidement souvenue des paroles que ma mère m'avait adressé lorsqu'elle avait vu l'état dans lequel je me trouvais. Maëlle serait-elle donc enceinte à son tour ? Pitié, pourvu que non. J'ai deux enfants à ma charge à présent, sans compter une nièce et un neveu forts turbulents, alors encore un même de plus dans les pattes... J'ai déposé un bref baiser sur les lèvres de Noah et ai caressé une dernière fois le visage de ma fille endormie dans son siège pour bébé, installé à l'arrière du véhicule, avant de m'en extirper et de m'avancer jusqu'à l'entrée du château. C'est tout naturellement qu'Alfred ouvrit la porte au bout de quelques secondes, et après l'avoir salué, il m'entraîna jusqu'au salon où j'y découvris Maëlle. Un fin sourire se dessina sur mes lèvres lorsque je posais mes yeux sur la jeune femme. « Bonjour, Maëlle. » Je m'avançais jusqu'à elle, échangeant une rapide bise avec cette dernière et pris finalement place non loin d'elle. « Non, Alfred, merci bien. » Je venais tout juste de prendre mon petit-déjeuner, aussi minuscule fut-il, mais je n'avais guère faim. Grace et Amoun prenaient pas mal de mon temps, mais également de mon énergie, me coupant au passage bien souvent l'appétit. Un avantage pour perdre les quelques kilos superflus qu'il me restait, des suites de mon accouchement. « Alors, tu vas bien ? James n'est pas là ? Enfermé à son bureau ou en train de jouer au petit cachottier, je suppose. » Je n'allais pas me plaindre du fait qu'il ne soit pas au château, Maëlle et moi pourrions ainsi discuter entre quatre yeux sans personne pour nous embêter. Encore fallait-il que je sache comment aborder le sujet avec cette dernière, ce qui n'était guère gagné d'avance.

Il était vrai que Maëlle et moi ne nous étions que très peu vu suite à notre première discussion en tête à tête, alors que j'avais encore douté à cette époque de mon lien familial avec James. Nous nous étions croisés plusieurs fois à l'université, puis enfin à cette fameuse soirée d'Halloween qui a viré au désastre, puis, plus grand-chose. Quelques regards, quelques sourires à l'université, puis plus rien. Il fallait dire qu'entre ma grossesse, la vie de mère qui m'était rapidement tombée dessus suite à l'adoption d'un jeune garçon, ainsi que le travail à l'hôpital et mes problèmes personnels, je n'avais guère eu le temps de consacrer plus de temps à la compagne de mon demi-frère. Non pas que je la détestais, loin de là, Maëlle était une fille extraordinaire et du moment qu'elle faisait le bonheur de James, je n'allais pas la dévorer toute crue. Puis il faut dire que la pauvre doit se mordre les doigts entre ses études, le boulot de mon frère et l'arrivée surprise de Kitty et Sacha. « Tout va bien aussi. » Tout allait bien mieux depuis que Sam ou MacOllister gardait de temps à autre un œil sur le cocon familial qu'elle avait, cela lui avait permis de retrouver un tantinet le sourire suite à la naissance de sa fille. C'était toujours un régal pour les yeux de voir les neveux de Noah se faire courser par un Ollister en manque d'hommes. Par moment, je me demandais comment mon frère pouvait faire pour ne parler, respirer et penser uniquement à son travail. N'avait-il donc aucun cœur, au point de laisser Maëlle sur le bas-côté ? « Tu ne le tueras pas, si je t'avoue que je lui avais offert un voyage extraordinaire, pour vous deux, et qu'il l'a refusé ? Destination au choix parmi un panel d'incroyables îles. Tout ce qu'il avait trouvé comme excuse, c'était son boulot. Toujours et encore. » Clairement, ça m'avait vexé et j'aurais dû me tourner en premier lieu vers Maëlle, proposer ce voyage à elle plutôt qu'à lui, sans doute aurait-il accepté cette proposition de sa part plutôt que celle de sa sœur qui aurait sans nul doute dû tirer un trait sur une nouvelle année à Berkeley, mais qu'est-ce que je n'aurais pas fait pour remercier James de toute l'aide qu'il a pu m'apporter aux moments où j'avais eu le plus besoin de lui. « Oh, tout se passe bien, merci. C'est juste que... Noah et moi sommes assez débordés ces derniers temps. Il s'est passé pas mal de choses depuis notre dernière rencontre, pour tout te dire. » Pas mal de choses, doux euphémisme pour parler d'un tas de choses, bien que la moitié n'arrivera sans doute jamais aux oreilles de la bêta, ou tout du moins pas aujourd'hui. « Noah et moi avons adopté un petit garçon de sept ans il y a quelques mois, et nous avons eu une petite fille, il y a quelques semaines à peine. Je suppose que James ne t'a rien dit à ce propos. » Louna non plus, ceci dit. Elle qui avait passé son temps à me traiter de grosse, histoire de se venger de toutes les plaisanteries que j'avais pu lui faire moi-même au sujet de son poids. Autant dire que j'avais dû fermer mon clapet ces derniers temps. L'occasion était trop bonne, trop tentante, je me devais de me lancer à l'eau. Le sujet était là, autant en profiter avant de commencer à s'échanger des conseils entre étudiantes en médecine ou allez savoir quoi d'autre. « Et je vois que James n'est finalement pas qu'un cachottier avec toi, me cacher que j'allais avoir un deuxième neveu ou une deuxième nièce... quand même... » Encore fallait-il qu'elle soit vraiment enceinte, mais au vu des indications données par la petite Louna, nul doute qu'il s'agissait de ça.

