Winnie et moi n'en étions pas à notre premier restaurant en tête à tête. Et pourtant, en nous voyant on aurait pu croire que c'était bel et bien le cas. L'air était pesant et je touchais machinalement le col de mon polo comme pour laisser de l'air rentrer en moi. Il faisait froid, et j'avais pourtant terriblement chaud ce soir. En fait, il y avait tout simplement une tension entre Winnie et moi. Je lui ouvris la porte et la laissait pénétrer dans les lieux, refermant derrière moi. La porte du Havana Central se referma sur nous et j'eu soudain l'impression d'être comme pris au piège. * Du calme, tout va bien se passer, il faut juste que vous parliez calmement, après-tout, c'était prévu ... *

Nous nous connaissions depuis un petit moment déjà mais nous n'avions pas été réunis depuis plusieurs mois déjà. Il faut dire que dans ma vie tout avait plus ou moins changé ces derniers temps. Il y a 4 mois à peine j'habitais encore Brooklyn et mourrait de froid en me baladant dans les rues de cette grosse ville alors qu'aujourd'hui je profite tous les matins du soleil et de l'air presque pur de NOLA. En partant, un phénomène étrange et à moitié prévu s'est produit. Winnie m'avait drôlement manquée !
Nous ne sortions pas ensemble quand je suis parti pour le sud mais depuis plusieurs mois nous passions le plus clair de notre temps ensemble. Des amis en communs avaient été à l'origine de notre rencontre un soir dans une soirée bondée de Brooklyn. Je crois que ni elle ni moi ne nous sentions pleinement dans l'ambiance de la soirée et c'est sur le balcon que nous nous sommes rencontrés. Je fumais une clope et elle prenait l'air comme pour se donner un peu de courage. En discutant nous nous sommes trouvés plus de points commun qu'il n'en faut et sans nous en rendre compte nous avons fini la soirée tous les deux assis par terre sur le vieux balcon de Marcus qui donnait sur tout le quartier. Il nous a d'ailleurs demandé de partir au levé du jour, il n'avait pas réalisé que nous étions les deux seuls invités encore là et nous non plus. En descendant Winnie me dit qu'elle était pressée, elle avait une répétition ou quelque chose du genre (si ma mémoire est bonne). C'est à ce moment qu'elle m'apprit qu'elle était choriste et que Broadway était son plus grand rêve.

Tout naturellement nous nous sommes revus le soir même, le soir d'après et avec la fin de l'été 2014 a commencé la naissance de notre relation qui prit fin aussi facilement qu'elle avait commencé avec mon départ rapide et brutal pour NOLA. Winnie avait comprit bien sûr que je faisais ça pour moi, pour ma carrière et que j'avais besoin de voir autre chose que New-York mais sans qu'elle ne me le dise, j'avais aussi compris qu'elle n'avait pas aimé le fait que je ne lui en parle qu'après-coup. Je dois bien avoué que j'ai été particulièrement égoïste, ne pensant qu'à moi. Sur le coup ça ne m'a pas perturbé mais en voyant son regard déçu, j'ai compris que j'aurai pu faire ça mieux.

Pour mon premier retour à NYC, j'avais donc décidé de me rattrapé un peu, nous étions toujours en contact mais quelque chose s'était brisé, elle le savait et je le sentais aussi. Je crois que ce n'était pour le coup pas plus ma faute que la sienne, c'était juste la distance qui avait créé un faussé et entaché notre relation qui était pourtant en très bonne voie.

- " Une table pour deux au nom de Forthfield s'il vous plait. "

Il fallut attendre la minute suivante que nous soyons tous les deux bien installés pour que l'un de nous ouvre la bouche et s'adresse à l'autre.

- " Ca me fait plaisir de te voir, j'aurai préféré qu'on fasse ça un peu plus tôt mais je suis content d'être remonté ce week-end et qu'on puisse passer un moment ensemble. Comment vas-tu ? "

Si on m'avait dit il y a quelques années que j'allais quitter un jour New-York, et surtout pour un job, je vous aurait ris au nez. Les gens disent toujours qu'à NYC il y a tout et je suis plus ou moins d'accord mais j'arrivais dans un stade dans ma vie ou je voulais plus, plus que ce que la ville avait à offrir et ce poste au Roosevelt Hotel était exactement le truc en plus dont j'avais besoin. Ca avait impliqué de faire plein de concessions, de dire au revoir à toute une vie, à toute une tripotée de personnes qui comptaient plus les unes que les autres à mes yeux et pourtant j'avais décidé de partir quand même. Comme quoi, nous autres bandes d'humains ne sommes vraiment pas des êtres rationnels.

En proposant à Winnie d'aller manger un bout tous les deux, j'ai eu peur qu'elle réponde non et à vrai dire cette pensée me perturba et me paralysa pendant plusieurs heures. Je me suis donc retrouvé comme au lycée, mon portable en main en me demandant si oui ou non j'allais appuyer sur "envoyer". C'est finalement ce que je fis mais je pense que ce fut l'évènement le plus éprouvant de ma semaine. En fait, je crois que j'avais besoin non pas de mettre un point final à tout ça mais de montrer à Winifred que même si je n'étais physiquement plus là, nos discussions, notre complicité pouvait perdurer ... C'est quelque chose qui me manquait beaucoup à NOLA, la complicité entre le "monde" et moi. Avec Winnie ça avait d'ailleurs été très vite très simple et c'est ce que j'avais particulièrement aimé. Vous savez quand vous rencontrez des gens, souvent vous voulez faire bonne figure, vous leur raconté vos meilleurs anecdotes et ils finissent par ne connaître que votre meilleur côté. Notre relation avait été bien différente dès le début, je me souviens même lui avait dit que je me détestais d'être si casanier parfois. Rester une journée chez soi ça relève du "normal" mais dix jours sans sortir, ça relève plutôt de la pathologie ... Cette révélation peu flatteuse avait fait rire à l'éclat Winnie et je crois que c'est à partir de ce moment que j'ai commencé à bien l'aimer.

- ''Je suis content que tu ailles bien ! Je fais jamais confiance aux sms, ont peut écrire n'importe quoi sans que ce soit vrai, te voir sourire ça par contre c'est bon signe."

Winnie me souriait attendant la suite, elle voulait vraisemblablement connaitre plus de détails sur ma vie de sudiste.  

- " Tout s'est bien passé, j'ai pas emmené grand chose au final mais je me retrouve tout seul dans un appartement et j'avoue que parfois je suis heureux de passer presque dix heures par jour au boulot parce que j'ai l'impression d'être comme un poisson dans un bocal. Je suis en train de chercher une coloc' là parce que je pense pas pouvoir tenir beaucoup plus longtemps."

C'était bien vrai ça, je n'y avais que peu pensé avant d'emménagé mais vivre seul, très peu pour moi .. Ca avait ses avantages et je dois dire que de ne pas devoir attendre 30 minutes avant de pouvoir aller aux toilettes était agréable mais il faut aussi tirer un trait sur les soirées poker entre colocs et autres "diner-pizza" du dimanche soir.