C'était la deuxième rentrée de notre jeune professeur de mathématiques à Berkeley, mais il restait perdu pour autant. Il fallait avouer que, l'année précédente, il n'avait pas donné tant d'heures de cours que cela, ayant eu nombre de déplacements en tant que maître de conférence, toujours suite à la publication de son livre. Voilà pourquoi, après avoir réfléchi longuement à la façon dont il allait se nourrir ce midi-ci, il finit par se décider à se rendre dans le restaurant universitaire du campus. Celui-ci était accessibles pour les étudiants, mais aussi pour les enseignants. Il avait cela de bien que l'on avait plus ou moins le choix quant à ce qui nous remplirait la panse, et que ce quelque chose n'était pas cher. Bref, un endroit pour toutes les bourses et plutôt chatoyants de part l'immense population qui s'y rendait à chaque déjeuner. Rylee en avait assez de se goinfrer de sandwichs, toujours semblables et sans intérêt nutritif raisonnable. Levant les yeux sur les menus proposés ce jour-là, notre professeur prit un peu de temps à se décider. Il ne mangeait pas beaucoup, mais il était du genre à chercher le meilleur du meilleur. En l'occurrence, il fallait choisir le meilleur du pire. Enfin, lorsque le temps fut venu de se faufiler dans la queue, il remplit son plateau de choses plus diététiques les unes que les autres. Et oui... Il arrive que les professeurs et chercheurs de mathématiques ne s goinfrent pas de pizzas et autres mets si peu délicats, ce ne sont pas non plus des boutonneux à lunettes enfermés dans leur cave... Rylee et son sourire charmeur en étaient décidément la preuve formelle. Un brin timide, rêveur, mais gardant les pieds sur terre, il parvenait à aisément attirer l'attention de son auditoire. Lorsqu'il eut payé, joyeusement, le plat et autres agréments présents sur son plateau bien chargé, alors qu'il s’apprêtait à trouver une place, il sentit comme un sorte de poids contre son pied. Laissant échapper un petit cri, bien plus de surprise que de douleur, il bifurqua un peu sur lui-même, se retrouvant face à face avec un jeune homme. Sans qu'il n'ait vraiment le temps de se rendre compte de quoi que ce soit, il se cogne fortement contre le plateau de l'autre type. D'ailleurs, le sien se retrouve de même au sol, mais, quant à lui, il n'avait rien. Son interlocuteur, quant à lui, suintait de partout, les contenus de son assiette et de son verre ayant atterri le long de ses vêtements. « Je suis confus... » souffla doucement Rylee en observant le jeune étudiant accidenté, une mine de dépit. Il fallait dire que les rires avoisinants prouvaient que cet incident allait sûrement être la source de taquineries et diverses moqueries dans l'avenir pour le garçon en question. A vrai dire, Rylee était même sur le point de lui proposer le remboursement de son repas, bien que cette histoire ne soit pas vraiment que de sa faute, l'autre lui ayant écrasé le pied, mais son interlocuteur l'agressa verbalement, littéralement. Etonné, le professeur de mathématiques ne réait pas aussitôt, lançant un regard surpris et ahuri. Reportant son attention sur le jeune homme, il finit cependant par pendre la parole. « Je vous demanderai un peu plus de respect. » affirma-t-il sur un ton grave. Il n'allait pas crier, mais il était plutôt énervé. La réaction de l'autre était disproportionnée, l'on insultait pas les gens de cette manière... A croire que l'Université était vraiment fréquentée par des gens mal élevés ! « Et puis, si vous n'êtes pas capable de marcher droit, ce n'est tout de même pas de ma faute ! Regardez un peu où vous mettez les pieds ! » continua-t-il, agressif à son tour. Rylee n'avait pas l'habitude de faire entendre son autorité, de jouer les rabats-joie ou autres fantaisies, mais il ne supportait pas qu'on le prenne pour un con. Tournant ensuite les talons, il quitta les lieux. Tant pis pour le repas chaud, ce ne serait qu'un sandwich supplémentaire pour cette fois. Quant aux dégâts, l'étudiant se chargerait de les ramasser !

Spoiler:

