La journée touchait à sa fin. Alexiane était en train de relever les noms des élèves de première année qui souhaitaient participer aux TD. La salle des profs se vidait, elle n'avait toujours pas fait plus ample connaissance avec ses collègues. Et déjà, elle voyait se profiler un joli tas de copies à corriger, tandis que l'échéance de la première dissertation arrivait.

Elle soupira et s'octroya une pause. Elle se dirigea vers la machine à café et inséra de la monnaie, après avoir passé cinq minutes dans sa poche à tenter de différencier les dollars d'avec les clés de sa voiture.

Elle sortit, son gobelet de carton fumant dans la main. Elle avait sous le bras un paquet de feuilles, contenant sujets et corrigés, ainsi que l'ébauche de son premier cours.

Les étudiants stagnaient devant les casiers. Ils parlaient du dernier film qu'ils iraient voir ensemble, de qui avait cassé avec qui et tout le blabla usuel des jeunes gens d'une telle ville.

Alexiane esquissa un sourire. Elle se remémora sa jeunesse, passée à la Sorbonne, à trimer comme une folle pour parvenir à surmonter son statut d'étudiante étrangère. Les rencontres, les heurts, les amours et les amitiés... Tout ce qu'elle avait vécu là bas, extrêmement riche en expérience personelle.

Avec sa démarche un peu étrange et son look, elle pourrait se confondre avec cette foule dense. Même ses lunettes collaient parfaitement avec la tendance jeune du moment. Elle n'était en rien une professeur stricte.

Le nez penché sur ses pieds, elle marchait, préoccupée, mille pensées se bousculant dans sa tête.

Jusqu'à ce qu'elle heurte malencontreusement un élève. En levant les yeux, elle remarqua que c'était une élève. Elle avait réussi à lui verser un peu de café dessus et ses copies étaient sur le sol, prenant les quelques gouttes de café.

- Oh zut... je suis vraiment navrée...

Honteuse, elle ne savait comment réagir. Elle n'allait pas essuyer l'élève comme ça. Et elle était trop maladroite.

Evidence, qui déambulait dans les couloirs sans trop savoir où elle allait, marchait d'un pas pressé et complètement détaché de la réalité. Elle ne savait pas trop ce qu'elle faisait encore là, à Berkeley, malgré le fait que ses cours soient finit depuis plus de deux heures. C'est peut-être qu'elle attendait quelqu'un inconsciemment ou qu'elle se disait intérieurement qu'elle finirait par retrouver son bracelet qu'elle avait perdu la semaine dernière. À vrai dire, elle n'avait rien à faire et elle ne voulait absolument pas rentrer chez elle. Les filles de la maison lui faisait un peu peur et elle n'avait pas envie qu'elles critiquent sa musique ou ses paroles arrogantes et complètement surhumaine. Elle préférait de loin les murs de Berkeley... Elle s'y sentait vachement mieux.

Elle entra dans la grande salle. Des élèves y mangeaient entre deux cours et d'autres y jouaient aux cartes ou avaient branché leur portable au réseau sans fil de l'école pour télécharger de la musique ou lire le synopsis du dernier film... Evidence passa en coup de vent et se rendit dans le corridor principale. Là où il y a la salle des profs et les bureaux de la direction. Elle marchait lentement et regardait un peu partout. Tout et n'importe où, sauf en avant. Elle fut sortit de ses rêveries lorsqu'un professeur lui rentra carrément dedans. Quelques gouttes de café vinrent éclabousser son chandail jaune criard et, par le fait même, brûler sa peau. Elle n'eut aucun autre choix que de renverser ses cahiers par la surprise et crier d'étonnement. Elle posa ses mains sur son chandail, là où il y avait la tache. Tout ça, sans se rendre compte que c'était Alexiane, sa prof de philo, qui venait de la heurter.

Ne... Ne t'en fais pas ! Il était vieux ce chandail et je ne l'aimais plus vraiment... Toi, ça va ? Pas trop sous le choc... C'est pas tout les jours qu'on fait des faces à faces... À vrai dire... Ouais, on en fait souvent à BCU, mais tu viens d'arriver, tu ne pouvais pas savoir... Heum... Bon, je me tais.

