Je souris face au signe "salle des profs", je l'avais enfin trouvé cette foutue salle... enfin une des salles de profs, Berkeley devait en compter une douzaine. J'entrai avec une démarche assuré pour montrer aux personnes présentes que j'avais tous les droits d'être ici même s'il ne m'avait jamais vu de leur vie. Comme chaque endroit inconnu, Berkeley était pour moi un immense terrain de jeu. Je cherchai juste les limites à ne pas dépasser pour justement essayer de les dépasser.
Je hochai la tête lorsque je croisai le regard des autres profs. Tous semblaient approcher la retraite.

Je me dirigeai vers une grande table libre et y balançai sans ménagement mon sac. J'avais un TD pour les deuxième année de physique à préparer et peut-être un bout de ma thèse à bosser. Ensuite, je pourrai peut-être m'amuser avec l'immense photocopieuse qui me narguait du coin de l'oeil. Ce devait être un vrai bijoux de technologies, le genre de trucs qui te tries tes feuilles, te les agrafe et te les apporte avec un café. Oui, cet immense engin était tout neuf, sentait toujours le plastique et n'était même pas encore rayer ! Berkeley ne se fout pas de ses profs.
J'ouvris mon sacs et éparpillai mes feuilles pour avoir l'air du gars occupé et me relevai aussitôt pour découvrir un autre bijoux de technologie : la machine à café. Là encore, Berkeley me bluffa : alors que je m'attendais à une vieille machine à filtre, une magnifique machine à expresso attrapa mon regard. J'étais au paradis, j'allai pouvoir boire trente-six expressos en préparant le TD. Il me faudrait bien de la caféine pour rester éveiller devant des exercices que j'arrivais à faire à quatorze ans.
Malheureusement, la joie laissa bien trop vite la place à la désillusion : si les professeurs pouvaient boire des expresso d'une marque bien connu, il y avait un petit hic, le "else" du "what else"... Ils devaient débourser 50 cents pour chaque maudit café.

Résigné, je mis un dollar dans la tirelire et me préparai un café. L'université pourrait au moins fournir de la caféine gratuite à ses enseignants ou leur donner un programme un peu moins fastidieux. Manque de cohérence de la part de l'une des meilleures universités des States.
Une fois mon café prêt, je me retournai et découvrit que trois quarts des profs de la salle (c'est à dire trois...soit j'étais dans la salle réservée aux enseignants la moins fréquentée du campus, soit c'était l'heure creuse) avaient les yeux braqués sur moi et vérifiaient que je paie bien pour mon café. Il est donc sans doute plus dur de prendre un café sans payer en salle des profs que de voler une voiture à Harlem. Bon à savoir, la prof d'histoire du moyen âge germanique avait l'air bien plus teigneuse que les policiers auxquels j'ai eu affaire au NYPD.
Leurs regards me suivirent jusqu'à ma table. Quelle ambiance.
Je tirai une feuille vers moi "Modèles atomiques : atome de Thomson, Rutherford et Bohr." La physique pouvait m’exalter, me passionner, me donner envie de travailler pendant des heures, c'était lorsqu'elle me défiait et semblait me dire "Tu n'y arriveras pas". Là, alors que je devais repotasser un cours que j'avais vu des années auparavant, elle m'ennuyait mais faire des TD était le contrat que j'avais signé avec Berkeley pour que ma formation soit gratuite et même rémunérée et aussi pour que la police me lâche les basques.

Je bus mon café d'une traite et fis tourner mon stylo bille vert entre mes doigts.

James O'Malley. Je retins son nom. Il me plaisait autant que son visage, il me rappelait New York et les Irlandais de Brooklyn mais aussi mon enfance. Il faisait écho à tout ce que j'avais connu avant de mettre les pieds sur la côte Ouest, deux ou trois semaines auparavant. Il enseigne le commerce international... ce qui devait être passionnant, bien différent de la physique néanmoins. Le commerce ne m'avait jamais attiré, il me faisait seulement penser aux hommes pressés que je croisais souvent à Manhattan lorsque j'allais en cours à la NYU. Ne dealant pas de cocaïne, seule drogue qu'ils semblaient apprécié, je n'avais jamais eu affaire à eux et j'en avais toujours été heureux.

"Ca s'entend tant que ça ?

Riley était un nom assez commun aux Etats Unis, sans parler de Joe, l'un des diminutif les plus passe partout que l'on puisse trouver de ce coté de l'Atlantique. J'en déduisis donc que c'était à mon accent Irlandais que je n'avais pas perdu malgré mes huit années passées à NY que James m'avait reconnu comme l'un des siens.

"Oui enfin je me sens Irlandais même si mon passeport dit que je suis britannique. Je viens de Belfast et vous, vous êtes Irlandais aussi non ?"

Je failli ajouter que j'étais catholique pour bien souligner que je ne me sentais pas du tout anglais mais c'était assez évident et je n'ai jamais été catholique. Bien que baptisé, je n'ai jamais cru à une puissance supérieure, en tout cas pas à celle décrite dans la bible ou dans n'importe quel autre écrit religieux. La science m'a souvent démontré que les cultes religieux étaient basés sur du vent.
Un regard à ma montre m'indiqua que je devrais bientôt me mettre en chemin pour ma salle de cours où je retrouverai des deuxièmes années plus ou moins dissipés à qui je devrais parler de la composition des atomes. Joie.

Un guide, j'avais un guide. J'étais sauvé. J'avais 36 doses de caféines dans le sang et j'étais prêt à aller faire mon cours... ou presque. Quelque chose me chiffonnait, j'avais l'impression que James O'Malley appartenait déjà à ma vie. Peut-être que nous avons un lien spécial... une de ses choses que l'on ne rencontre que très rarement avec des personnes qui deviennent des amis ou plus que ça... (oui, je crois toujours en une certaine magie dans ce monde... ou du moins j'aime à l'imaginer malgré mes études de physique). Ou avais-je peut-être simplement croisé quelques fois cet inconnu à Belfast et mon inconscient avait gravé son image quelque part dans un coin de mon cerveau...

- Dans les affaires ? Non, mon père brassait de la bière et... c'est tout.

J'avais failli balancer qu'il avait eu un poste assez important au sein de l'IRA avant de me rétracter. Ce n'est pas le genre de choses que l'on balance dix minutes après avoir rencontrer quelqu'un, pas plus que le fait que je vend de la drogue ou que je suis allé en prison. Non, parfois il vaut mieux se taire Joe.
Je rassemblai rapidement mes affaires et les rangeait rapidement et sans vraiment prêter attention dans un sac que je n'arriverais certainement pas à fermer. J'avais toujours été plutôt désordonné. C'était une des choses que Siobhan, ma soeur, ne supportait pas chez moi.

- Merci de me servir de guide. Vraiment. Vous étiez de quel quartier à Belfast ?

Je passai le plus clair de mon temps dans les pubs ou dans la rue. Je connaissais les quartier de Falls et New Lodge comme ma poche. Il n'y avait rien de magnifique à y voir mais assez de rues pour faire des dizaines de kilomètres à vélo chaque jours. Dés le plus jeune âge, je ne rentrai chez moi que pour dormir les jours où je ne découchais pas et c'était une habitude qui m'étais toujours restée même à New York.