L'air frais vint gentiment frapper la peau du visage de la jeune Niham, lui donnant une impression d'air totalement pur. L'anglaise avait toujours préféré l'hiver à l'été; ce dernier, bien trop chaud et bien trop moite, lui donnait sans cesse une sensation de saleté permanente. Elle préférait de loin les journées pluvieuses, les gros bonnets et les écharpes extra-larges. Voila pourquoi la nécessité de préciser que Niham était de bonne humeur en ce jour ne se présente pas. Tout en quittant le bâtiment de sa résidence, elle s'attacha les cheveux en une queue haute, serra une nouvelle fois sont short afin d'être sur de ne pas le perdre et se mit finalement en route pour le parc de l'établissement, ballon sous le bras. Depuis un moment maintenant, elle avait pris cette habitude de se rendre au parc le week-end, quelque soit le temps qu'il fasse, afin d'aller titiller le ballon un moment. C'était plus fort qu'elle, ça l'avait toujours été. Comme une piqure d'héroïne, quelque chose qui vous libère de tous les soucis de la vie quotidienne pour un certain moment. Alors qu'elle marchait d'un pas rapide sous le regard halluciné de certains étudiants - se balader en maillot de foot en plein mois de décembre ? - elle prit un certain plaisir à se remémorer de nombreux souvenirs liés au sport : les premières touches de ballon avec son père, tout juste professionnel, dans le jardin familial, les soirées annuelles du Liverpool Football Club avec les collègues tout aussi connus que son géniteur, les premiers entrainements, le premier tournoi, la première médaille. Toute une série d'événements les plus heureux les uns que les autres. Puis la période où son monde commença doucement à s'écrouler. Les douleurs permanentes, le genou se déboitant lorsque l'envie lui venait. Puis le verdict du physio. Problème de croissance, impossible de jouer. Son château de carte s'effondra sans plus attendre et elle vit ses rêves se briser sous ses yeux. La nouvelle fut un véritable coup dur pour la jeune scouse qui se renferma sur elle. Puis peu à peu, après de nombreuses séances de rééducation, on lui permit de s'y remettre, gentiment, mais le professionnalisme était à exclure à tout jamais.

Niham fut soudainement sortie de ses pensées par une voix autre que la sienne. ━ Salut Niham. La jeune Callaghan, baissant ses écouteurs par une simple raison de politesse, releva les yeux pour croiser ceux d'une fille de son cours de kiné. Un sourire sincère prit de suite place sur les lèvres d'Allistair. ━ Hello Ulla, comment ça va ? Les deux jeunes étudiantes en médecine engagèrent la discussion tout naturellement, heureuse de se croiser par ce week-end d'hiver. Peu de gens s'aventuraient à des sorties lors de jours aux si basses températures, voila pourquoi il était toujours agréable de croiser une tête connue. Après une petite dizaine de minutes de conversation enjouée et après s'être souhaité une bonne fin de week-end, Allistair reprit le chemin du parc, cette fois-ci la balle au pied, enchainant divers dribles et tout en faisant attention à ne pas se tordre la cheville. Lorsque finalement elle arriva à destination, elle se dirigea vers un arbre où elle posa son sac et où elle laissa reposer son ballon. Non loin de là, à une petite douzaine de mètres, se trouvait un groupe de garçons jouant au football américain. Elle n'y porta pas plus d'attention et se mit sans attendre à s'échauffer ; on ne perd jamais les bonnes habitudes. Après quelques petits sprints et divers étirements, elle se saisit de son ballon et se mit à travailler ses passes, disposant son sac à divers endroits sur la pelouse et essayant d'envoyer le ballon le plus précisément possible à cet endroit. Après plus de dix essais - autant l'avouer - très convaincants, elle se mit au jonglage. Le pied droite, le gauche, la cuisse, l'épaule, la tête, et de nouveau le pied droite, le dos, la cuisse. L'adrénaline commençait gentiment à prendre place dans son sang et un grand sourire s'installait sur ses lèvres. Une bonne journée qui s'annonçait, sans aucun doute.

Elle continua son entraînement sans grande prise de tête, faisant de courtes pauses de temps à autres afin de s'abreuver et d'éviter la chute de pression. Elle baignait de sueur et pourtant elle était bien. Ce n'était pas la même sensation que la chaleur de l'été, désagréable. Oh non. Elle avait beau sentir les goutes glisser dans le creux de son dos, elle se sentait bien, et même mieux que jamais. Assise contre un arbre, la tête reposée contre le tronc de se dernier, une bouteille d'eau à la main, elle se contentait de prendre de longues respirations, les yeux clos. Elle sentait ses muscles travailler, tirer, chauffer, signe que son travail me menait pas à rien. Elle reprit une gorgée d'eau et s'installa plus confortablement ; elle avait bien le droit à une petite pause.

