Délicatement installée sur l’un des nombreux fauteuils qui trônait dans le grand salon de la demeure Epsilonienne, Eileen avait le regard vide. Elle fixait le fond de sa coupe depuis de bonnes minutes déjà, faisant claquer le bout de ses ongles contre le cristal. Elle perdait patience tandis qu’une horde de Beta-Delta franchissait le seuil de la maison en vue de l’enquête. Le bal de fin d’année s’était terminé de façon dramatique, une bruit sourd puis un cadavre jonché sur le bitume, les images défilaient encore dans sa tête, tel un film qu’elle se passait en boucle depuis la nuit du meurtre. L’enquête démarrait sur les chapeaux de roues, tous étaient déterminés à trouver le nom du coupable. Le coupable du meurtre d’une part mais aussi de celui qui par son acte effroyable venait de priver tous les étudiants de Berkeley de vacances. Durant deux mois, la princesse de Vegas allait être bloquée à San Francisco et cette idée lui donnait d’ores et déjà des sueurs froides. Elle pouvait faire une croix sur les fêtes endiablées de Sin City, sur son anniversaire dans les caraïbes, et surtout sur son voyage avec Jayan. Le bonheur ça se mérite, elle essayait de s’en convaincre tout en observant les diamants de son bracelet étinceler comme des dizaines de petites lumières qui annonçaient des jours meilleurs. Elle repensait à ce moment parfait lorsqu’elle remontait l’Allée des Grecs en sa compagnie, elle s’était convaincue que rien ne pourrait les atteindre, elle s’était stupidement bercée d’illusions une fois encore. Le destin s’acharnait, déposant des cadavres sur sa route, c’était cruel. Les policiers posaient diverses questions aux étudiants présents concernant le déroulement des événements, tandis qu’un peu plus loin un combat verbal semblait débuter entre Lily et Eden. Elle hésita quelques secondes à hausser le ton, et à exiger de par son statut de présidente un retour au calme mais elle se ravisa, elle n’était pas d’humeur à se battre, et surtout, elle ne devait en rien se faire remarquer par les forces de l’ordre. Elle en savait trop, ils en savaient trop. Adriel et Eileen avaient été les premiers sur les lieux du crime et peut être les seuls à avoir vu si distinctement l’ombre sur le toit, l’ombre qui prenait la fuite. L’ombre du meurtrier à l’évidence. Pris par la panique, le manque de temps, ils s’étaient accordés sur un seul et unique point : ne rien dire. A personne. Adriel donnait sa version des faits d’un ton détaché, avant de la regarder un peu trop longuement. Redressant son visage, elle haussait les épaules, dévisageant les flics qui se pressaient autour d’elle, attendant qu’elle confirme. « Fumer une cigarette n’est pas un crime que je sache. » dit elle d’un ton hautain à l’intention des étudiants avides de ragots, elle n’avait nullement besoin de se justifier d’avoir passé quelques minutes en compagnie d’Adriel que cela plaise ou déplaise. Terminant sa coupe d’une traite elle fixa droit dans les yeux le policier qui se tenait au dessus d’elle. « Nous n’avons strictement rien vu. » termina t’elle par dire en insistant bien sur chaque syllabes. Délicieuse manipulatrice qu’elle faisait, son visage ne laissait pas transparaitre la moindre once de culpabilité, toutes ces années à jouer au poker lui valait au moins ce talent : mentir terriblement bien. Déposant sa coupe sur la table basse, elle se redressa et s’excusa platement mais elle avait un coup de fil urgent à passer. Jorden avait jugé bon d’être en retard à une séance informelle d’interrogatoire et il était hors de question que le retard de son demi-frangin se retourne contre lui ou que quiconque y voit le signe d’une culpabilité flagrante. Revenant dans le salon après quelques minutes durant lesquelles elle lui avait laissé un message incendiaire et où elle avait tenté de reprendre ses esprits; elle croisa Kenzo qu’elle salua d’un bref signe de tête. Il était loin le temps où ils s’étaient enfuis à Vegas sur un coup de tête comme deux gosses irresponsables. Valentina et Gusto avaient fait leur grande entrée ce qui promettait un duel au sommet des plus réussis entre les deux Doyens, néanmoins son attention était attirée quelqu’un d’autre, vers lui, le seul, l’unique. Jayan confortablement installé affichait un calme olympien, à toute épreuve. Un sourire se dessina finalement sur ses lèvres, il était la lumière au bout du tunnel, sa destinée. Toutes les places étant prises elle désigna ses genoux et sans attendre une quelconque réponse elle s’installa. La meilleure place de toutes. Resserrant leur étreinte, elle enfuyait son visage au creux de son cou, y déposant un tendre et furtif baiser. Il allait bien et c’était tout ce qui importait, il parvenait à garder une bonne dose d ‘optimisme et ce malgré la situation. Elle espérait désormais que tout se termine très vite pour qu’ils puissent fuir ensemble, main dans la main, ici ou à l’autre bout du globe.

