Ses mots raisonnaient encore dans ma tête lorsqu’elle m’entraina vers le bureau du professeur. Cette fois je me laissais guider, comme si j’étais victime d’un choc ou d’une perte de connaissance. J’étais moi, sans l’être vraiment… Aengus avait quelque chose de relativement inquiétant dans la voix, sa manière d’être, ses mots, ses gestes, elle n’avait pas l’air d’aller bien. Je sentais la culpabilité m’envahir, et en même temps je ne pouvais pas m’empêcher de cracher des injures dans ma tête. Pourquoi fallait-il que je me sente mal ? Elle était la seule responsable de cette situation ! Sans excuse valable pour ne pas avoir travaillé, elle ne méritait pas de seconde chance ou même que je fasse preuve de clémence. Pourtant, j’avais beau penser faire ce qui était juste pour moi, j’avais la désagréable sensation de la trahir, de faire semblant de ne pas voir qu’elle cachait quelque chose. Je ne voulais pas insister, elle n’avait pas envie de partager ses secrets avec moi, sans doute étais-je trop jeune, pas vrai ? Aengus est un personnage singulier, tout ce qu’elle dit sonne soit très fou, soit très triste, mais je ne l’avais encore jamais vu comme cela. Elle me parlait de tête sur les épaules, la sienne n’étant plus en place ou quelque chose dans ce genre là. Qu’essayait-elle de me dire ? Qu’elle était décapitée ? En tant que future psychologue, j’allais devoir songer à m’améliorer dans l’analyse du comportement et du langage. Je voyais bien que quelque chose n’était pas normal, mais quoi ? Je n’arrivais pas à mettre le doigt dessus et sans indice de sa part j’avais bien peur d’être impuissante.

Aengus entra dans le bureau sans frapper, j’étais sur ses talons, gênée de me trouver dans cette situation. J’avais l’impression d’être celle qui allait commettre une grave erreur en toute connaissance de cause. A l’instant où j’aurais ouvert la bouche et où je révèlerais à notre enseignant la vérité sur notre devoir, s’en était fini pour elle. Il nous observa, un air moyennement heureux de nous voir ici. Aengus referma la porte, je me retrouvais devant lui, comme la crétine que j’étais. Il était trop tard pour faire marche arrière sans passer pour la fille la plus indécise de la planète. Il allait falloir assumer jusqu’au bout ma décision de « dénoncer » ma camarade. Je n’avais jamais fait cela avant, mais finalement, j’ouvris la bouche et les mots sortirent naturellement. Je ne réfléchissais même plus à ce que je racontais, mais je sais que je délivrais l’histoire le plus simplement possible, sans en faire des tonnes et sans minimiser non plus. Une fois mon petit speech terminé, je baissais la tête, honteuse. Je venais vraiment de cafeter à mon professeur. C’était sans doute la chose la plus immature que j'ai jamais faite de toute ma vie. Aengus n’avait pas bronché, c’était à peine si on l’entendait respirer. « Mademoiselle Collins, merci de votre honnêteté envers moi. Je suis vraiment désolé que vous ayez eu à faire tout le travail seule, et sachez que votre note vous saura belle et bien comptée, j’ajouterais également une appréciation pour préciser votre implication dans ce projet. » Il marqua une pause. « Quant à vous Mademoiselle O’Griffin, je crois que nous avons des choses à nous dire. Mademoiselle Collins, veuillez nous laisser s’il vous plait, votre camarade et moi-même allons maintenant discuter la façon qu’elle va devoir employer pour rattraper ce devoir non fait. » Je replaçais mon sac sur mon épaule, hochais la tête à l’intention du prof, puis je me tournais, faisant face à Aengus. Je marquais une pause, plongeant mes yeux dans les siens, je ne souriais pas, au contraire. Je murmurais du bout des lèvres : « Désolée », puis je rouvris la porte et quittais le bureau laissant Gus’ livrée à son propre sort. Je commençais à marcher le long du couloir pour regagner la sortie, à mesure que j’avançais j’accélérais si bien qu’au final c’est en courant que je rejoignais l’allée des Grecs. J’avais les yeux pleins de larmes, honteuse d’avoir trahie celle que j’aurais pu appeler une amie.