Il faisait frais ce jour-là, mais suffisamment beau pour sortir au parc. Rylee posa un regard sur Billy, le nouveau baby-sitter de sa fille. Il l'avait rencontré par un heureux hasard dans un magasin de fringues, l'ayant pris pour un vendeur. Jamais, à ce moment-là, alors qu'il lui avait offert une simple boisson chaude, il n'aurait cru que cet étudiant prendrait tant d'espace dans sa vie. C'était étonnant ce qu'ils pouvaient s'entendre tous les deux, pourtant si différents. Au début, Rylee avait voulu le prendre sous son aile, tel un grand frère ultra-protecteur, mais plus ils se côtoyaient, plus notre jeune professeur de mathématiques comprenait que ce n'était plus tout à fait cela. Ils regardaient des vidéos en soirée, passaient énormément de temps ensemble, malgré le planning du professeur et de l'élève, on aurait vraiment dit deux frères, mais.... Il ne l'aimait pas comme un frère, il y avait autre chose derrière ce drôle de sentiment, cette drôle de sensation... Et Rylee n'osait pas s'avouer ce que ce pouvait être, lui qui avait jusqu'alors jamais ressenti quelque chose de si intense pour un homme, même son meilleur ami. A vrai dire, il aimait les manies stupides et parfois loufoques de Billy... Aussi étonnant que cela pouvait paraître, lui, l'homme de logique, appréciait l'illogique des gestes et des paroles de ce garçon à l'air rêveur. Des fois, Billy le prenait par la main, ou le caressait tendrement... Et Rylee n'avait encore jamais su comment réagir... Au début, il s'était braqué, mais à présent, il se laissait faire de plus en plus... Comme si ces attentions toutes spéciales lui faisaient le plus grand bien. Le regard de cet étudiant sur lui... C'était juste magique par moment, comme s'il voyait en lui la plus belle des icônes. Gêné au départ, le professeur Felming en riait par moment.

Jane se léchait les doigts, heureuse et comblée par son dessert, avant de rire bêtement. « Papa, je peux aller jouer là-bas ? » demanda-t-elle en indiquant les jeux pour enfant. Il y avait un château, une tourelle, avec un parcours digne des plus grandes aventures. « D'accord, mais ne t'éloigne pas trop... Je veux te voir de là où on se trouve, d'accord ? » affirma-t-il. La fillette acquiesça et se hâta en courant vers son nouveau point d'amusement. Elle ne parvenait pas à rester plus de quelques minutes sans bouger dans tous les sens, cette enfant. Poussant un soupir, Rylee se mit à ses aises, se couchant sur la serviette de pique-nique, se laissant tomber sur le dos. Par un sourire, il invita Billy à le rejoindre avant que le silence ne s'installe. Il faisait vraiment frais en fait, mais avec un pull, on pouvait rester au-dehors et se prélasser sans souffrir de cette fraîcheur. Au contraire, ils devaient être bien, là, tous les deux, à se reposer après avoir bien mangé.
Finalement, Rylee brisa le silence :
« Alors, Billy, les études, ça se passe ? »demanda-t-il. Déformation professionnelle, parlons des choses qui fâchent ! Le professeur de mathématiques savait pertinemment que son jeune interlocuteur n'était pas des étudiants les plus assidus... Ce fut donc avec un ton un peu taquin qu'il aborda le sujet.

Passer ce genre de journées au parc en compagnie de sa fille et d'un grand ami était ce qui redonnait à Rylee la fougue de continuer à vivre, tout simplement. Il était vrai qu'il avait beaucoup de travail et qu'il souffrait encore de certaines tensions qui pouvaient régner au sein de sa famille, suite à la mort pourtant si lointaine de son épouse (enfin presque épouse). Mais en même temps, ils avaient été si proches tous les deux que les années n'avaient fait leur travail qu'en partie, si bien que notre professeur de mathématiques n'avait pas su remplacer sa bien-aimée. De toute façon, il ne la remplacerait jamais. Une autre personne pourrait prendre une place importante dans son cœur, mais la partie consacrée à sa fiancée ne se viderait jamais. Ce n'était pas le disque dur d'un ordinateur, effaçable, volatile. C'était les émotions et les passions d'un homme torturé par un passé injuste et difficile.

Rylee semblait rêveur, s'évadant dans ses pensées, à regarder simplement le ciel, mais en vérité, même dans cette position, il lançait des regards en direction de Jane, qui jouait au loin. C'était sa fille, c'était son tout, il ne voulait pas qu'il lui arrive malheur. Cela, jamais il ne pourrait se le pardonner. Jamais. Alors la surveiller, jouer un peu à la police, c'était le meilleur moyen de s'assurer qu'elle était encore en sûreté.
Lorsque Billy répondit finalement à sa question, notre jeune homme sortit de sa torpeur, la douce voix de son interlocuteur lui faisant prendre conscience de la réalité des événements. Et en ce moment, Rylee avait purement de la chance d'être vivant. Heureusement que que Maria l'avait trouvé ce jour-là, lorsqu'il avait tenté de se suicider. Rien que de voir ce beau temps et le visage souriant de Billy lui donnait des ailes. La question qu'on lui posa le fit légèrement rire, et il se pencha lui aussi sur le côté, s'accoudant et posant la tête conte sa main.

