"Marc, la voiture n'est pas là, fais-la venir. Comment ça, mon chauffeur s'est fait renverser ? Et alors ?" Et certains oseront dire que je suis inhumain... un type est à l'hôpital avec deux fractures ouvertes et un traumatisme crânien : ma principale préoccupation, sans surprise, est l'heure à laquelle j'allais pouvoir rentrer chez moi. Les soucis du petit peuple ne m'importaient pas. "Écoutes, si tu ne me fais pas venir une voiture dans les deux prochaines minutes, je veillerai personnellement à ce que tous les bars gays de la ville sachent que tu es une usine à MST, c'est clair ?" Je raccrochai, en entendant à peine le hoquet terrifié de mon assistant. Je suis mauvais, mais au fond, c'est bien l'un des seuls êtres humains pour lequel j'ai une réelle affection. Mais comme tous les Anglais - et businessmen tyranniques - je le cache avec une habileté sans égale. Une minute trente plus tard, une limousine se gara devant moi. A bord, il y avait un thé au citron chaud et c'est une ravissante jeune femme blonde physiquement intelligente qui conduisait le bolide. Au moins, Marc savait se faire pardonner. C'est armé d'un sourire de prédateur que je montais à l'intérieur du véhicule qui me ramènerait chez moi. Je ne pouvais pas encore reprendre le volant seul d'après le médecin, mon organisme n'étant pas encore entièrement habitué à la disparition d'un de mes reins. J'avais déjà dû batailler pour que Noah me laisse partir au bureau... le fait que la fille de Sydney soit enfin née m'intéressait sur un seul plan : mon frère de coeur était débordé par ses nouvelles tâches de père adoptif. Plus il s'occuperait de ce ver de terre difforme et bruyant, moins je l'aurais dans les pattes pour me surveiller. Serait-ce surprenant de vous dire que j'avais tenté de l'étrangler avec le flexible de la douche quand il avait voulu me donner un bain lui-même à la sortie de l'hôpital ? Bref, je retrouvais enfin les joies du bureau et je pouvais déverser à outrance ma mauvaise humeur sur mes employés. Le tyran est de retour, soyez prêts au pire.

La limousine s'arrêta devant ma maison. Après un baiser volé à la ravissante conductrice qui glissa son numéro de téléphone dans la poche de mon pantalon - non sans avoir les mains baladeuses au passage - je rentrais chez moi avec un sentiment de légèreté. "Connor, tu peux couper ton film pornographique, je suis là !" L'humour anglais, parfois douteux. Oui, je m'adresse à mon fils de neuf ans. Fils qui sortit la tête du salon en fronçant un peu les sourcils, surpris. "C'quoi un film pornographique ? - Je te montrerai. Ou je t'en offrirai un à ton anniversaire, si tu as de bonnes notes. Allez, files faire tes devoirs dans la cuisine. Et n'abuses pas sur les gâteaux secs pour ton goûter. Je le saurais." Ca ne se voyait peut-être pas, mais j'étais de bonne humeur... pas d'excitation inutile, c'était uniquement dû au décontractant musculaire et à l'autre cachet que je dois prendre à cette heure-ci. La raison de cette gentillesse toute relative est purement médicinale, rien de naturel.
Alors que je venais de défaire ma cravate pour rester en simple chemise, ma veste posée sur l'accoudoir d'un fauteuil, je regardai le courrier avec un certain intérêt. Factures, publicité. Une carte postale ? Poubelle. Soudain, j'entendis sonner à la porte. Dans un grognement de mécontentement - typique de l'insociable par excellence qui n'aime pas avoir affaire aux autres chez lui - je me levais pour aller ouvrir. Et d'un coup d'un seul, l'effet anesthésiant de mes deux comprimés s'éteignit. "Oh God..." Non, je n'avais rien pour être réjoui. Léonie, à la rigueur, pourquoi pas. Mais l'animal hirsute et sauvage à côté d'elle, non merci. Si c'est pour que l'odeur de fauve humide s'imprègne aux murs... il y a déjà un chien dans cette maison, deux animaux de compagnie en même temps seraient définitivement de trop. "Et la pluie rend son pelage encore plus fouillis qu'en temps sec." lâchai-je avec un air plus snob que jamais, dévisageant mon fils avec un dédain doublé d'un mépris particulier. Je tolérais sa présence de façon épisodique... ou disons que je le laissais voir avec Noah pour qu'il puisse fréquenter son petit frère. Moins je voyais ce fils aîné qui m'avait clairement menacé, mieux je me portais. Je savais qu'il cherchait à me nuire, chose que Noah se bornait à ne pas voir. Qu'importe, fréquenter cette progéniture indésirable ne m'attirerait que des problèmes. Tenter une relation père-fils pour me faire pardonner ? Jamais. C'était prêter le flanc au coup de bâton. Grossière erreur.

