Je n’osais plus me retourner, de peur que cette vision n’ait vraiment un effet négatif sur ma vision. Que mon fils soit bisexuel, ok, je pouvais le concevoir et l’accepter. Le voir nu, collé à un autre jeune homme, tous deux essoufflés par l’intensité d’un ébat sexuel, non, ce n’était clairement pas possible. Rien d’homophobe. J’aurais pu le trouver avec une femme que ça m’aurait fait le même effet. Bon, peut-être pas aussi poussé en fait. Mais j’estimais que je n’avais pas à connaître et être le spectateur de la vie sexuelle de mon fils. Quelle horreur ! J’en avais froid dans le dos ! Je les entendais tous les deux se relever tandis que l’un s’agitait plus que l’autre. J’en déduisis qu’il s’agissait de Benedikt. Les deux étudiants étaient surpris et gêné par la situation, alors que Joe n’avait pas encore bougé d’un millimètre. Pourtant, cela ne signifiait pas qu’il restait neutre. Disons qu’il était comme choqué et désabusé.

Il ne fallu pas beaucoup de temps pour que Kilian et Benedikt se prennent ouvertement la tête. Le fils Shark rejetait totalement la faute sur le mien, et ce dernier ne tarda pas à se défendre de ses griffes aiguisées. Ce qu’ils sous-entendaient tous les deux me fit froid dans le dos. Stop ! Stop ! Stop ! Je ne veux pas en savoir plus, par pitié ! Lorsque j’en déduisis qu’ils venaient de se rhabiller, j’acceptais enfin de me retourner pour les observer. Kilian n’osa même pas croiser mon regard. Quant à Joe, après avoir lancé une remarque cinglante à mon fils, se dirigea vers son minibar. Je le suivis des yeux alors qu’il buvait une longue gorgée de whisky. Je le vis serrer les dents sous l’effet. J’en aurais pris volontiers également. Cependant, mon attention entière se reporta sur mon aîné qui cherchait à se défendre alors que Shark prenait place dans l’un des fauteuils de son salon.

- En fait... euh... on voulait juste... Oh, Papa, c'est bon, arrêtes ton cinéma ! Je me tape Benedikt, tu te tapes Cheyenne avec Sydney : un partout, la balle au centre et on n'en parle plus !

Là, mes yeux s’écarquillèrent telles des soucoupes. Mais qu’ai-je fait au ciel pour avoir un fils aussi boulet à cet instant précis ? Là, mon regard fit la navette entre Benedikt et Joe. S’attardant d’ailleurs sur ce dernier. Alors là, ça craignait. Je lisais sur son visage qu’il en était encore plus choqué. Après tout, ça paraissait normal. Il n’était pas au courant que Cheyenne, Sydney et moi avions déjà fait l’amour tous ensemble. Lui même avait fait partie d’un plan à trois avec nous et probablement avait-il cru qu’il nous avait fait goûter une nouveauté. Ce qui était le cas. Quoi qu’il en soit, pour le coup, j’eus l’impression d’être un pervers sexuel bon pour les clubs échangistes et friand d’orgies. Pourtant, ce n’était absolument pas le cas. Sydney, comme Joe, ça n’avait jamais été prémédité. C’était arrivé au cours de la soirée, car si cela avait été prévu, il est clair que Cheyenne, comme moi, aurions été incapable de faire quoi que ce soit. Bref. Là n’était pas la question. J’avais juste envie de m’enfuir au courant pour ne pas qu’on me castre. A croire que les Salaun et les Shark étaient faits pour se connaître, sexuellement parlant.

- Oh je t’en prie, il n’est pas question de moi à l’heure actuelle. Donc merci de ne pas chercher à te comparer à moi pour te défendre, d’accord ?

Je reportais finalement mon attention sur Shark, qui, en même temps, avait fini par ouvrir de nouveau la bouche pour s’exprimer.

- Mais vous, tu... Benedikt, tu... non, ce n'est pas possible... tu... tu le savais, toi ?!

L’anglais semblait au bout du rouleau, alors que je fis la navette entre Kilian et Benedikt.

- Non, j’en savais rien. Sinon je ne l’aurais jamais emmené ici pour qu’ils se retrouvent seuls !

Je croisais les bras contre mon torse en fronçant les sourcils, faisant encore et toujours ressortir ma ride du lion.

- Vous êtes ensemble, c’est ça ?