J'avais promis à mon frère que jamais je ne m'initierais dans sa vie personnelle, que jamais je ne me mêlerais de sa relation avec Maëlle, ni même avec celle qu'il pouvait entretenir avec Kitty, Sacha ou encore Louna, mais à l'heure actuelle, je ne pouvais en faire autrement. Jamais était littéralement en train de détruire sa vie et celle de la jeune femme qui l'accompagnait au quotidien. Garder donc mon petit nez en dehors de sa vie intime était une chose impensable, notamment au vu de son refus de partir en vacances et de ce que venait à me raconter la bêta qui se tenait à mes côtés. Je ne savais même pas ce qu'ils faisaient encore ensemble, quoi que si. Un tantinet. Noah avait disparu pendant plus d'un mois et je lui avais finalement accordé une seconde chance. L'amour, sentiment étrange qui forme un lien chaud et confortable dont on ne peut se séparer. « J'essaierai de lui toucher un mot. Quitte à devoir l'attacher dans le premier avion qui s'envolera pour... va savoir quelle destination de rêve. Mais je refuse de le voir gâcher votre relation. » C'est ce qu'il faisait, c'est ainsi que je le voyais. Mais je ne comprenais pas Maëlle, comment pouvait-elle supporter pareille situations depuis des mois maintenant ? Ses absences à répétition, son temps passé à son travail, délaissant sa chère et tendre au quotidien, la faisant passé au second plan voir même à l'arrière-plan. Ce n'est pas comme cela que fonctionne un couple, et si avant je ne connaissais rien sur le sujet pour n'avoir accumulé que des conquêtes à la pelle, il en était tout autre depuis que Noah et moi étions ensemble. À ses côtés, j'avais appris à aimer et à vivre à deux. La communication était un mot d'ordre au sein de notre couple, même si les silences avaient souvent dégoulinaient le long des murs, ils finissaient toujours par se briser. « J'avoue ne plus le comprendre... Enfin, ne pas le comprendre du tout, cela n'a jamais été le cas. Etre absent et travailler d'arrache-pied n'empêche pas de communiquer avec sa partenaire, si ? » Entre mes cours, mon travail à l'hôpital ainsi que celui de Noah, et la présence de deux enfants au sein de notre couple, rien ne nous empêchait de nous confier l'un à l'autre, même à propos de sujets plus ou moins délicats. Certes, cela faisait grincer souvent nos dents, mais là était le meilleur moyen d'être sur la même longueur d'onde. Entre Maëlle et James, cela faisait défaut, et il fallait que quelqu'un intervienne avant qu'ils ne paraissent tous les deux comme un fantôme aux yeux de l'autre. J'en voulais à mon frère, oui, mais pas pour ne pas avoir parlé de ma grossesse à sa compagne, plutôt pour son comportement d'abruti fini qui en exaspérait plus d'un. Oui, Noah non plus ne le supportait pas, mais peut-être pas pour les mêmes raisons que Maëlle. De qui je parle ? Cela saute aux yeux, non ? Ou alors, m'étais-je trompée sur toute la ligne. Tant mieux d'un côté, la progéniture de James était infecte, pas la même d'agrandir un peu plus la famille. Finalement, je n'allais pas passer par quatre chemins. Elle m'avait posé une question claire et nette, la réponse allait en être à la hauteur. « Et bien, j'ai eu vent de certains symptômes ces derniers temps, des signes qui ne trompent pas et par lesquels je suis également passée il y a quelques mois. Alors Maëlle, ne me ment pas. Est-ce que tu es enceinte ? » Ma franchise risquerait peut-être de me perdre, un jour ou l'autre, mais peu importait, je ne cherchais qu'à savoir la vérité.