Le football a toujours fait comme partie de l'ADN de toute la famille Callaghan. Aucune génération n'a été épargnée pour le moment; ils mangent football, boivent football, rient, chantent, dansent, fêtent, pleurent, pensent, dorment et tout simplement vivent football. C'est quelque chose qui se transmet de père en fils et même de père en fille. Les épouses s'y font, peu à peu, avec le temps, et finissent tout aussi mordues que les hommes de la famille et voir même parfois plus. C'est en sentiment formé de feu, d'amour, de gloire, de passion et d’orgueil, un tout imposant et majestueux. On instaure une relation entre le club et soi-même, plus forte que tout et même au-delà du raisonnable, au-delà de toutes les lmites. On finit par s'identifier à une ou plusieurs couleurs, à certaines dates et certaines périodes, à certaines personnes. C'est un cercle vicieux dont la sortie est tout simplement impossible, et pourtant, c'est un cercle vicieux duquel on aimerait tout sauf sortir du fait qu'il est si addictif. Jouissif. Plus fort que l'amour, plus fort que la haine, que la fraternité, que l'amitié; plus fort que n'importe quel autre sentiment. c'est ça être un supporter, un vrai, un pur et dur. Peu importe depuis combien de temps on supporte une équipe, le nombre de joueurs qu'on a vu défiler sous les couleurs du club, peu importe le nombre de fois où tu te rends au stade. L'important c'est d'être dévoué et d'être présent jusqu'à la fin. Simplement et uniquement.

Alors qu'elle se lançait dans un Crossbar Challenge sur son but improvisé, formé d'une poubelle et de deux lampadaires, Niham-Isleen passa doucement le bout de ses doigts sur l'écusson du club de toute sa vie. De nombreux souvenirs virent s'installer dans sa mémoire, faisant ressurgir ces nombreux moments dans le Kop à entonner des chansons cultes avec d'autres centaines, d'autres milliers de personnes. Les portes du stade, la Shankly Gates, les memorials aux victimes d'Hillsborough, le You'll Never Walk Alone, les ovations du stade tout entier à l'égard de l'éternel capitaine, les matchs dans les bars avec la famille toute entière. Rien que le fait d'y repenser la fit frisonner, la chair de poule envahissant l'entièreté de sa peau, ou presque. Se ressaisissant et se concentrant sur son but premier, c'est à dire le crossbar challenge, elle se redressa légèrement et prenant une courte respiration, elle s'élança jusqu'au ballon. Cependant, au moment même où son pied allait faire impact contre le cuir, elle se sentit perdre l'équilibre sous une force tout à fait inattendue qui la déstabilisa. Elle sentit sa cheville se tordre sous son propre poids et, se préparant à la chute, elle se couvrit le visage. Cependant, avant même de pouvoir toucher le sol, deux bras encerclèrent sa taille et interrompirent sa chute. Sentant sa cheville réagir à l'incident deux minutes auparavant, elle se retourna brusquement, prête à exploser. ━ Mais espèce de.. Elle n'eut pas le temps de terminer sa phrase que le 'fautif' s'excusait déjà. La voix s'adressant à elle ne lui étant pas inconnue, elle prit finalement la peine de prendre en compte le visage de la personne en face d'elle. Ses yeux tombèrent sur nul autre que Jackson Whellan, avec lequel elle entretenait une relation passablement étrange. Les deux jeunes gens s'entendaient très bien, à merveille même, mais entre eux s'était installée peu à peu cette sorte de compétition, les deux sentant toujours le besoin de prouver à l'un l'autre lequel était le meilleur. De nombreux pics, par ci par là, mais jamais rien de bien méchant. ━ Alors Whellan, on a encaissé les kilos pendant ces fêtes de fin d'année ou bien? lui dit-elle en riant, un sourire amusé aux lèvres. C'était comme ça entre eux. Ils ne se prenaient jamais aux sérieux, profitaient de se voir l'un l'autre pour penser à autre chose que le train train quotidien, pour partir dans un délire tout à fait improvisé.

Soyons honnête, on a tous besoin de ça de temps à autres. Rien d'autre que du rire, arrêter de se crêper le chignon, de faire attention à ce qu'on dit et à quoi on ressemble. C'est en partie pour ça que Allistair adorait passer du temps avec le footballeur, pour pouvoir parler avec quelqu'un qui puisse savoir comprendre le sarcasme et l'ironie sans jamais le prendre pour lui-même. Parce que oui, Niham-Isleen est comme ça. Elle adore le deuxième degré, se laisser aller à ses envies, se détacher pour quelques instants de son image d'intello qui lui colle à la peau. Juste de vivre sa vie comme une jeune femme de vingt-trois ans, en fait.