Aujourd'hui, je m'occupe de la salle de colle. Vie de merde. Non mais que croient-ils ? Que j'ai fait des études pour ça ? Même à l'armée, j'avais une vie moins emmerdante. Et puis, depuis quand y a-t-il une salle de colle dans une université ? Ah ? Depuis plusieurs années ? Mais nous ne sommes plus au collège, ni au lycée ! Moi, les élèves qui m'emmerdent, je les vire directement, je leur en fait baver d'une façon ou d'une autre. Mais en aucun cas je vais faire chier mes collègues en collant mes étudiants. Quoi que... le jour où se sera à Cheyenne de gérer la colle, on m'entendra dire ce genre de chose : « Tu as osé mettre un pull rose ?! T'es collé ! 1H ! Pardon ?! Tu contestes ?! 2H ! Chut ! Tais toi ! » Oh oui, la salle de colle serait remplie à souhait, déborderait même. Un sourire sadique se décida sur mes lèvres. Je lui en ferai baver.

Bref, pour mieux comprendre la situation, il faut remonter dans le temps. « Ouin, ouin... ! » Mh non, pas trop non plus ! Voilà ! « Bonjour professeur Salaun. Je vous cherchais justement ! » Je reconnaîtrais ce petit sourire entre mille. La directrice veut m'annoncer quelque chose qui sera en mesure de me prendre la tête. « Allez-y, accouchez. Quoi que visiblement, ça soit déjà fait... » Je baisse les yeux sur son ventre plat. En effet, quand je suis arrivé à l'université, en mars, Maria O'Berkeley était enceinte jusqu'aux genoux. Elle me regarde dans les yeux avec une mine exaspérée. Je hausse les sourcils. Allez, dis moi tout, j'ai une clope à fumer ! « Le professeur qui devait s'occuper de la salle de colle ce soir a dû s'absenter. Voilà pourquoi vous le remplacerez. » Mes yeux s'écarquillèrent. « Pardon ?! Et si j'ai déjà quelque chose de prévu ? » Elle sourit à nouveau. Je déteste qu'elle fasse ça. « Une bière à boire ? » Mh... elle n'a pas tord. Je n'ai pas d'enfant à charge, et encore moins une femme. « Moi je bois une bière. Vous, après le boulot, si vous préférez nettoyer le vomi de votre rejeton, c'est votre soucis. Mais ça reste une obligation. » Elle arque un sourcil. « De boire une bière ? » Je garde la tête haute. « Tout à fait ! J'en ai besoin, pour ma santé mentale. » Elle hoche la tête. « Dix-neuf heure, en salle de colle. Et ne vous plaignez pas, il y aura seulement un élève. » Je fronce les sourcils. Un élève ? Je vais le tuer...

A dix-neuf heure, j'arrive effectivement devant la salle de colle. J'ai terriblement faim. Soupir. J'entre dans la salle. Toujours vide. Je m'assois au bureau, et pose les pieds sur ce dernier. J'attrape un bouquin. Soudain j'entends la porte coulisser. Ça attire mon attention. Et d'un coup, mon cœur loupe un battement.

Harmony Lawrence. Une gamine étudiante en art appliqué. Une jeune femme qui se prend pour un Zorro anglais. En effet, nous nous étions rencontrés à l'intérieur de l'université de Berkeley, un jour, lorsque je parlais avec un de mes élèves. Bon D'ACCORD... peut-être que je l'humiliais un peu devant quelques personnes. Bon D'ACCORD, c'était devant toutes celles présentes à la cafétéria un midi donc forcément, il y avait du monde. Et tout de suite, elle s'était sentie obligée de venir prendre la défense du gringalet qui me servait de tête de turc – en admettant seulement que je n'en ai qu'une... Ah ! La blague ! Quoi qu'il en soit, depuis ce jour, le courant passait mal entre nous. Elle me voyait comme cet enseignant détestable duquel on ne peut rien tirer mis à part de la haine. Pour ma part, elle était à mes yeux une gosse voulant jouer l'héroïne, celle qui voudrait sauver le monde des brutes comme moi. Oui, depuis ce jour, nous partagions une sorte de jeu. Elle incarnait le bien, moi le mal. Le but ? Venir à bout de l'autre, le vaincre. Tous les coups étaient permis. Au début, on restait sur quelque chose de soft. Quelques engueulades, une carafe d'eau versée sur la tête de l'autre, un enfermement dans une salle de cours. Puis nous étions passés peu à peu à une étape supérieure. Par exemple, j'ai mis difficilement la main sur un de ses cahiers de cours pour uriner dessus. J'avoue, ce n'est pas très sympathique, mais je n'oubliais pas la fois où elle m'avait gentiment écraser son assiette remplie de purée en pleine figure. En somme, à chaque fois que nous nous voyions, un ou plusieurs coups bas avaient lieu. Il faut croire qu'on commençait à y prendre du plaisir. Et puis, avec le temps, je me suis attaché à cette petite sotte. Mais ne croyez pas que je le lui avouerais un jour. Je préfère de loin cracher mon venin sur elle.