Marchant d'un pas déterminé, je m'avance en direction du pavillon epsilon, où je n'ai pas mis les pieds depuis un moment. Rien de plus normal, dans la mesure où je n'ai jamais habité dans cette maison en compagnie des autres epsilons. De même, rares sont mes amis epsilons  amis tout court - à y vivre, autant dire, que cela me donne absolument peu de raisons de m'y rendre. Malgré tout, je sais que ce pavillon sera toujours comme une seconde maison si j'en ai le besoin. Aujourd'hui cependant, j'éprouve une certaine appréhension à voir le pavillon des epsilons, et il n'y a rien d'étonnant à cela. On nous l'a clairement annoncé, nous allons nous faire interroger en long en large et en travers par des policiers au sujet de l'incident du bal. J'appelle cela un incident parce qu'appeler ce qu'il s'est vraiment passé par son nom rend les choses beaucoup plus réelles. Heureusement pour moi, je ne suis pas seule dans l'histoire, j'ai à mes côtés le plus incroyable des hommes, celui qui depuis quelques jours, amène le sourire dans ma vie, comme le soleil éclaire le monde. Seth est à mes côtés et je le sais, cela risque de causer quelques tensions au sein de la maison epsilon. Un couple delta-epsilon en plein conflit? Cela va sembler de très mauvais goûts auprès de certains mais qu'importe. Le jour où je me préoccuperais de l'avis des gens n'est pas arrivé. Je pense la porte d'entrée de ma main gauche, pendant que la droite garde fermement celle de Seth. C'est donc, les doigts enlacés, un sourire aux lèvres que nous passons la porte. Je le sais, nous dépeignons totalement dans le paysage avec nos mines niaises à en faire pâlir d'horreur beaucoup de gens, alors même que nous sommes tous présents pour élucider un meurtre. Pas très classe la June et le Seth mais peut importe. La scène à laquelle j'assiste ne me plait guère. Les epsilons et les béta sont séparés, ce qui jusque là n'a rien d'étonnant. Mais ce qui me dérange est plus que tout la mine dépitée affichée par Lily-Rose, comme si quelque chose la contrariait fortement et en décalant mon regard vers les epsilons, je me retrouve face à Eden et Adriel, main dans la main, se susurrant quelques mots à l'oreille. Je m'approche de ma Lily, et la prends brièvement contre moi. « Ne te préoccupes pas de cette grognasse. Elle peut enfin se vanter d'être parvenue à ses fins mais regarde son visage ! Elle devient tout ce qu'elle a toujours décrié, tout ce dont elle a toujours été dégouté. Au final, elle est plus pathétique qu'autre chose. Ne t'en préoccupes pas Lily, tu vaux mieux que ça. » Je pose brièvement ma main sur son épaule, en la serrant légèrement, et je repars au côté de Seth, qui se tient éloigné à la fois des epsilons et des beta/delta. J'ai l'impression de me retrouver en terrain neutre, d'être la suisse même si je dois bien l'avouer, je n'apprécie guère être entre deux feux. Je m'accoude à une rambarde, le delta sur ma droite, une main posée sur ma taille. Le couvant de mon regard, je ne vois pas l'agent arrivé dans notre direction, d'un pas déterminé. Celui-ci se place devant moi, les mains sur hanches, attendant un regard de ma part, ou un mot. Seth me tape légèrement le coude et je me redresse pour faire face au jeune agent. « Vous avez un problème? Vous devriez penser à l'anti-ride parce que lorsque vous froncez votre sourcil de la sorte, il y en a une proéminente. Honnêtement, c'est vraiment moche. » Et je me retrouve vers Seth, continuant à garder un sourire qui lui est entièrement dédié. Bien sur, ce n'est guère au goût de l'agent qui se décale et me demande agressivement qui je suis et où étais-je durant le bal. « June Martin. Et du début du bal jusqu'à l'incident, je me trouvais en compagnie du jeune homme à mes côtés, que je n'ai pas lâché d'une semelle, et si ma parole n'est pas assez fiable selon vous, ni même celles de tous les membres des confréries ici présents, vérifiez les photos, je suis sur que vous nous trouverez dessus. Vous trouverez à peu près tout le monde sur les photos, et vous aurez pour tous des alibis en béton. Et cela pour la simple et bonne raison qu'aucun de nous n'aurait pu commettre un tel acte. » Bien sur que si l'un d'entre eux pourrait en venir à commettre un meurtre. Evidemment que oui, moi la première. Si quelqu'un en venait à toucher un seul cheveux de Savannah, je pourrais aisément en venir aux mains et tuer quelqu'un. Comme beaucoup pourtant, je doutais fortement que quelqu'un parmi nous ait pu tuer cet omicron. Et comme beaucoup, je m'installais confortablement dans un fauteuil epsilon, Seth à mes côtés, tout en adressant un sourire et un signe de la main à Eileen. Etrange de voir qu'au moment où l'université entière est en pleine émoie après cette catastrophe, Eileen et moi sommes à l'apogée de notre bonheur.

