Il n’avait pas eu besoin de me le répéter que mes bras entouraient déjà le haut de son torse pour le raccompagner, claudiquant, jusqu’à ma voiture. Ravalant les gouttes de sang qui perlaient parfois à la commissure de mes lèvres, je l’installai alors sur le siège passager, en faisant le plus attention à ne pas réveiller d’autres douleurs et parvenant même à attacher sa ceinture sans trop de mal. Une fois assis derrière le volant, j’allumai le moteur et roula, pour une fois sans faire attention à ma vitesse de conduite, jusqu’à l’hôpital le plus proche. « S’il vous plait, j’ai besoin d’un médecin ! Mon ami est blessé ! » m’exclamai-je sitôt arrivé en aidant Nick à s’extirper du véhicule. Un lit d’urgence fut aussitôt rapporté, sur lequel Nick fut obligé de s’allonger afin de pouvoir passer radios et autres examens qui jugeaient de son état de santé, et des muscles froissés, voire des os brisés qu’il avait pu récolter dans la bagarre. « Je suis médecin, je reste avec lui. » Sachant cependant sur mon lieu de travail, l’hôpital général étant situé plus au Nord de la ville et me risquer à parcourir un tel trajet dans l’état dans lequel se trouvait Nick aurait été de la folie, les médecins de cet hôpital ne me permirent hélas pas d’assister à ses examens. Quoique ce ne fut pas tant parce que je ne portais pas avec moi mon badge de médecin, que du fait que j’étais moi-même blessé et qu’ils voulurent me soigner. « Je vais très bien, merci. » Je n’ai pas besoin de vous faire dessin. Je suis moi-même borné, en ce qui concerne la santé de mes patients, et particulièrement tenace quant il s’agit de celle de mes proches. J’ai aujourd’hui compris que c’était une manie typique de médecins, lorsque l’un d’eux se crut obliger de me traîner presque de force dans une salle inoccupée pour juger lui-même de mes blessures. « Vous aurez un magnifique bleu demain matin, et sans doute des boursouflures au niveau de votre mâchoire. » Sans doute presque certain, vous voulez dire. « Ce n’est rien. J’aimerai voir mon ami, maintenant. » « Qu’est-ce que c’est que ça ? Est-ce que c’est lui qui vous a faites toutes ces marques ? » Pardon ? Quelles mar… oh non. « Non, il n’est pas responsable. » Dans mon envie de retrouver Nick, je n’avais pas prêté attention au fait que ma chemise était légèrement déboutonnée sur le haut, ni que le médecin qui me soignait y avait jeté un rapide coup d’œil. J’avais oublié ces bleus qui maculaient encore la totalité de mon corps. « Ecoutez, je conçois que vous puissiez être amoureux. » Pardon ? Quel rapport ? « J’ai rencontré des dizaines de cas d’homme battu, vous savez. Ce n’est pas une honte, vous n’êtes pas responsable. Mais en tant que médecin, je dois faire mon devoir et vous prévenir que si vous restez avec lui, ce genre de coups finira par vous détruire, vous et votre couple. » Mes yeux s’écarquillent, alors que je me demande si finalement je dois rire ou me sentir offusqué. « Docteur, je ne suis pas gay. » Et encore moins en couple avec Nick. « Je ne vous juge pas, vous savez. » Oh non, pitié, pas de leçon de morale ce soir. Vous faîtes très bien votre boulot, mais je suis épuisé et j’ai surtout envie d’être aux côtés de mon meilleur ami. Alors, passons pour les civilités d’usage, voulez-vous. « Ca n’a rien à voir. Je ne suis pas gay, c’est tout. Et je ne suis en couple avec l’homme que j’ai ramené. Nous sommes juste des amis. » Sauf qu’il n’allait certainement pas se contenter de ce genre d’explications, cela va de soit. « Nous… nous avons été agressés, par des voyous. » Là, je le vois qui fronce les sourcils avant de soupirer. Bien, il m’a cru, tant mieux. « Je vois. Veuillez m’excuser pour mon … indiscrétion mais je voulais être certain que vous n’étiez pas maltraité. » Je comprends. J’en aurai fait de même à votre place. « Est-ce que je peux voir Nick, s’il vous plait ? » Il hoche la tête, après m’avoir prescrit des antidouleurs, constatant les grimaces qui animaient mon visage à chaque fois qu’il appuyait un peu trop sur l’une de mes ecchymoses, ainsi qu’une crème pour soulager mes lèvres déjà enflées.
 