Evidence se pencha et aida la prof à ramasser ses copies d'examen. Leur regard ne se croisa pas tout de suite. C'est simplement lorsqu'Evidence redonna à la prof ses copies, qu'elle remarqua qu'elle avait le regard perçant.

C'est toi, Alexiane... La prof de philo ! Ton cours d'hier était tellement bon ! Le lien parallèle entre la drogue et la dépression était vraiment, vraiment bien... Bravo, j'admire !

Evidence ne le cachait pas, elle adorait les cours d'Alexiane. Sa façon si franche de dire les vrais choses et de faire qu'on se pose des questions sur le sujet... Personne auparavant avait été capable de créer un doute chez Evidence et cela, elle l'appréciait énormément.



{ Désolé pour le cours improvisé de Philo, j'suis sûr que c'est même pas ça , de la philo XD }

[A vrai dire cela relève plutôt de la psychologie mais ne t'en fais pas, ça peut rentrer dans le cadre du cours =) ]

Alexiane remarqua alors que le visage de la jeune femme ne lui était pas étranger. Certes, elle voyait passer des dizaines voire des centaines d'élèves, qui avaient osé prendre philosophie comme enseignement optionnaire, voire obligatoire. Des élèves au profil intéressant. "Voire suicidaire pour certains", songea-t-elle avec un petit sourire intérieur.

Elle ramassa ses affaires. Et accepta l'aide de la jeune femme bien volontiers.

- Même si c'est un vieux chandail, cela ne change rien au fait que vous allez probablement sentir le café pendant un certain temps.

Elle vouvoyait tout le temps ses élèves. Réflexe des académies françaises et allemandes, et réminiscences de la bien "noble et grande" famille Van Heidegger. Leur regard se croisèrent. La main d'Alexiane resta en suspend, interrompue, fascinée, pendant une seconde qui lui sembla une éternité.

Silencieuse, elle rendit ses livres à Evidence. Elle esquissa un sourire timide et la remarcia pour l'aide apportée.

Elle lui fit un compliment sur son cours. Son sourire s'aggrandit. Un sujet sur lequel elle pouvait très bien disserter pendant des heures en paraissant crédible.

- A vrai dire...

Elle rassembla ses dossiers et jeta son gobelet en carton qu'elle avait froissé dans sa main.

- Je suis heureuse que cela vous plaise. En fait c'était un cours d'introduction à la philosophie Freudienne, que nous allons rapidement aborder.Il a toujours été faciné par ce qu'il appelait les "perversions" de l'esprit. D'après lui, beaucoup de choses matérielles, sensibles, phénoménalesn sont liées à l'esprit, ou nouménal. C'est assez riche. Mais cela ne vaut pas la redécouverte des philosophes de l'Antiquité, bien plus passionants puisque c'est de leur philosophie que part toutes les théories les plus brillantes.

Elle marqua une pause. Elle rougit une seconde.

- Mais bon, je ne vais pas vous embêter trop longtemps là-dessus, je suis excessivement ennuyeuese.

Une petite moue boudeuse. Lui parler philo n'était pas forcément une bonne chose, si on voulait découvrir le vrai personnage d'Alexiane. QUelqu'un de passionné, certes, d'aimant (vis-à-vis de la philosophie). Mais hors cours, elle était aussi quelqu'un d'autre, qui n'assurait pas une cacahuète à l'oral, surtout devant les jeunes filles charmantes, telle qu'Evidence.

- Et d'ailleurs, peut-être que je vous retiens, à parler ainsi. Je suis désolée.

Elle tenta un nouveau sourire, essayant de regarder autre chose que ses yeux, sinon elle risquait de paraître très stupide, la bouche ballante. Non, il fallait qu'elle se ressaisisse.

- Sinon, peut-être que je pourrais vous inviter à prendre un café, j'aimerai savoir deux ou trois choses au niveau de vos options.

Brillant et très discret. Elle se maudit d'avance d'avoir agi ainsi. Catastrophe.

- Enfin... C'est comme vous voulez, n'y voyez aucune obligation.