Rylee lança un dernier regard au jeune homme qui, malgré tout, continuait encore de l'insulter. Décidément, certaines personnes avaient vraiment leur ego très haut placé. Haussant les épaules, il déposa son plateau sur la bande passante qui les guidait simplement jusqu'à leur destinée : celle d'être vidés, lavés et rincés. Il vérifia que son costume n'était pas taché. Bien qu'il éprouvait beaucoup de mépris à porter cette tenue un peu trop sévère et magistrale, il n'avait pas le droit de se présenter mal habillé et négligé devant ses élèves. Au moins, lorsqu'il enseignait au lycée, il mettait ce qu'il voulait, ce qui revenait le plus souvent à une tenue peu recherchée. Mais une augmentation de salaire et de situation méritait quelques efforts.
Notre jeune professeur ne prit pas plus de quelques minutes avant de quitter le restaurant universitaire et se faufiler au-dehors. Il se dirigea rapidement à l'extérieur du campus, afin de trouver un quelconque supermarché. Il avait plus d'une heure de pause encore, alors autant faire un tour. Une fois à destination, il s'acheta un plat tout fait. Ce n'était pas donné, ce n'était pas plein de bonnes valeurs nutritionnelles, mais c'était tout à fait comestible. Voilà le plus important. Il fit réchauffer son plat dans un micro-ondes mis à disposition des enseignants dans l'Université même, à l'étage de son bureau. Cependant, il ne termina pas tout, car, incorrigible, il préparait encore une fois son premier cours. Et oui, cette année c'était le premier cours de mathématiques appliquées à la physique qu'il donnait. Il devait simplement présenter à ses étudiants les ustensiles de maths utilisables dans leur matière de prédilection... Et autant dire qu'il valait mieux s'organiser ! Le trentenaire se penchait donc davantage à vérifier que son cours était suffisamment structuré plutôt qu'à manger... L'heure fut venue de quitter son bureau qu'il avait à peine ingurgité la moitié de son plat. Comestible avait peut-être été un grand mot finalement ? Jetant un œil inquiet sur sa montre, il fourra rapidement ses notes et ses affaires comme il le fallait dans sa mallette. Cette mallette, il l'avait depuis bien longtemps, car il s'agissait d'un cadeau de son épouse, pour l'un de ses anniversaires. Il ne savait plus vraiment lequel, mais cela n'avait aucune importance. Le fait était simplement qu'il pensait à sa défunte fiancée tous les jours, et encore davantage lorsqu'il touchait à cet objet. Cela pouvait lui faire autant de mal que de bien, suivant son humeur et la santé de Jane.

Toujours aussi énergique que d'habitude, il ne lui fallu pas plus de quelques minutes pour arriver dans l'amphithéâtre où se tenait le cours. Il ne put s’empêcher d'entendre certaines remarques faites par les étudiants, mais surtout les étudiantes, à son arrivée. En même temps, ils devaient certainement tous s'attendre à voir un vieille homme à lunettes, au physique digne des plus éminents professeurs gagnants du prix Nobel. Il adressa un petit sourire à l'ensemble de la salle, avant de se présenter et débuter le cours. Alors qu'il approchait d'un grand théorème, il lança de nouveau un regard à la salle. Son regard se posa subitement sur un visage familier... L'étudiant du restaurant. Et bien lui... Il avait fait vite pour se changer, mais il paraissait plus qu'énervé par le fait que son professeur de mathématiques ne soit rien d'autre que son « agresseur ». Un petit sourire aux lèvres, Rylee voulait le tester. Drôle d'initiative pour quelqu'un qui préférait éviter les ennuis, mais autant tenter de voir si les étudiants mal-élevés travaillaient bien.

« Alors... Vous devriez connaître ce théorème, vous l'avez obligatoirement utilisé l'année dernière. D'ailleurs, ce que nous faisons aujourd'hui, je e rappelle, ne sont que des révisions afin de vous aider à mieux comprendre notre objectif. » indiqua-t-il. « Vous, par exemple, pourriez-vous nous indiquer les trois propositions nécessaires et suffisantes afin d'aboutir à ce résultat ? » demanda-t-il à l'étudiant aigri, en le dévisageant, souriant et montrant le résultat qu'il venait d'écrire au tableau.

Il n'était absolument pas dans les habitudes du professeur de mathématiques de harceler un élève en particulier et il n'allait pas s'y mettre maintenant. Ce genre de choses entraînait toujours de très mauvais résultats que ce soit pour l'étudiant ou son maître. Mieux valait rester dans des positions hiérarchiques précises et ne pas faire trop attention aux personnes qui souhaitaient mettre le désordre dans quelques affaires que ce soit. Du moins, au niveau de l'Université, si l'on commençait à toucher à sa vie privée, c'était autre chose.
Hautement désireux de savoir ce que valait le butte-en-train à qui il avait eu à faire quelques heures plus tôt, Rylee n'hésita pas à l'interroger, le sourire aux lèvres. Evidemment, les traits de son visage n'avaient rien de malicieux ou de buté, il arborait simplement son sourire enjoliveur habituel, bien que cela puisse tout à fait sonner comme un défi aux oreilles de son interlocuteur. Après un instant de silence, l'autre prit la parole. Il formula tout d'abord avec un certain événement le fait qu'il n'était pas présent à l'Université de Berkeley l'année précédente. Rylee aurait pu simplement hausser les épaules (bien qu'il ne fit rien, se contenter d'attendre la suite) car ce qu'il demandait été basique et si l'on avait atteint un tel niveau en études de chimie, l'on devait déjà s'y connaître. Finalement, après ce qui semblait être un instant d'hésitation ou de gène, l'étudiant s'exécuta, formulant avec intensité et précision ce qu'on lui avait demandé.
« Parfait. » acquiesça simplement Rylee, en souriant de plus bel. Ainsi, le jeune homme impulsif avec la langue un peu trop battante n'était pas un glandeur et il apprenait se s leçons. Tant mieux, cela voulait dire qu'il avait quelque chose dans le crâne... Et heureusement, sinon, il faudrait se poser des question sur le réel niveau de cette faculté ! Le trentenaire était prêt à reprendre son cours comme si de rien était, mais la voix de son précédent interlocuteur retentit à nouveau. Une question pertinente qui plus est.