Qu’il y ait au moins une bonne explication…

En voyant la réaction de Benedikt ainsi que celle de Kilian, je compris que le ton que j’avais employé pour leur demander s’ils étaient ensemble, n’était pas le bon. En effet, loin de moi une idée de dégoût par rapport à cela. D’ailleurs je savais très bien que mon fils était sexuellement actif avec des hommes. Je l’avais accepté et savais que pour un père de famille, j’avais un esprit assez ouvert. Le problème n’était pas là. Et si mon ton avait pu paraître agressif voir dédaigneux, c’était uniquement parce que ce qui m’écœurait dans le fond, était d’avoir vu Kilian à la fin d’un acte intime. J’avais tendance à le voir encore comme le garçonnet que j’avais connu et élevé. Et le fait de ne pas avoir été présent en plus d’une décennie mais faisait culpabiliser à l’idée de le voir être déjà un homme. J’avais loupé une grande partie de sa croissance. Et j’avais encore du mal à m’y faire. Il faut savoir que si je l’avais vu dans une telle situation avec une femme, ça m’aurait fait à peu prêt le même effet. En tout cas, ma réaction n’avait rien à voir avec celle qu’avait présentement Joe.

Ce dernier semblait complètement désabusé. Comme s’il avait loupé quelque chose dans l’éducation de son fils. Lui qui avait toujours été un coureur de jupon doublé d’un Don Juan et triplé d’un Casanova, la nouvelle semblait difficile à accuser. On venait d’atteindre son égo. Pourtant, je ne lui jetais pas la pierre. Je pouvais tout à fait comprendre que cette nouvelle, de la façon dont elle avait été lâchée, pouvait représenter un énorme choc. Quand je voyais l’état dans lequel je me trouvais, je ne pouvais qu’être d’accord avec lui sur sa réaction, en sachant que moi-même était déjà au courant de la bisexualité de mon fils. Mais je reportais bien vite mon attention sur Kilian qui reprit la parole avec un brin de colère qui me fit froncer les sourcils.

- Ce n’est absolument pas un problème, et tu le sais très bien. Ce que je veux dire, c’est qu’effectivement, je ne t’aurais pas emmené ici si j’avais su que Joe et moi serions tombés sur vous ! Tu ne peux pas m’en vouloir d’être choqué par ce genre de situation. Après, tu te tapes qui tu veux, t’es majeur et vacciné !

Je grognais en fixant mon fils. Je n’appréciais pas l’homme pour lequel il me faisait passer. Il me connaissait assez pour ne pas avoir à tenir ce genre de discours contre moi. S’il avait été choqué en me surprenant avec Cheyenne et Sydney, il pouvait très bien comprendre mon point de vue actuel. Quoi qu’il en soit, je reportais finalement mon regard sur Joe qui venait de reprendre la parole, nous coupant, Kilian et moi, dans une petite joute verbale.

Parallèlement à nous, Joe et Benedikt se retrouvaient l’un en face de l’autre, à s’envoyer des paroles peu agréables. Je décidais de ne pas m’en mêler dans la mesure où là, il s’agissait d’une conversation entre un père et un fils. Je me contentais donc de les observer, même si je tiquais à la dernière remarque de Joe.

- Je vais te donner une bonne raison de me détester, tu vas voir. Files dans ta chambre, et interdiction de vous revoir en dehors de l'université ! Et je t'aurais à l'œil aussi là-bas !

Kilian réagit au quart de tour alors que pour ma part, je restais immobile, les sourcils froncés, ne comprenant pas vraiment comment Joe pouvait tenir de tels propos. Je pouvais comprendre qu’il soit vexé, mais on n’interdit rien à un jeune homme de vingt ans passé. Qu’espérait-il ? Benedikt comme Kilian étaient assez grands pour prendre leurs propres décisions. D’ailleurs, j’étais d’accord avec mon fils : techniquement, il n’avait rien fait de mal. Ils n’avaient pas commis de meurtre, ou bien une bêtise qui méritait qu’on leur jette la pierre. Non, on était au vingt-et-unième siècle, dans un état civilisé. Et j’estimais qu’il n’y avait aucun honte d’être attiré par un homme. C’est pourquoi, sous le regard de Kilian, je fis un pas en avant pour passer un bras entre Joe et son fils, de façon à faire reculer mon meilleur ami.

- Tu ne trouves pas que tu exagères ? C’est vrai, ils n’ont rien fait de mal. S’ils sont attirés l’un par l’autre, qu’est-ce que tu veux y faire ? Tu n’as aucun contrôle là-dessus. Et je vais te dire quelque chose Joe, quelque chose qui risque de ne pas te faire plaisir mais… si ton fils est capable de coucher avec un homme, si tu l’éloignes de Kilian, ça ne le rendra pas aussi hétéro que toi. Dans ces cas-là, séquestre-le, ça ira plus vite, mais ça non plus, ça ne changera rien.