Evidence ne pouvait s'empêcher de sourire devant le malaise de la jeune professeur. Ce n'était pas tout les jours qu'Evidence se faisait inviter à prendre un café par une personne plus « autoritaire » qu'elle dans la pyramide hiérarchique de Berkeley. À vrai dire, elle ne pouvait pas mentir, l'idée de prendre un café avec Alexiane lui semblait totalement être adéquate pour se faire pardonner du chandail. Non, terriblement pas ! Si Evidence allait prendre un café avec Alexiane, c'était plus parce qu'elle voyait en cette personne un genre d'attirance. C'était assez étrange à décrire, mais Evidence avait bien envie de connaître plus en détails Alexiane. Non pas pour soutirer des informations par rapport au cours de Philosophie, mais simplement pour parler de tout et de rien, comme des amies. À vrai dire, Evidence voyait Alexiane de plus en plus comme une amie. Dans les cours, lorsqu'elle parlait d'un sujet quelconque, Evidence se sentait complètement hypnotisé par les paroles profonde de la professeur. Ceci lui semblait vouloir dire qu'Alexiane avait un vécut chargé...

Evidence fit un large sourire qui ne pouvait malheureusement pas mentir sur ce qu'elle pensait d'Alexiane. Même si la réponse était clairement indiqué dans son langage corporel, Evidence ajouta quelques paroles discrètes, mais sincère.

Tu sais, ça me ferait un grand plaisir de prendre un café avec toi, Alexiane. J'aimerais tellement en apprendre plus sur toi... Tu m'as l'air d'une fille exceptionnelle... Je ne dois sûrement pas me tromper.
Evidence sourit et fit un petit hochement de tête. Elle regarda profondément Alex et se rendit compte qu'elle venait de la tutoyer dans la majorité de ses phrases. Sans doute que cela ne dérangeait pas du tout Alexiane... En tout cas, ça ne devait pas poser problème si elles se tutoyaient en prenant un café. Ça allait de soi. Sinon, Evidence se sentirait comme si elle parlait à sa grand-mère ou a une tante qu'on voit très rarement... Ça n'était vraiment pas le cas d'Alexiane.

Evi sourit de nouveau, mais ne bougea point. Elles étaient toujours planté là, comme deux filles amoureuses venant de se rencontrer. Evidence se surprenais à penser cela. Elle chassa ses idées d'un coup de cil discret et sourit encore une fois.

Tu... Tu voudrais qu'on y aille tout de suite ? À moins que tu préfères plus tard... Je peux bien te laisser mon numéro.
Evidence sourit et essaya d'analyser les pensée d'Alexiane. Rien à faire, elle ne pouvait rien déchiffrer... Peut-être parce qu'elle en était incapable, tellement elle était mal à l'aise et timide devant cette personne ? Probablement.

Evidence sembla se perdre dans les méandres de ses pensées. Le regard d'Alexiane se fit plus attentif. Elle s'égara un moment dans la contemplation de sa jeune élève. Elle était vraiment jolie et ses yeux vairons si étranges étaient irresistiblement attirés par les traits de son visage. Elle était vraiment jolie, et Alexiane rougit à cette pensée qu'elle ne devrait pas avoir face à une élève. Elle avait épousé un code déonthologique et elle ne pouvait pas le transgresser.

Enfin... C'est ce qu'elle pensait sur le moment, alors qu'elle avait des désirs sourds qui battaient à ses oreilles. Mais il fallait bien qu'elle tente de s'automodérer.

Elle se força à dévier son regard et essaya d'empêcher le rouge de lui monter aux joues. Ce faisant, elle perdit presque le fil des paroles d'Evidence. Il aurait été honteux de lui demander ce qu'elle venait de dire, aussi fit-elle appel à sa mémoire immédiate.

Elle la complimentait. Elle rougit, désespérée.

- Je... Non, je ne pense pas pouvoir prétendre au titre "fille exceptionnelle". Je suis quelqu'un de tout à fait normal. Des gens comme moi, vous en trouverez des dizaines au mètre carré, si vous faites attention.

Elle lui sourit doucement et se retint de poser sa main sur son épaule, par élan de gentillesse, ou par élan de... de... Elle ne pourrait pas le définir, à moins qu'elle ne veuille l'avouer.

Est-ce que désirer était le mal? Etait-ce contraire à la raison?

Elle s'embrouillait dans ses réflexions. Elle secoua la tête pour s"éclaircir les idées. La jeune femme venait de lui proposer de prendre le café immédiatement. Elle consulta sa montre, rapidement, les copies sous la main et sourit à Evidence.

