J'entrai dans le Hard Rock Cafe avec des livres et des cahiers de notes à la main. Comme si j'étais en pleine période de révision. Pourtant, mes cours et mes examens terminaux étaient achevés depuis trois semaines déjà. Je pouvais troquer mes crayons de bois pour mes maillots de bain, enfin. Mais non. Je m'étais embarquée dans un projet génial qui allait certainement me prendre beaucoup d'heures durant les vacances. C'était pour une bonne cause, alors j'étais déjà tout excitée à l'idée de commencer à travailler sur le projet. J'avais rencontré Stephen par hasard, puisque rien ne nous liait dans nos vies, pas même nos cours ou notre réseau social. Nous avions commencé à parler de tout, et de rien. Il avait appris que j'avais fait le tour du monde, que j'avais vu des pays en très mauvaises conditions en Afrique et en Asie. La pauvreté, la guerre. Il m'avait alors parlé de son pays d'origine, la Bosnie, et du fait que ses parents y avaient laissé leur vie durant la guerre. J'avais été touchée par cette triste histoire, et Stephen avait été touché par le fait que j'avais vu de mes propres yeux ce genre d'horreur, même si c'était à plus petite échelle. Politiquement, j'étais très engagée, et de façon humanitaire, Stephen l'était aussi. Nous avions donc décidé de monter un projet, ensemble. Ramasser des fonds pour les enfants de la guerre, organiser des campagnes de sensibilisation, du parrainage pourquoi pas. Je rejoignais Stephen à dix heures du matin, et j'étais trente minutes en avance. Je voulais déjà commencer à réfléchir à un nom pour l'organisme, et aussi à tout ce que nous allions pouvoir mettre sur pieds. Je voulais que mon ami arrive et que nous ayons déjà beaucoup d'idées sur la table, pour en discuter le plus rapidement possible. Je pris donc place à une table au bord de la fenêtre après avoir acheté un thé sucré - je ne buvais pas de café. Je commençai à gribouiller des idées et des plans dans mon cahier, quand j'entendis la voix de Stephen au comptoir un peu plus loin. Je relevai la tête et il me fit un signe de la main alors qu'il attendant sa commande. Je souris. Ce qu'il pouvait être beau, Stephen, en plus. Travailler avec lui tout l'été ne me posait aucun problème, tout compte fait. Mais il fallait que je garde ça pour moi : il avait une copine, si jamais le fait que je fantasmais sur lui sortait au grand jour, j'allais être dans la merde et dans la mire d'une copine jalouse. Stephen s'approcha de moi et je me levai pour lui faire la bise. « Bon matin ! » Lançais-je, enjouée. Je me rassis sur ma chaise et je repris mon crayon en main. « Je sais que je n'arrête pas de le dire, mais je te le répète, je suis vraiment emballée par notre projet. Je suis contente de travailler là-dessus avec toi. » Lui avouais-je pour la énième fois. Je lui adressai un petit sourire peut-être trop charmeur puis me concentrai sur mon cahier. « On commence par quoi ? Il y a tant à discuter ... »