Finalement je me tournais vers Kilian et Benedikt, avant de reprendre la parole.

- Moi, je vous autorise à vous voir, même si dans le fond, vous n’avez pas besoin d’une quelconque autorisation. Et vous savez pourquoi ?

Là, je me tournais vers Joe avec un regard sérieux.

- Parce que ton fils a été présent pour le mien quand il en avait besoin, comme toi tu as été là pour moi. Alors ravale ta fierté et accepte qu’ils soient meilleurs amis, quoi que ça puisse signifier de façon plus intime.

Spoiler:

Si Benedikt voulait se défendre auprès de son père avec des arguments de taille, il s’y prenait particulièrement mal. En effet, bien que je n’aie strictement rien contre les rapports homosexuels, la façon dont il expliqua à son père pourquoi il préférait les hommes, me mit mal à l’aise. Joe n’avait pas besoin de le savoir, et dans ses paroles, son fils aîné le contraignait à se faire une image de lui, en train de se faire prendre. Cela me fit frissonner, à tel point que je me sentais désolé pour mon meilleur ami. J’aurais aimé réagir, mais dans le fond, il s’agissait là d’une discussion père/fils. Chacun avait ses tords et ses raisons. Mais j’imaginais aisément que Benedikt aurait pu s’y prendre d’une toute autre façon. Et alors que je pensais que la discussion avait connu son pire déroulement, ce ne fut rien comparé au moment où il avoua à Joe que dans le fond, c’était lui le problème. J’eus mal pour Shark, et m’en voulais presque d’être présent et de lui affliger cela. Peut-être était-il temps pour Kilian et moi de mettre les voiles.

Et si Joe ne laissa rien transparaître, j’aurais mis ma main à couper qu’il venait d’être blessé en plein cœur. Un long silence s’était installé. Il ne fit aucune remarque sur le fait qu’il n’était, aux yeux de son fils, qu’un problème. J’eus confirmation de mon hypothèse lorsqu’il envoya à Benedikt un pic, en lui expliquant qu’il sera un problème jusqu’au bout, pour lui donner une bonne raison de l’avoir caractérisé ainsi. Au-delà des apparences, Joe ne possédait pas autour de lui une forteresse indestructible. Il était possible de la fissurer pour le blesser. Mais il fallait y mettre de la force, ce que son fils aîné avait réussi avec perfection. Finalement mon regard croisa celui de Kilian qui venait de mettre sa veste, et qui avait récupérer sa canne au passage. Nous n’eûmes pas besoin de mots pour nous comprendre, comme souvent. Il était grand temps de partir et de laisser père et fils Shark discuter entre eux.

Je me dirigeais rapidement vers la cuisine, rejoignant Joe qui s’y était rendu pour je ne sais quelle raison. J’y récupérais mon casque de moto, avant de me tourner vers lui, le regard compatissant. Ma main se déposa sur son épaule, dans une tape virile, puis mes doigts ébouriffèrent ses cheveux, tandis que je lui murmurais :

- Ton fils est énervé. Il ne pense pas ce qu’il dit. Calmez-vous chacun de votre côté avant de rediscuter de cette histoire.

Mon regard restait fixé dans le sien, jusqu’à ce que je lui adresse un sourire.

- Et tu es un bon père. Ne doute jamais de ça, Shark.

Et je le pensais réellement. Bien évidemment, il avait ses défauts, mais également de nombreuses qualités qu’il ignorait très certainement. D’un point de vue extérieur, je pouvais l’affirmer. Les regards de fierté et protecteurs ne trompent pas. Joe aime ses enfants et veut le meilleur pour eux. Il manquait juste de tact pour s’exprimer. Finalement je quittais la cuisine pour rejoindre la porte d’entrée. Je passais devant Benedikt et mon regard se déposa sur lui.

- Ton père s’exprime parfois mal. Mais ne lui manque pas trop de respect non plus. Faites la paix tous les deux.

Cela n’était pas un reproche à Benedikt. Je ne me le permettrais jamais. Je souhaitais seulement que les deux se réconcilient pour ne pas faire face à une longue période de tension que j’avais pu connaître avec Kilian. D’ailleurs je croisais le regard de ce dernier, avant de sortir de la maison Shark avec lui. Mes lèvres se déposèrent instinctivement et brièvement sur sa tempe. Et finalement, je lui donnais le casque de moto.

THE END