- Il me semble que j'ai encore du temps libre. Donc, pourquoi pas?

Elle jugea bon d'ajouter encore :

- Et puis c'est pas de refus pour votre numéro, mademoiselle.

Elle sortit son propre mobile et lui donna son numéro ainsi que son adresse MSN, sait-on jamais.

- Si jamais vous avez besoin de moi, vous pouvez aussi me contacter directement dans la salle des profs. Enfin je veux dire, je suis disponible...

C'est à cet instant qu'Alexiane supposa qu'il valait mieux qu'elle se taise avant qu'elle ne dise une grosse bêtise.

Evidence ne put s'empêcher de rire. Puis, elle fit un grand sourire réconfortant et fit un regard tendre à Alexiane.

J'avais... J'avais très bien compris ce que tu voulais dire, Alexiane...

En fait, on pouvait maintenant parler d'une situation délicate puisqu'Evidence comprenait les dires d'Alexiane sans même qu'elle les aient terminés. Peut-être qu'elles étaient faites pour s'entendre, toutes les deux ? Evidence sortit son portable et alla directement dans ses contacts. Elle y indiqua le numéro d'Alexiane et son adresse MSN, puis d'un sourire moqueur elle mit le portable à la hauteur du visage d'Alex et prit une photo. Lorsqu'elle regarda la photo, elle constata qu'Alex souriait et cela fit sourire à nouveau Evidence. La jeune Sigma montra la photo à Alexiane qui fit une mine assez étrange.

Rohh ! Moi je l'a trouve belle, la photo. Quoi que sur n'importe quelle photo tu dois être belle !

Evidence c'était lancé et avait dit cette dernière phrase sans trop réfléchir. Quoi que la vérité était bonne à dire dans ce cas là. Evidence referma son portable et le rangea dans sa poche. Elle adressa un sourire complice à Alexiane et lui fit signe de la tête de se mettre en route vers le café. Les deux filles firent un arrêt à la salle des profs pour qu'Alex récupère son manteau et qu'elle puisse mettre ses dossiers dans son sac. Une fois les normalités effectuées, les deux filles sortirent de Berkeley. Elles commencèrent à marcher d'un bon pas.

Heum... Sinon, tu aimes bien Berkeley et les élèves ?
Question stupide qui pouvait se traduire par « Suis-je une bonne élève ? ». Evidence ce sentait si petite dans ses pantalons qu'elle aurait eut envie de se jeter par terre ou dans une bouche d'égout. Disparaître, voilà ce qu'elle aurait voulu. Elle se sentit rougir et essaya tant bien que mal de le cacher. Elle soupira et regarda le sol, tout en marchant aux côtés de la jeune et, ne mentons pas, irrésistible Alexiane. Parce que, oui, Evidence ce l'avoua, Alexiane avait son charme.

Alors qu'elle lui donnait ses adresses, Evidence leva son portable et pianota un instant. Alexiane ne se doutait pas vraiment de ce qu'elle pouvait faire, perdue dans la contemplation du physique de la jeune femme. Ce n'est qu'en entendant le déclic qu'elle comprit. Elle grimaça intérieurement, ce qui finit par s'extérioriser en une espèce de moue assez étrange.

Elle pensait surtout à la tronche qu'elle devait tirer sur la photo, pas à son droit à l'image, ou quoi que ce soit d'autre, ce qu'un autre prof se serait empressé de faire.

Puis, elle sourit, repensant au temps de la Sorbonne, et sa rencontre avec une prof de lettres qui termina dans son lit à disserter sur la philosophie Sartrienne. Elle aussi aurait aimé avoir une photo d'elle sur son portable de l'époque.

Quoiqu'il ne faisait pas encore appareil photo.

Alexiane étudia la réponse physique d'Evidence. De nouveau, elle lui sourit, un sourire franc et charmeur, un rien provocateur. Si elle avait vraiment voulu être ambïgue, elle aurait ajouté un clin d'oeil. Cela lui semblait mal venu pour l'instant.

Bien sûr, Evidence voulait la garder. Alexiane hésita. Pouvait-elle faire cette faveur à son élève sans qu'elle ne pense qu'elle...