« Et bien, il est évident que vous avez plus de chances de réussir en allant faire des exercices ailleurs et en profitant de cours d'autres professeurs. Certains ont une approche vraiment très différente de la mienne. » affirma-t-il en souriant encore une nouvelle fois. « Je vais vous écrire les coordonnées... » Et sur ces mots, il s'exécuta, donnant trois ou quatre titres et auteurs d'ouvrages. Lui aussi avait écrit quelques manuels, mais ce n'était pas forcément en lien avec les cours qu'il prodiguait aux étudiants de chimie. Après s'être de nouveau tourné face à la salle, il reprit la parole.
« Pourrais-je avoir votre nom? » demanda-t-il à l'étudiant qui avait la tête bien ancrée sur les épaules. Malgré la bien mauvaise posture dans laquelle ils s'étaient rencontrés, ce garçon était surprenant et pourrait même commencer à lui plaire... Après tout, seul les étudiants n'acceptent pas de voir la vérité en face et de changer d'avis. Dans tous les cas, si c'était un emmerdeur né, par exemple, il serait pertinent de connaître le nom de la personne à qui on a à faire...

Rylee n'était pas le genre de professeur à trouver querelle auprès de ses étudiants. Lorsqu'il enseignait au lycée, cependant, il avait eu à faire à quelques jeunes blanc becs, se prenant pour la fine lame de la société, et montant sur leurs grands chevaux à la moindre remarque. En même temps, il était vraiment jeune, et cette petite différence d'âge entre lui et ses élèves pouvaient parfois prêter à confusion, surtout auprès de la gente féminine. Rylee avait beau être quelqu'un de plutôt candide, le regard qu'avait porté sur lui certaines lycéennes ne pouvait pas tromper. Ah les jeunes, toujours à chercher l'impossible, à fantasmer sur ce qui n'est pas à leur portée. Comme Teresa, sa sœur, qui s'amusait à jouer les indisciplinés, rien que pour attirer l'attention et surtout celle de sa famille. Depuis que leurs parents lui avaient délégué toute leur autorité, Rylee ne savait plus où donner de la tête, car cette jeune femme un peu trop énergique à son goût se trouvait être étudiante à Berkeley. Il adorait, d'ailleurs, la titiller en lui affirmant que « comme quoi, les vilains petits canards » pouvaient tout de même faire quelque chose de leur vie, même s'il ne la considérait absolument pas comme telle. Elle savait qu'il ne faisait que la gourmander gentiment, d'ailleurs, il arrivait très rarement qu'il hausse la voix sur elle de façon trop longue et trop colérique. C'était son frère, après tout, et il était en partie coupable de son mal-être, lui qui avait osé tenter de l'abandonner, de les abandonner tous, même Jane.

Voilà qu'aujourd'hui, un étudiant était nominé au prix de grand emmerdeur. A savoir ce qu'il valait en tant qu'étudiant d'ailleurs... Il ne devait pas être si mauvais, puisqu'il avait réussi à monter les échelons et traverser les années pour se retrouver à un telle niveau en astrophysique. Après lui avoir demandé des explications et répondu à sa question en ce qui concernait les potentiels bouquins à acheter, Rylee se hasarda à demander le nom de l'inconnu. A la place d'avoir une réponse précise et posée, comme ce à quoi il s'attendait bien normalement, il eut droit à une sorte de manœuvre d'intimidation. C'est du moins ainsi qu'il interpréta la façon dont se braqua son interlocuteur vis-à-vis de sa demande pourtant fortement banale. Haussant les sourcils, interloqué, il finit cependant par reprendre la parole :
« Je pense qu'on s'est suffisamment parlé plus tôt pour que je sois en droit de demander votre nom. J'aime avoir à qui je parle. » répondit-il de manière autoritaire. Il ne voulait pas être cinglant, c'est pourquoi il n'aborda pas le fait qu'ils s'étaient tous les deux vu à la cafétéria un peu plus tôt et que le cher jeune homme avait fait une intervention des plus spectaculaires qui ferait certainement rire ses camarades, aussi âgés soient-ils.
« Bon, très bien, comme bon vous semble jeune homme, mais c'est plutôt dommage. Vous avez du potentiel. » ajouta-t-il ensuite, sans développer quoi que ce soit, avant de prendre la craie de nouveau en main. « Alors comme je vous l'ai expliqué y a une minute, ce théorème fondamental est la clef du reste du chapitre. » reprit-il, se replongeant dans le cours. Il essayait cependant de ne plus recroiser l'étudiant en question, qui semblait plutôt énervé ou intrigué par la situation. Autant ne pas s'assombrir l'esprit avec les empotés.