"Connor, montes dans ta chambre. Maintenant." J'avais repassé la tête à l'intérieur, veillant à ce que mon cadet ne croise pas le regard de son aîné. Débarquer à l'improviste est une chose que je haïssais. A mon bureau et encore davantage dans ma demeure. L'enfant s'exécuta en vitesse et à peine monta-t-il deux marches vers l'étage que je levais les yeux au ciel, face au Russe et à mon "élève" particulière. "Et poses cette boîte de biscuits sur les marches." Même de dos j'arrivais à le griller, la rumeur voulait que j'ai des yeux derrière la tête ou des dons de télépathe. Un grommellement plus tard, suivi d'un bruit métallique, Connor consentit à obéir et fila au premier. Ce n'est qu'à ce moment que je m'écartais pour laisser rentrer Léonie. "Vous pouvez rentrer. Et vous avez une minute pour m'expliquer ce que vous fabriquez ici avant que je ne vous mette à la porte par pure lassitude... ou par agacement." J'en profitais pour remettre la boîte de biscuits dérobée par mon fils à l'intérieur du placard puis attendit les bras croisés. Sourcil arqué et mine fermée. Le Shark mécontent dans toute sa splendeur.

Spoiler:

"La niche du chien est encore libre, il est partageur." Oui, je traitais mon fils n'importe comment, il en avait autant à mon service. Un partout la balle au centre. En revanche, lorsque Léonie m'avait embrassé avec autant de proximité, j'avais froncé les sourcils avec surprise. Pourquoi se permettait-elle un rapprochement de la sorte ? Face à Benedikt ? Non pas que j'ai honte de mes conquêtes devant le Russe, mais ma nature britannique ne souffrait pas les épanchements affectifs ou physiques. Noah était d'ailleurs l'exception à la règle, mais passons. Ce contact avait eu toutefois l'occasion de transmettre une certaine odeur qui me surprit, encore plus venant d'elle. De l'alcool. Et le reste de son comportement traduisait les soupçons que je nourrissais à son égard. Le visage fermé, je tournais la tête vers Benedikt qui ruinait mon canapé avec ses fringues bon marché qui dégoulinaient sur le mobilier sophistiqué. Décidément, c'est à se demander comment j'ai pu engendrer un garçon pareil. Il détonnait tellement que je me demandais ce qu'il pouvait bien avoir de Britannique hormis le sang. La moitié du sang. J'attendais donc d'avoir le fin mot de cette histoire et de ce rassemblement impromptu qui me portait déjà sur les nerfs. Et Dieu sait que m'énerver en ce moment était encore moins recommandé que les autres jours de l'année.

La nouvelle ne tarda pas à tomber et, déjà, je braquais un regard mauvais à mon fils aîné. Juridiquement ? Vraiment, fils ? Tu veux qu'on se lance sur le sujet ? J'ai déjà prouvé une fois que je faisais ce que je voulais du système judiciaire, peu importe le pays. Malheureusement pour les cloportes sans ressources, nous vivons dans une société où l'argent est roi. Et j'ai une fortune qui me permet de régner sans partage. Une fortune que j'ai obtenu seul. Toutefois, je décidais de ne pas hausser le ton. Je n'étais pas l'un de ces hommes impulsifs et violents, hurlant à tout va dès que quelque chose lui déplait. J'étais bien plus calculateur et pernicieux que cela. A vrai dire, je ne regardais déjà plus Benedikt. Quelque chose d'autre m'intriguait et je comptais commencer par prendre les choses dans l'ordre. "Tu as bu, Léonie." Constat simple mais déjà frappant, à en juger par le ton froid et cassant que j'employais. J'étais amateur d'alcool et de grands vins, mais jamais à l'ivresse. Se soûler pour une raison ou pour une autre me paraissais stupide. Vulgaire. Sans but. Lâche, tout simplement. Et qu'elle arrive dans un état pareil sous mon toit me déplaisait fortement. "Cesses de dire n'importe quoi et tiens-toi tranquille. Si tu veux que je t'accorde du crédit, tâches d'être responsable. Tu m'apprendras mon rôle de parent lorsque tu éviteras de boire pour t'adresser à des adultes." Je tournais enfin mon regard bleu lagon vers mon fils aîné, à la fois doucereux et mauvais. A son tour, maintenant. "Du chantage avec des photographies compromettantes… décidément, tu colles à la famille Shark de jour en jour." Ironie et dédain à la fois. Je n'étais même pas surpris de la part du Gamma. "Tu vas cesser ce petit jeu maintenant, Benedikt. Tu vas arrêter si tu veux t'épargner quelques nouveaux désagréments." J'avais voulu laisser Léonie s'en occuper, ça n'avait servi à rien. A rien du tout. Et cette situation m'agaçait très sérieusement. Si Benedikt se voulait menaçant, je pouvais l'être aussi, et il savait de quoi j'étais capable.