Arriver en retard, ç’avait été le plan premier de Casey. Autant de le dire, honnêtement ces histoires ne lui plaisaient pas. Quel Morello serait content d’avoir des enquêteurs entre leurs jambes? Juste parce qu’ils portaient le nom de famille Morello et étaient originaires de New-York, des doutes seraient portés sur eux. D’ailleurs, son père lui avait bien dit de ne pas bouger de San Francisco, parce qu’au final, la nouvelle que toutes les personnes ayant été présentes au bal ne pouvaient pas voyager était tombée. Ce n’était même plus un fait à cacher, mais Casey était maintenant envieux de King et Aidan d’avoir manqué cette soirée riche en émotion. Pas pour lui évidemment. Non, il n’aurait pas besoin de voir un psychologue parce qu’il avait été traumatisé de voir un mort juste devant lui. Et puis quoi encore? La mort de ce mec – son nom était écrit partout dans les journaux, mais lui échappait tout de même – ne lui faisait ni chaud ni froid. Même de le voir étendu là devant ses yeux ne lui avait rien fait. De toute façon, il avait autre chose en tête. Une blonde. Une beta. Sa soit disant meilleure amie. Le Delta ne l’avait pas vu depuis qu’elle avait annoncé qu’elle partait avec son anglais, ce Mavis… Juste son nom donnait envie au New-Yorkais de vomir. Si un omicron méritait bien d’être six pieds sous terre en ce moment selon Casey, c’était bien lui. Il avait quoi de spécial de toute façon? Il ressemblait à un adolescent pré-pubère, et en plus, il avait intégré les Alphas. Un défaut de plus à la longue liste du gars! Enfin bref, au final, l’étudiant en gestion n’avait pas su (et n’avait pas cherché à savoir) si la beta avait réellement pu embarquer dans cette avion, mais depuis, ils ne s’étaient ni vus ni parlés. Léo et Casey séparés, incroyable mais vrai… Et ce soir, tout le monde se rendrait compte de la tension qui régnait entre eux parce qu’évidemment, l’anglaise se devrait d’être présente, non? Probablement, et ç’avait été une raison de plus pour Casey de se trainer les pieds. S’il n’avait pas été Bras droit du Président, probablement que le brun ne se serait simplement pas présentés quitte à se faire passer un savon par Valentina le lendemain. Ce serait déjà moins déplaisant que de resté enfermer pendant des heures dans une pièce avec Léo.
Mais il était bras droit et du coup, à l’eau le plan a; là, il devait jouer valet de la doyenne. Elle marchant comme une reine, lui et Kenzo à ses côtés. Si Kenzo et elle bavardaient, si le président avait même un bras autour de la taille de la reine des betas, Casey lui restait stoïque et silencieux à leurs côtés et ce même lorsqu’ils eurent rejoint les autres. Son expression le trahit simplement une fois; lorsque Valentina lança une petite pique à la doyenne des epsilons et qu’un petit rictus amusé se dessina sur ses lèvres. Le reste du temps, il écoutait distraitement les uns et les autres se défendre et certains mêler leurs histoires personnelles et complètement inutiles à tout ça. C’était quoi l’idée de mettre les beta/delta avec les epsilons? Le doyen cherchait probablement à avoir un nouveau meurtre sur les bras avant la fin de la soirée. En fait, tout ça ressemblait presque à un match de tennis, une personne envoyant une balle à une autre, sa tête allait de gauche à droite pour suivre le file de la discussion sans pour autant ouvrir la bouche ou passer de commentaires. Et honnêtement, Casey ne pouvait pas dire si c’était le match le plus ennuyeux ou le plus intéressant qu’il avait vu de sa vie.
Finalement, il vit une ouverture, et décida d’utiliser ce moment pour ouvrir la bouche : « Comme le dit Miss Martin, si vous regardez les photos, vous remarquerez que j’étais avec la même personne du début à la fin du bal, puis par la suite rejoint par cousine et mon cousin – Quinn et Jayson – qui pourront aussi vous confirmer que nous étions tous ensemble lorsque l’incident est arrivé… » Il n’avait pas dit le nom de Léo, c’était fait exprès, mais probablement que presque tout le monde ici les avaient vus ensemble. Tout de même, lorsqu’il se tut, le jeune homme fronça les sourcils; il y avait eu une cinquième personne avec eux qui était arrivée peu de temps après la mort de l’étudiant… Mais Nitshia n’aurait pas pu faire quelque chose du genre… La brunette avait probablement dormi trop longtemps ou avait pris trop de temps pour se préparer, rien de plus. Il haussa les épaules au final, signifiant qu’il n’avait rien d’autre à ajouter et retomba dans son silence.