Stephen semblait tout aussi ravi que moi de me retrouver là ce matin afin que nous puissions nous lancer dans cette grande aventure enrichissante et valorisante. Bien des gens donnaient à des organismes pour donner bonne impression, ce n'était pas notre intention. Nous voulions réellement faire un changement, aussi minime soit-il. Je savais bien que je ne pouvais pas changer le monde, mais si je pouvais l'aider un tout petit peu à aller mieux, alors j'allais pouvoir mourir en paix. Après mon tour du monde, j'avais réalisé que j'avais eu beau voir tout ce qu'il y avait à voir ou presque, j'avais été la seule à en être ressortie complètement changée. J'avais croisé le chemin de tellement d'humains. Certes, j'avais laissé une marque indélébile dans le coeur de certains d'entre eux, surtout des africains, mais ils allaient quand même continuer leur petite routine en pensant à moi de temps à autre. Je n'avais pas fait basculer leur existence comme ils avaient fait basculer la mienne. Voilà pourquoi cette cause que j'allais défendre aux côtés de Stephen m'était si importante. J'allais prendre toute mon expérience et ma connaissance pour la mener jusqu'au bout, jusqu'au meilleur. « Tu es motivée et c’est plaisant à voir, il me tarde aussi de commencer ! » J'étais rassurée de constater que je n'étais pas la seule à nager dans le bonheur à l'idée de faire un truc de vraiment bien. Stephen prit finalement place à côté de moi et je pense que j'ai un peu rougi en le dévisageant sans qu'il ne le remarque. Ses yeux perçants étaient fixés sur son ordinateur. Puis, il releva la tête vers moi, et je rougis encore plus à l'idée qu'il ait remarqué mon regard sur lui. « Je suis désolé, je vais être un peu terre à terre, mais comme dans tout domaine, le nerf de la guerre est l’argent, il nous faut récolter des fonds, et je pense avoir une idée pour cela ! » Évidemment, j'étais tout à fait d'accord avec lui. « Oui bien sûr ! Allez, je t'écoute. » Il tourna alors l'écran de son portable afin que je puisse en voir le contenu. Il en était encore à la page de démarrage. « J’ai fait un vernissage il y a quelque semaines, ça a bien marché, et je commence à me faire connaitre, je pense qu’on devrait exposer et vendre certains de mes tableaux, j’ai déjà fait de belles ventes, ça peu vraiment nous aider. » J'hochai la tête. L'idée était vraiment bien. J'allais le lui dire quand finalement, les photographies de ses tableaux apparurent sur l'écran. Il les fit alors défiler devant mes yeux impressionnés. C'était magnifique. Très sombre. Exactement comme j'aimais l'art. Derrière mon sourire radieux et mes yeux lumineux se cachait une femme très obscure. Je ne le laissais voir à personne, mais j'avais bien des idées noires et des moments de détresse étouffés. Ces tableaux m'inspiraient donc énormément. Stephen me demanda ce que j'en pensais. « Stephen c'est ... à couper le souffle. Je savais que tu étais un artiste mais ... je ne m'étais jamais imaginé que tu puisses être aussi doué ... enfin je veux dire c'est ... c'est juste ... excellent. » Mes yeux étaient grand ouverts et je n'arrivais même pas à sourire : ma bouche demeurait entrouverte de surprise. « Mais ... je n'ai rien de tel à proposer pour ramasser des fonds. Rien qui puisse venir de moi. Je n'ai pas de talent comme le tien ... Je me sens un peu mal par rapport à ça, vois-tu. Que ton art serve au projet et que je n'aie rien pour compenser ... » Je voulais aussi faire ma part, mais à part des idées et des activités à mettre en place, je n'avais pas de talent à revendre.

Le malheur des blondes au teint pâle : tout le monde remarque lorsqu'elles rougissent. Mes joues s'empourpraient à chaque remarque provenant d'un homme que j'appréciais ou que je désirais. Ces foutues pommettes me trahissaient à chaque fois. Heureusement, Stephen ne semblait même pas l'avoir remarqué. Il n'avait aucun petit sourire moqueur, ou aucun changement dans le regard en me voyant réagir. Quelle chance j'avais. Je pu finalement me concentrer sur autre chose que ses beaux yeux lorsqu'il me présenta ses œuvres à l'ordinateur. « Ben… Merci … » Me répondit Stephen avec un léger sourire. Il semblait gêné par mon compliment à propos de ses peintures. En même temps, à quoi pouvait-il s'attendre en me présentant de tels chefs d'œuvre ? Je ne pouvais que le couvrir de compliments, des plus vrais d'ailleurs. Je me sentis d'ailleurs tout à fait inutile et incompétente après avoir vu cela. « Tu rigoles ou quoi ? Ok je sais peindre… mais je ne sais faire que ça, t’as fait le tour du monde, tu as un tas de connaissances… là j’ai une idée pour récolter des fonds, mais pour ensuite savoir quoi en faire, comment le distribuer ou organiser l’aide que l’on peut apporter, je suis complètement paumé, là-dessus, je suis sûr que tu peux grandement m’aider ! » Mon sourire s'agrandit en voyant son clin d'oeil. Aucun doute, le peintre savait comment remonter mon estime de moi-même. En même temps que lui, je pris une gorgée de mon café en hochant doucement la tête. « Bon, je doute fortement que tu ne saches que peindre. Mais merci pour le speech d'encouragement. J'avoue que je pourrai probablement trouver quelques moyens de mettre mes connaissances dans le projet. À nous deux, on devrait se compléter. » Je souris en lui retournant un clin d'oeil. « Je pense que l’on fera justement une bonne équipe. » J'hochai la tête, encore une fois. « Je suis tout à fait d'accord. » Et je terminai en deux gorgées ma tasse de café. Je n'avais jamais été très bonne pour siroter mes verres tranquillement. À chaque fois que j'avais une consommation devant moi, je l'engloutissais comme si je n'allais jamais être nourrie de nouveau. Une autre facette de mes problèmes d'alimentation. Puis je remarquai finalement que Stephen était en train de me regarder, ou plutôt de me scruter de son regard perçant. Un courant électrique me traversa le corps tout entier. Il ouvrit la bouche. La referma tout de suite. « Non rien … » Puis il cessa de me dévisager et termina son café. Je fronçai les sourcils. Pourquoi m'avait-il contemplé de la sorte, me passant comme dans un scanner ? J'avais l'impression qu'il avait fait une photocopie mentale de mon visage, et cela me troublait au plus haut point. « Tu commences, tu finis. Qu'est-ce que t'allais dire ? Et pourquoi tu me regardes comme ça ? » Ça me concernait visiblement, alors je voulais savoir de quoi il s'agissait.

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