dark moves of love

Sur l’idée de Nick, ils se mirent à la recherche d’une petite épicerie. Comme n’importe quelle grande ville, San Francisco devient bien ruisseler de supérettes au commerce flamboyant tant la nature humaine est imparfaite. C’est que, malgré toutes les listes de courses que l’on peut faire, il y toujours quelque-chose que l’on va oublier au supermarché. Et comme il faut beaucoup de surface pour ces grandes surfaces, elles sont trop souvent situées à la périphérie. Des gens comme Nick, même s’ils ne venaient se réapprovisionner en un seul aliment seulement, il y en avait tellement que les supérettes en font leur chou gras. Un succès bien enviée d’où le florilège d’épiceries de ce genre de nos jours, allant même jusqu’à rester ouverte la nuit pour les plus avares des commerçants.
Tandis qu’ils déambulaient, côte à côté dans les ruelles d’Alamo Square, ils n’osaient – encore – se tenir la main. Personne ne les connaissait, ils étaient de parfaits inconnus ici. Mais au fond ça ne leur changeait pas tellement de Londres. Ils n’avaient jamais été très sociables. Et surtout, ils n’étaient que rarement sortis en public ensemble, tout du moins dans des lieux où l’on pouvait les reconnaître. Ce n’étaient pas qu’ils eu honte l’un de l’autre, loin de là, mais c’était comme cela qu’ils fonctionnaient. Cette habitude de vivre heureux, ensemble et caché, ou loin, leur était venu toute seule. Lucy, toujours autant occupée à scruter les « Painted Ladies », ne sentait pas le regard de Nick s’aventurer sur sa silhouette, tant elle était absorbée par la vie qu’elle observait. L’aller et le retour se firent en silence. Quand ce n’était pas Nick qui observait Lucy, c’était elle qui l’observait. Si bien qu’à deux ou trois reprises leurs regards se croisèrent. A chaque fois ils détournèrent leurs yeux comme deux gamins qui découvraient l’attirance pour la première fois. Elle aimait aventurer son regard sur sa silhouette grande et droite, sa peau d’une blancheur de perle, qui contrastait si intensément avec le sombre de ses cheveux, sa mâchoire, ses phalanges, sa démarche, la manière dont il se tenait toujours si droit comme un i, la colonne redressée, la tête en arrière, alors que quantité de personnes se baladaient recroquevillées sur elles-mêmes, Nick n’avait pas les épaules basses, il tenait également sa tête haute, fier, un peu prétentieux. Elle avait toujours trouvé qu’il avait un style intemporel et une carrure de statue grecque. Finalement, chacun alimentait ce silence pour pouvoir mieux observer l’autre. Quand ils ne parlaient pas, ils n’avaient pas besoin de se regarder, ainsi ils avaient tout loisir d’étudier l’autre quand il n’y faisait pas attention. Et fort heureusement, Lucy avait bien besoin de ce silence pour concentrer la totalité de son esprit sur la contemplation de son ancien amant. Elle n’avait pas fait cela depuis près de trois ans, ça lui manquait tellement. Alors qu’ils venaient de regagner le superbe bolide, son regard se posant sur l’autoradio, une question traversa Lucy. « Dis-moi Nick, qu’est-ce qu’il s’est passé dans le monde pendant que je n’étais pas là ? » Comme le trentenaire tourna vers l’enseignante un regard intrigué, elle reprit. « On était pas complètement déconnecté mais on était souvent trop fatigué ou démoralisé pour se tenir au courant. » Pour se tenir au courant d’un monde auquel les patients pensaient ne plus jamais revoir en somme.