Souriante et détendue – deux adjectifs qui décrivent parfaitement mon apparence et mon humeur, alors que je franchis le seuil du grenier.  Je crois que cela faisait des semaines que l’on ne m’avait pas vue aussi accessible, aussi sereine, aussi bien, tout simplement. Tout doucement, je redevenais la doyenne digne de ce nom, celle que les Bêta / Delta avaient toujours connu. La jolie fille, qui se la joue faussement potiche, faussement naïve et faussement superficielle pour mieux berner son monde. Celle-là même qui a des ambitions bien définies, et qui est prête à tout pour y arriver. Je n’avais jamais cherché à dissimuler cette ambition débordante ; seulement, personne – excepté quelques rares exceptions – n’avait jamais voulu voir que j’avais un cerveau, en plus de mon physique irréprochable. Dame Nature a été généreuse avec moi, je le conçois, et mon père s’est chargé de forger le reste. Quant au reste de mon caractère, à savoir la dangereuse et venimeuse manipulatrice séductrice, j’avais eu la meilleure école qui soit – celle de la vie, de l’expérience. J’allais d’ailleurs mettre en pratique quelques unes de mes qualités, mais les doux mots de Seth m’interpellèrent, et me touchèrent sincèrement. « Merci Seth. » Murmurais-je à voix basse, croisant le regard électrisant du Delta. Une de mes paumes vient se perdre sur sa nuque, et je lui souris franchement. « J’ai d’ailleurs eu vent de quelques… Comment dirais-je ? Rumeurs ? Racontars ? » Suggérais-je, ne sachant pas très bien comment définir les propos que j’avais entendu à son sujet, et qui concernait son couple avec June. J’ai finalement haussé les épaules, montrant par là que tout ce que j’avais pu entendre me passait complètement au-dessus ; tant qu’il était heureux, qu’il se portait bien, et qu’il en allait de même pour mon amie, ça me convenait parfaitement. « Bref, peu importe. J’ai entendu dire des trucs, et plutôt que de spéculer à n’en plus finir, j’ai préféré demander à une source fiable. » J’ai jeté un regard angélique à Kenzo, qui ne devait pas louper une miette de notre échange prolongé. « Je voulais juste te dire que j’étais contente pour toi. Vraiment. » Ajoutais-je, un peu maladroitement. Les Bêta / Delta ne sont guère doués dès qu’il s’agit d’évoquer une quelconque forme de vie sentimentale sérieuse, et mon manque d’assurance souligne clairement ce défaut. Pas chamboulée un seul instant par cette observation, je me détourne d’un Delta pour aller en trouver un autre. Mon officiel, en l’occurrence, qui m’accueille mieux qu’il n’accueillerait la reine d’Angleterre. En même temps, vu la proposition indécente que je viens de lui faire, l’inverse m’aurait franchement froissé.  « Encore. » Répétais-je, ouvertement moqueuse, alors que nous nous trouvons enlacés. Je lève les yeux vers lui, et je secoue la tête. Tant d’indifférence et d’ingratitude venant de la part de mon propre président de confrérie, c’est moche.  « Plains-toi. » Ajoutais-je en roulant des yeux. « Monsieur bénéficie d’une promotion canapé, et il se permet encore de faire la fine bouche. La plupart des mâles qui aurait ta chance se contenterait de dire « oui madame », et de satisfaire toutes mes envies et mes caprices avec fierté et gratitude. »  En toute modestie, évidemment. Du grand Valentina Jaslang, et c’est le moins que l’on puisse dire. « Et il a fallu que je tombe sur l’exception qui confirme la règle. Pauvre de moi. » Ajoutais-je, me détachant finalement de son étreinte rassurante. Je lui souris légèrement – à aucun moment, je n’avais été sérieuse. Kenzo me connaissait suffisamment pour savoir que je ne disais cela que pour me moquer gentiment de lui, pour le taquiner. Je me dirige vers Casey pour prendre le verre qu’il venait tout juste de me servir. « Merci. » Kenzo en profite en même temps pour exposer les plans de la soirée au reste des Bêta / Delta. Apparemment, chacun semble satisfait – une chance, songeais-je, presque rassurée. Il faut dire que ces derniers temps, entre les interrogatoires, les regards suspicieux et les murmures qui avaient pu courir sur chacun d’entre nous, il était difficile de s’y retrouver, et d’être un minimum détendu. Chacun avait eu, tôt ou tard, les nerfs mis à vif. L’atmosphère était devenue lourde et pesante sur le sol californien – à vrai dire, je m’attendais toujours plus ou moins à ce qu’une annonce fracassante vienne perturber le calme apparent du campus de l’université. Mais en attendant que le ciel ne s’assombrisse, je regarde furtivement chaque Bêta et Delta qui se trouve dans la pièce. La confrérie, dans son entièreté ou presque, a fait le déplacement, donnant ainsi suite à l’appel chantant du président de confrérie. Et franchement, ça me rend fière. Vraiment très fière. Mon regard se pose ensuite sur Kenzo, qui vient de subir un revers de médaille inattendu. Tel est pris qui croyait prendre, en fin de compte. « Bien joué les filles. » Ricanais-je, amusée. Le temps d’un instant, j’offrais mon soutien aux Bêta. La solidarité féminine à tout prix, aux dépens de mon petit ami. C’était pas beau, ça ?