Spoiler:

"Baisses d'un ton." Je m'adressais à Léonie sur un ton tranchant, autoritaire, qui ne souffrirait pas le moindre refus. Elle avait bu et c'était une chose qui m'était absolument insupportable. Elle parlait de façon irrationnelle, niait d'être éméchée alors qu'elle en avait tous les symptômes, y compris l'odeur. Ma maison n'est ni un refuge pour immigrés russes ni un squat d'ivrognes en jupe. De la tenue, dans la maison Shark... dixit celui qui prend son lit pour un péage d'autoroute à bimbos. Faites ce que je dis, pas ce que je fais. Bref, je secouais la tête dans un sifflement mécontent, décidé à ne pas tenir compte des propos de Léonie hormis quelques exceptions. Si elle était majeure, elle aurait été suffisamment responsable pour me téléphoner avant de venir et de ne pas avoir bu la moindre goutte d'alcool. Quant aux citations de films, elles me sortaient par les yeux pour l'instant, ce n'était pas le moment de s'adonner à ce genre de passe-temps idiot. Bras croisés, j'étais plutôt en train de fixer Benedikt avec une rigueur absolue, conscient de la haine qu'il pouvait me vouer. Ou qu'il laissait paraitre. Je lui inspirais de la crainte ? Il y avait de quoi. Les choses auraient pu se passer tout à fait différemment s'il n'avait pas entamé nos rapports en me menaçant sur mon propre territoire. J'aurais sans doute était beaucoup moins inhumain et insensible envers lui si dès le départ, les choses ne s'étaient pas posées de la sorte. J'étais en face de mon fils, de la chair de ma chair, et je savais que je n'éprouverais pas le moindre remord à le renvoyer en Russie. Ou ailleurs. A faire en sorte que son isolement le réduise au silence une bonne fois pour toutes. Noah n'était pas là, parfait. Même si je renouais avec lui de plus en plus, ses interventions concernant le Gamma m'horripilaient. Il n'avait aucune maison d'édition à diriger, il n'avait que sa vie d'écrivain en cours de reprise et son métier d'instituteur. Le jour où il aura charge d'entreprise à un niveau comme le mien, je lui accorderai davantage de crédit. Cet enfant voulait me punir, me démolir pour ce que j'avais fait à sa mère, me tenant pour responsable de la misère dans laquelle ils avaient vécu tous les deux. Et puisqu'il avait engagé ce bras de fer de lui-même, je ne verrais pas d'autres options que la guerre jusqu'au jour où j'aurais l'assurance qu'il ne pourra plus nuire ni à moi, ni à mes proches, ni à ma carrière.

"Hate means nothing when it comes from people who doesn't mean anything." rétorquais-je en anglais, le fixant avec un très léger sourire moqueur. Oui, la haine ne signifie rien lorsqu'elle émane de gens insignifiants. Je voulais le rabaisser, lui montrer une fois pour toutes que ses tentatives pour me briser ne le mèneront de toutes manières qu'à un mur. Un mur probablement froid, isolé, dans le fin fond des plaines désertiques de son pays natal. Je récupérais les photos avant Léonie. Je les garderai avec moi et me chargerait personnellement de leur destruction complète. J'avais d'ailleurs lancé un regard hostile à l'étudiante qui ferait bien de rester à sa place plutôt que de vouloir insister pour les récupérer. Noah m'aurait secoué dans tous les sens s'il avait été là, mais ici j'étais chez moi. Et il était grand temps que chacun reprenne sa place. "Restes ici." Je m'étais planté rapidement devant Benedikt pour l'empêcher de passer pour rejoindre son frère. Pas ce soir. J'étais bien de trop en colère pour lui faire le plaisir d'aller voir le seul membre de cette famille qui devait l'apprécier. Exception faite de Sophie qui, si elle le rencontrait, se montrerait sans doute aussi attachée que Connor, même si mon ex ne faisait pas à proprement parler partie de "ma" famille. Visage fermé, regard mauvais et poing fermé. Qu'il n'insiste pas, cela valait mieux pour lui.

Derrière cette ambiance pour le moins électrique, une question me traversa l'esprit. "Par curiosité malsaine de ma part, quel était ce chantage ?" Je ne pensais pas devoir infliger un quelconque blâme inutile à Benedikt pour ça... après tout, même si ses efforts étaient dirigés contre moi, j'étais fier de constater qu'il connaissait les bases du chantage. S'il se forçait un peu plus, il aurait éventuellement eu de quoi forcer un soupçon d'admiration de ma part. Mon regard venait de quitter celui de mon fils aîné pour capter celui de Léonie. Ou du moins essayer, vu son état d'ébriété.