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« Oui, oui c’est moi. Où est Nick ? Il va bien ? Je veux le voir. » Lorsque c’est un proche qui est souffrant, on a beau être médecin, on se comporte au final comme les patients que l’on a l’habitude de réconforter dans le même cas. A bout de nerfs et de fatigue, je cherchais en vain à apercevoir Nick sortir du bloc ou d’une quelconque salle pendant que l’infirmière essayait tant bien que mal d’avoir toute mon attention. « Oh God. » Une opération de la rate. Je suppose, au vu des blessures qui parcouraient son corps et que j’avais eu l’occasion de voir en arrivant tout à l’heure, que certains morceaux ont dû s’éparpiller un peu partout, d’où le fait qu’il ait eu besoin d’une opération pour réparer les dégâts causés lors de son altercation avec les deux autres brutes. « Je…oui, il… il a été agressé. » soupirai-je en passant une main sur mon front ainsi que sur mon visage. Lui dire que Nick était criminologue, qu’il avait une solide constitution et en même temps, était aussi borné qu’un âne dès qu’il s’agissait d’agir imprudemment, et à aller au-delà du danger risquait de la rendre suspicieuse. Et je n’avais pas envie que Nick m’en veuille, en plus du reste, du fait qu’il ait envoyé en soin psychiatrique pour soigner sa pathologie lié aux besoins absolus d’adrénaline. Je m’en chargerai moi-même lorsqu’il irait mieux. « Je …oui, très bien. Merci beaucoup, mademoiselle. » Finalement, ma profession eut raison de ma jugeote, puisque je m’affalais sur l’un des sièges au lieu de crier contre cette pauvre infirmière de me laisser entrer au bloc. Ici, je n’étais pas médecin. Ici, j’étais un ami de la famille et rien de plus. « Je devrais appeler Lucy. » murmurai-je pour moi-même après une demi-heure à réfléchir de la meilleure solution. La réveiller, si elle avait pu trouver le sommeil et ce n’était pas certain, risquer de l’effrayer, ou au contraire, garder le silence, sachant qu’elle finirait bien par apprendre la vérité un jour ou l’autre ? Malgré ce que mes amis ou ma famille, notamment ma mère avaient pu penser de moi lorsque j’avais disparu le mois dernier, je n’étais pas un cachottier et j’avais horreur du mensonge. Tant pis s’il le prenait mal, j’estimais que la jeune femme avait le droit d’être au courant, et que sa place était aux côtés de mon meilleur ami. Aussi, après avoir composé le numéro sur mon portable, j’informais Lucy des derniers évènements, à savoir l’agression de Nick, agression quoique parfaitement consentie, notre brève dispute, et de savoir qu’il était présentement au bloc en train de se faire opérer pour une opération de la rate. Après quoi, je lui laissais le choix de venir me rejoindre ici, à l’hôpital.
 

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Assis sur l’un des sièges mis à disposition de la famille, je n’entendis pas tout de suite Lucy arrive. Ce n’est que lorsque sa main se posa sur la mienne que je détournais le regard du sol pour le poser sur la jeune femme. Elle avait autant besoin de soutien que moi dans cette épreuve. Ce pourquoi, loin de m’éloigner, ma main se retourna pour permettre à mes doigts de serrer les siens. Doucement. Quand enfin, une infirmière vint nous voir pour nous signaler que nous pouvions rendre visite à notre ami, cela nous prit à peine quelques secondes pour le rejoindre, tellement nous étions heureux et soulagé de le savoir tiré d’affaire. « Très bien. » assurai-je au médecin en le regardant s’éloigner. Nick, porter plainte ? Autant demander à un phoque d’apprendre à dire bonjour. Ce n’était pas dans ses habitudes de se ‘défendre’ devant un public composé de policiers ou de magistrats. En outre, s’il était sorti ce soir, c’était précisément dans le but de se ‘battre’. Je ne pensais pas que ça irait aussi loin, cependant. J’espère d’ailleurs qu’il aura une meilleure raison que celle de mon absence à me présenter lorsque je lui demandais plus amples explications sur sa conduite imprudente et risquée.