Certes, j'avais toujours promis à mon demi-frère de ne jamais s'initier dans sa vie privée, peu importe ce qu'il pouvait se passer, mais je dois dire que depuis la naissance de la petite Grace, je ne peux éviter de me comporter en mère poule devant mes proches, et autant dire que James n'échappe guère à la règle. Certes, j'avais cerné rapidement tous les problèmes de communication qu'il pouvait avoir avec Maëlle, mais j'avais toujours estimé qu'il n'avait pas besoin des conseils d'une novice dans le domaine de l'amour. Avant Noah, je n'avais jamais connu l'amour véritable, je n'avais jamais cessé de passer d'un homme à l'autre par peur de m'attacher de trop. La peur de la vie de couple et de tout ce que cela venait à impliquer. Noah m'avait reproché d'être cette fille, il y a un an et demi maintenant, à une époque au cours de laquelle nous n'étions que des amants aux yeux de l'un et de l'autre, cette époque qui avait signé une séparation douloureuse provenant d'un homme qui avait besoin de renouer avec le véritable amour et qui n'avait guère besoin de trois ou quatre nuits agitées avec une femme qui ne le voyait pas autrement que comme son amant. J'en venais à me demander si James ne se servait pas de Maëlle comme moi, je m'étais servie de Noah fut un temps. Oserait-il seulement lui faire croire à une possible vie de couple ? Je doute, mais mon frère est si mystérieux qu'il faut sans doute s'attendre à tout avec ce dernier. « Très bien alors, je n'en ferais rien. Mais s'il te plait, ne le laisse pas tout gâcher. Vous méritez d'être heureux, tous les deux, ensemble, et non pas séparés les trois-quarts du temps. » Un mince sourire étira mes lèvres, un sourire qui se voulait sincère et réconfortant. Quoi qu'il en soit, si Maëlle se sentait dans le besoin de parler de ce qui se passait entre elle et James, je serais présente pour elle et nos conversations resteraient entre quatre yeux. Lorsque je lance le sujet fâcheux, je n'ai guère quitté la Bêta du regard, ne sachant plus quoi penser au fur et à mesure que les mots filaient entre ses lèvres. À sa question, je me contente de hausser brièvement les épaules, la laissant finalement reprendre la parole. Je me souvenais de ce que James avait clairement pensé, le jour où il avait appris pour ma grossesse. Que j'étais bien trop jeune et que Noah allait finir par regretter le fait de m'avoir mise enceinte. Je sais que mon frère lui en avait clairement voulu, et je me demande encore si, à l'heure actuelle, il a toujours une dent contre lui à cause de ce bébé qui a fait si subitement irruption dans notre vie. Cela expliquerait les tensions qui sont récemment apparues entre les deux hommes et qui ne cessent de m'exaspérer. Je dois veiller sur deux enfants, et je trouve le travail assez épuisant, alors encore veiller sur deux gamins de trente-cinq ans passés qui ne sont guère capables de se comporter comme de véritables adultes... non merci. Mon regard reste vide le temps de quelques secondes, fixant un point quelconque sur le sol avant que finalement, je ne repose mes yeux ébène sur Maëlle. « On croit toutes ne pas être fait pour cela, mais au final, il n'en est rien. Il faut juste se donner du temps et une chance, ne pas être trop exigeante avec soi-même... » Un fin sourire se dessine sur mes lèvres. Autrement dit, il ne faut pas agir comme moi. J'ai mis la barre haute suite à la naissance de ma petite Grace, une mère poule en puissance qui a ce besoin constant de veiller sur sa progéniture et de s'assurer qu'elle ne manque de rien. Autant dire que j'ai dû livrer un dur combat avec moi-même pour venir ici sans ma fille. Mais il faut prendre quelques détails en compte, comme mon agression au cours de mon septième mois de grossesse, la peur d'avoir perdu ce bébé qui se trouvait en moi, je me devais à présent de la protéger et de veiller sur elle. « Mais si tu n'es pas enceinte, très bien, le sujet est donc clos. » J'avais dû faire fausse route, il y avait après tout, bien des maladies présentant les symptômes que Louna avait pu m'évoquer il y a quelques jours à peine, mon esprit n'avait dû voir qu'une grossesse, alors que je ne faisais que penser et manger bébé à longueur de journée. Maëlle avait raison. Elle devait attendre, elle devait s'assurer un avenir et ne pas suivre la même route que moi. J'avais échoué aux examens de fin d'année, trop fatiguée, trop inquiète, me concentrer avait été un véritable challenge que je n'avais su relever. J'allais retaper mon année, si toutefois, je me donnerais la peine de continuer sur la voie de la médecine. « Cela dit, si tu couvres une gastro ou une quelconque autre maladie, tu devrais privilégier le thé plutôt que le café. » Clairement, elle n'allait pas si bien que cela, ça crevait les yeux, sans nul doute manquait-elle de sommeil, ou était-elle malade, à défaut d'être alors enceinte.