« Le professeur est fatigué. » répondit-il en riant un peu. « La dose de travail en ce moment est de plus en plus croissante, on dirait que la courbe est exponentielle en fonction du temps ! » Un rire, de nouveau. Puis ce regard qu'il posa à Billy, comme s'il venait subitement de se rendre compte à quel point il aimait le sourire de son interlocuteur. Un petit moment de silence, pendant lequel Rylee observa l'étudiant avant de rougir et de déglutit fébrilement. Son regard s'était perdu dans les yeux si fascinant de son interlocuteur et il crut un instant y lire des pensées magiques. C'était la première fois qu'en ressentant cette sensation, cette étrange impression, il n'était pas vraiment gêné. Un peu tout de même, sans quoi il n'aurait pas rougi, mais moins. En vérité, il adorait cette impression d'être aimé. Personne ne le regardait comme Billy... C'était plutôt bizarre des fois.
« Je crois qu'il faudrait que j'aille dans un centre de massages, ça me détendrait, je pense... Je me fais vieux, faut croire que je fais un peu d'arthrose! » finit-il par affirmer. Il ne savait pas qu'il était carrément en train de faire une proposition au jeune homme accoudé face à lui. Une proposition, une invitation à le toucher qui venait du plus profond de son subconscient. Et pourtant, il ne détacha pas ses yeux de leur point d'ancrage : le visage ruisselant de jeunesse et de fougue de Billy.

Rylee ne pouvait pas détourner le regard, comme scotché dans celui du baby-sitter de sa fille. C'était amusant lorsqu'il le regardait, il avait ce drôle de scintillement aux creux des pupilles. Sans doute la lumière du pâle Soleil de cette fraîche journée lui retombait dessus de façon à provoquer cet effet paranormal. Billy se plaignit de problèmes pour s'endormir. Pourtant, ce ne devait pas être les études qui le frustraient tant, il ne faisait rien de particulier et ne se donnait pas vraiment à fond, du moins aux yeux d'un trentenaire professeur, ce n'était pas le cas. « Et bien, tu ne dors pas beaucoup, tu manges peu.... » fit Rylee en indiquant d'une main la nappe qui leur avait servi de table pour ce pique-niques, pour argumenter ses dires, avant de reprendre la parole : « T'es amoureux ou quoi ? » Il en rit, alors que pourtant il ressentait comme une sorte d’électrochoc en prononçant ces mots, comme s'il était soudainement gêné ou énervé. Mais par quoi ? De la jalousie ? Envers son baby-sitter et une possible histoire d'amour qu'il vivrait ? Mais pourquoi donc ? Cela n'aurait aucun sens.

Le professeur de mathématiques rit lorsque son interlocuteur le réprimanda. « Oh désolé, je n'ai pas pu m'en empêcher ! » s'exclama-t-il. Rylee vivait maths, parlait maths, respirait maths, alors il était évident que de temps en temps certaines expressions pouvaient lui échapper. Mais avec Billy, ils avaient déjà passé bien assez de temps pour qu'il comprenne que l'étudiant ne portait pas cette science dans son cœur. Et malheureusement, c'était le cas de très nombreuses personnes. A croire que les mathématiques étaient diabolisées.... Rylee dirait plutôt qu'elles étaient parfois, même très souvent, mal enseignées. L'approche était la plus importante, dans les petites classes, sinon après on perdait forcément des élèves en route ! Il se décala un peu, se mettant sur le côté afin de prendre davantage ses aises. Puis il jeta à nouveau un regard dans la direction qu'avait pris sa fille quelques temps plus tôt. Tout allait bien, elle jouait avec une nouvelle amie. Un sourire aux lèvres et rassuré, il se concentra de nouveau sur son interlocuteur, sentant soudainement la main de celui-ci venir lui caresser tendrement le bras. Il en frémit, étrangement, et se laissa faire. Un homme aurait dû réagir, repoussait ce comportement qui n'était pas vraiment habituel entre deux amis, mais il n'en fit rien. Au contraire, il apprécia la caresse apposée délicatement contre sa joue... C'était si tendre, si doux. Cela faisait longtemps que personne ne l'avait touché de cette manière. Il sourit davantage en entendant le compliment qu'on lui faisait. « C'est vrai ? » demanda-t-il en rougissant presque. Rylee rougissait beaucoup, et pour n'importe quoi. D'ailleurs, ses étudiantes trouvaient cela absolument craquant, il les avait surprises à en parler ouvertement dans les couloirs à l'entrée d'un de ses cours. « Normalement, pour les jeunes de ton âge, la trentaine, ça semble à la vieillesse... » continua-t-il, toujours en souriant. Et sans vraiment s'en rendre compte, il avait passé délicatement sa main dans les cheveux de Billy, le caressant à son tour.