« C'est à vous que je dois ma soirée foirée ? », lui demandais-je en fronçant les sourcils. En même temps, ça ne m'étonne même pas ! Quelle vie de merde, rester enfermé avec elle durant deux heures. Tuez moi. Maintenant.

Je commençais à bien connaître cette jeune femme. Ainsi, je compris bien vite son geste, quand elle posa sa petite bouteille de Coca Cola sur le bord de sa table, pour bien la mettre en évidence. Ce qu'elle souhaitait me dire de façon silencieuse ? Que si je venais à trop la chercher, elle n'hésiterait pas à retirer le bouchon, et à m'asperger avec. Un de mes sourcils se arqua. Pensait-elle me faire peur ? Si elle avait envie de montrer les armes, très bien, je pouvais le faire aussi. Ainsi, j'attrapais mon sac et fouillais à l'intérieur, avant d'en sortir une bouteille d'eau. Moi aussi j'avais quelque chose pour me défendre, même si techniquement, le liquide minérale était bien plus inoffensif que la boisson gazeuse et brunâtre. Je voulais uniquement lui faire comprendre que j'étais également prêt à me faire respecter si elle venait à – excusez moi d'avance pour le verbe – m'emmerder.

« C'est plutôt à ce nouveau professeur que vous devriez vous en prendre, il y a des tas de moyens de le faire craquer, vous êtes doué pour pousser les autres à bout il me semble. Vous devez mieux vous y connaître que moi à ce sujet-là. » Je ne prenais pas cela pour une provocation. Dans le fond, elle ne faisait que dire la vérité. J'ai un certain don pour ce qui est d'énerver les gens, de les pousser à bout. J'étais capable, à moi tout seul, de faire dire une tonne d'insultes à une personne très timide qui se laisse souvent marcher sur les pieds. Dans le fond, je suis quelqu'un qui sait faire extérioriser les gens. Et mine de rien, c'était très utile pour les étudiants spécialisés dans le théâtre, et qui m'avait donc en tant que professeur principal.

Je plissais les yeux en observant la jeune femme. « Ce que je sais, c'est que vous êtes la seule élève collée à cette heure-ci, et que vous venez de me bousiller ma soirée. », lui avouais-je sur un ton peu coopératif. En effet, je n'avais pas envie qu'elle pense que j'étais heureux de me retrouver ici avec elle. C'était encore moins un acte purement sadique, comme si je souhaitais lui en faire baver, car jusqu'à preuve du contraire, le fait d'être enfermé dans cet endroit pour deux heures avec elle, me rendait déjà fou. Comment étais-je censé survivre, sincèrement ?! Un soupire s'échappa de mes lèvres. « Je vous demanderai juste de vous taire, de m'ignorer. Faites le travail qu'on vous à confier. Je ne veux même pas vous entendre respirer. » Comment ça je n'étais pas très tolérant ? En même temps, ça m'emmerde déjà tellement d'être ici.

En plus j'ai la dalle. Je saisis mon cellulaire et recherche dans mon répertoire à P pour... pizza. Je m'étire doucement et appuie sur le téléphone vert pour appeler. « Oui bonsoir. J'aimerais une pizza... » J'explique que j'en veux une énorme avec des poivrons et un œuf au milieu. Cette idée me donnerait presque l'eau à la bouche. Je donne l'adresse de l'université de Berkeley et explique dans quelle salle je me trouverai. On me répond que le serveur n'est pas là pour se perdre dans l'établissement. Je lui indique la route exacte, lui rappelle que le client est roi et qu'il aura même un pourboire s'il fait vite. On accepte. Je raccroche. D'ici un quart d'heure. Je tourne la tête vers Harmony. Comment ça j'aurai pu lui prendre une pizza ? Et puis quoi encore ? Elle me bousille déjà ma soirée, je ne vais pas en plus dépenser mes sous pour ses beaux yeux et sa bouille d'ange.

(HJ : Désolée pour le retard. Avec la reprise des cours, c'est assez difficile de gérer son temps.)