Je ne savais pas ce qu'il m'arrivait. Moi, qui d'habitude était d'un constant humeur jovial, je me retrouvais gisant au beau milieu de mon nouvel appartement, entourée de cartons que je n'avais pas encore eu le courage de déballer. J'aurais pourtant dû être poussée par l'envie de voir mon nouveau "chez-moi" terminé, mais non. J'étais lasse. Peut-être n'aurais-je pas dû déménager. Après tout, les choses allaient mieux avec mon père, et puis, j'adorais Los Angeles, tandis que je ne connaissais pas San Francisco.
Mon corps étalé sur la parquet refroidi par la nuit, je levai la tête et jetai un regard attentif à la fenêtre. Le ciel était dégagé, et il était simple d'y voir de nombreuses constellations, quand on s'y connaissait un minimum. Le peu d'air que laissait pénétrer l'embrasure des deux vitres faisait mouvoir le rideau qu'avait laissé le précédent locataire. C'était agréable.
Je laissai la brise caresser chaque recoin de ma peau auquel elle avait accès, un sourire discret sur mes lèvres. Aussi plaisant ce moment fut-il, je savais qu'il était idiot de ma part de rester cloitrée dans mon appartement alors qu'il y avait sans doute de nombreuses choses à faire dans cette immense ville qu'était San Francisco.
Doucement, je me levai, en équilibre sur la pointe de mes pieds, qui très vite furent chaussés d'une paire de tongs que j'avais achetées pour quelques malheureux dollars deux jours plus tôt dans une petite boutique tenue par un couple asiatique. Je jetai un rapide coup d'oeil dans mon miroir et, satisfaite, quittai ma nouvelle demeure.
Une fois devant mon immeuble, je m'arrêtai. Et maintenant ? Cette ville m'était inconnue, je ne savais pas où étaient les bars que fréquentaient les étudiants qui, comme moi, souhaitaient sortir à la tombée de la nuit. Scrutant les horizons, en prenant soin d'ignorer l'océan situé devant mes yeux, j'aperçus une terrasse de café bondée à quelques mètres de moi. Cela devrait convenir. Pourtant, alors que je m'en approchai d'un pas qui d'un oeil extérieur paraissait sûr, mon coeur s'emballa et je ne pus continuer à avancer. La ville m'était inconnue, oui, mais c'était réciproque. Qu'espérais-je ? J'étais seule, dans un lieu étranger, loin de tout repère. Il fallait que j'attende le lendemain, mon premier jour de cours à Berkeley, pour espérer me faire de nouveaux amis. Mais alors que je revenais sur mes pas, une moue dépitée sur mon visage, je m'arrêtai soudainement et fixai la plage, vide de monde. C'était tout à fait ce dont j'avais besoin.
Arrivée sur le sable, je retirai mes sandales et les laissai pendre sur le bout de mes doigts. J'enfonçai mes pieds nus sous les grains glacés, comment j'avais l'habitude de le faire depuis mon plus jeune âge. J'humai l'odeur maritime qui s'enfouissait lentement dans mes poumons. Je me croyais de nouveau à Los Angeles. Si je me retournais, je verrais mes amis, assis autour d'un feu de camp qu'ils avaient allumé illégalement, faisant griller des marshmallows et tourner une bouteille d'eau remplie de vodka provenant de la réserve personnelle d'un des parents. Mais ici, j'étais seule. Je sortis mon iPhone de ma poche, vérifiant que je n'avais rien reçu. L'écran affichait un message d'alerte : 1 NOUVEAU MESSAGE. C'était un texto de ma meilleure amie, qui demandait des nouvelles. J'y répondis rapidement, puis remis mon téléphone à sa place d'origine.
Je vins m'asseoir à l'extrémité de l'océan, permettant à l'eau de parfois toucher mes pieds, sans la laisser cependant s'aventurer plus loin. Elle était froide, et cela faisait du bien. Derrière moi, la ville n'était pas encore endormie. A ma droite, à plusieurs centaines de mètres, un jeune couple avait eu le courage de tenter une baignade nocturne. Je les regardais avec envie, repensant soudainement à Tom, ce garçon dont j'avais été amoureuse il y avait maintenant deux ans de cela.
Je restais ainsi quelques minutes, perdue dans mes pensées, un doux sourire sur mes lèvres, gercées par l'air salé de la plage, quand j'entendis des bruits de pas. Je me retournai en sursaut, puis vis une jeune fille, seule, comme moi, qui déambulait sur le sable, visiblement sans but précis. Sans réfléchir, je me levai, essuyai d'un mouvement de main mes pieds, puis vins la rejoindre.
- Salut, fis-je, tout en attrapant ma chevelure entre mes deux mains et en l'enfermant dans un chignon négligé. Des fossettes se dessinèrent aux coins de ma bouche alors que je lui tendais la main. Moi, c'est Heather.