Une fois dans la chambre, et après que Lucy ait épelé une faible voix le nom de son compagnon, je lui offris un sourire qui se voulait rassurant une fois qu’elle se retourna vers moi, comme pour chercher un réconfort dans mes mots ou mes actions. Il est vrai que j’étais médecin, soit le plus prompt de nous tous à me montrer moins ‘fragilisé’ par l’état de santé de mes patients. Sauf que voilà, Nick n’était pas mon patient, et il était mon meilleur ami. Deux raisons qui contrevenaient à ce principe. Cependant, Lucy n’avait pas besoin auprès d’elle d’un homme qui mettrait ses états d’âme et sa souffrance de voir son ami dans un tel état. Elle avait besoin d’être rassurée, écoutée, et comprise. Même si ce n’était pas tout à fait vrai, même s’il faudrait enjoliver la vérité pour la rendre plus acceptable, moins dure, à ses yeux. « Ca va aller. Il va s’en sortir, c’est un battant. » lui confiai-je au creux de l’oreille en la poussant à se rapprocher de Nick allongé sur le lit. Pour ma part, je resterai en retrait. Peut-être même que je m’en irais pour laisser aux tourtereaux le temps de se retrouver, et que Nick prenne la correction de sa vie auprès de Lucy pour avoir agi avec autant de zèle que de stupidité. Si ce n’est pas elle, ce serait moi. Plus tard. Lorsqu’il irait mieux. « C’est ça. » finis-je par grogner malgré moi à mon meilleur ami. Continue sur ce chemin, et tu vas m’entendre ! « Je pense que tu nous dois une explication à tous les deux, Nicky. » Je n’ai pas besoin qu’il me dise ce pourquoi il était là-bas. Je savais qu’il avait souffert de mon départ, de ma supposée mort. Non, ce que je désirais savoir, c’était : « Qui t’a mis dans cet état ? Est-ce que tu étais sur une enquête ou … ? » La cause officielle de son état, plutôt que celle officieuse.  

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Je ne sais pas si j’avais bien agi sur le moment, pour appeler Lucy et lui demander de venir retrouver Nick. Peut-être que c’était trop tôt. Peut-être aurait-il fallu un peu de temps. Sauf que j’aurai aimé qu’elle se confronte au regard de l’homme imprudent qu’il était, car je suis persuadé que si Lucy en venait à découvrir ses activités nocturnes, elle pourrait avoir une meilleure influence que moi pour le convaincre de cesser ses enquêtes qui le mettent à chaque fois en péril. C’est aussi parce que je n’avais pas envie d’avoir de secret pour la jeune femme. Certes, nous ne sommes pas véritablement des amis au sens où on l’entend habituellement, mais je sais dorénavant une chose : elle est revenue pour Nick, et de ce fait, je peux avoir confiance en elle. En d’autres termes, ne pas lui dire que son compagnon s’était retrouvé à l’hôpital, attendre qu’il puisse sortir – ce qui va demander un peu de temps soit-dit en passant – reviendrait à lui cacher la vérité, et il était hors de question pour moi, après la franchise dont elle avait fait preuve à mon égard, que je me mette à dissimuler des choses au profit de mon meilleur ami. Il me connaissait suffisamment pour savoir que j’étais un piètre menteur et qu’en plus, je n’appréciais pas le manque de sincérité. En revanche, quoique conscient de l’état de nervosité dans lequel j’avais placé Lucy malgré moi, et de la culpabilité que devait ressentir Nick en cet instant, j’avoue ne pas m’être attendu à ce qu’il m’envoie balader en faisant si peu preuve de bienséance. A croire qu’à chaque fois que je l’agaçais, il s’était décidé à se montrer insultant. Blessé au plus profond de mon être, mais ce n’est pas ni le moment ni l’endroit pour avoir une conversation à ce propos, je décidais de rester muet, les yeux baissés au sol en signe de soumission. Lorsqu’il me demanda de lui rapporter ‘quelque chose’, je compris tout naturellement qu’il désirait être seul avec sa bien-aimée. Est-ce encore une fois une raison pour me traiter comme un étranger, ou… un intrus ? Allons Noah, il est un peu perdu, effrayé, malade. Ne lui en veux pas. Je ne pouvais lui en vouloir de toutes façons après ce que moi-même, je lui avais fait endurer durant ce long mois. Je suis fautif, à moi d’assurer les conséquences de mes actes. Dus-je être humilié par Nick pour se faire. Sans les interrompre, et attendri par l’adorable vision du couple parfait qu’ils m’offraient l’un l’autre, je disparus dans le couloir pour me diriger vers le self destiné habituellement aux patients qui séjournent ici depuis longtemps, et qui, au lieu de déjeuner dans leur chambre, lui préfèrent un lieu plus convivial pour discuter entre eux. J’ignore combien de temps j’ai attendu sur ma chaise, le regard vide, pensif. Vingt, peut-être trente minutes. Les thés que j’avais fait mettre à ma disposition, ainsi que les plateaux repas avaient même refroidi depuis longtemps lorsqu’enfin, je me décidais à revenir vers le couple. Quoique je ne suis pas certain de vouloir entrer. Ils ont sûrement encore des tas de choses à se dire, et il se fait tard. Peut-être devrais-je revenir demain, ou dans quelques jours, ou même dans deux semaines, lorsque Nick serait sorti et qu’il voudrait véritablement m’adresser la parole autrement que par des piques ?

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