Mais... A bien regarder, et en arrêtant de se poser des questions sur son propre comportement, la jeune Evidence n'était-elle pas en train de lui envoyer des signes? Elle déglutit. C'était fort possible, mais cela faisait si longtemps qu'elle n'avait pas aimé qu'elle restait prudente.

Et si ça se trouvait, elle était complètement en train de se fourvoyer. Pourtant, le charme de la jeune femme ne la laissait certainement pas insensible. Le plus dur serait pour elle de l'avouer. Bien qu'elle ait déjà commencer à le faire. Si ça se trouvait, Evidence n'était seulement qu'une excellente élève plus qu'intéressée et une... une hétéro quoi.

Elle décida de passer à la vitesse supérieure.

Evidence lui demanda comment elle trouvait Berkeley. Elle mit quelques secondes à lui répondre, feignant de ne pas comprendre la question.

- A vrai dire, cela change de l'ambiance de mon ancienne faculté. Vous savez, j'ai été formée à la Sorbonne et j'y ai un peu enseigné. Tout est différent, frisant parfois le grotesque, de par la grandeur et la diversité de l'établissement. Mais les élèves sont très intéressants. Une culture beaucoup plus ouverte que les bacheliers français. Certains sont dotés d'un certain charme, et ont un intéret gratifiant pour la matière. La discussion est toujours plaisante et j'aime me retrouver en leur compagnie, un peu en dehors des cours pour... Enfin... Pour se montrer sur une face peut-être plus intime.

Oui, certes, c'était une invitation murmurée à mi-mots. A elle de voir si elle relevait ou pas. Leurs pas les mènent jusqu'à la cafétéria. Elle pose son sac au pied d'une table et tire la chaiser à Evidence.

Grâce à ce mouvement, Evidence pu clairement apercevoir son anneau d'argent sur son pouce. Certes, de nos jours, beaucoup de femmes font ça, sans pour autant que cela ne trahisse leur orientation sexuelle. Mais quand on porte une bague de pouce, avec les cheveux courts et une dégaine d'homme, on ne peut que être lesbienne. Cela suggérait à la jeune étudiante qu'elle avait toutes ses chances.

- Je vous prend quoi? Laissez, je vous invite.

Un nouveau sourire charmeur.

Alexiane croisa le regard d'Evidence. Pendant un instant, elle se perdit dans ses iris magnifique, sondant les reflets crées par les néons de la cafétéria. Elle déglutit. Ils étaient si beaux, ses yeux, qu'elle aimerait s'y perdre pour l'éternité. Elle savait pertinemment que ce n'était pas possible. Néanmoins, peut-être qu'un de ses souhaits les plus chers seraient qu'ils brillent avec ce même éclat d'attirance à défaut de dire d'amour, rien que pour elle. Et pour personne d'autre, pas un gars, pas une femme. Rien que pour elle. Evidemment, pour l'instant elle ne pouvait exiger ça. Pour l'instant... Parce qu'elle sentait qu'un feeling passait entre elles deux. Pas un petit éclat d'intéret entre le maître et l'élève, mais quelque chose qui transcendait tout ça. Peut-être qu'Evidence serait la première à lui apprendre ce qu'est l'amour, au-delà du sexe et des soirées un peu trop arrosées qui ne restait en rien gravée dans les mémoires.

Le contact se rompit et elle ressentit comme une pointe dans son coeur. Elle esquissa un petit sourire et commença à ammorcer un pas vers le comptoir. A cet instant, Evidence lui montra tout à fait... "inconsciemment" sa main, portant elle aussi un anneau de pouce. Elle s'arrêta un instant et le monde s'arrêta lui aussi de tourner.

"Mon dieu, elle ausi..."

Cela signifiait qu'Alexiane avait elle aussi toutes ses chances. Il lui fallait faire un choix entre le code déonthologique et ses pensées. Oui, Evidence était vraiment charmante. Chaque seconde qu'elle passait avec elle, elle les passait avec plaisirs, heureuse de voir quelqu'un d'aussi plaisant s'intéresser à sa matière et aussi à son prof. Elle ne pensait pas mériter une fille telle qu'Evidence, qui n'avait que montré des signes d'amitiés à son égard. Des petites attentions. Quand elle avait besoin d'un stylo, la première à lui tendre était Evidence. Elle était la première à lui répondre quand elle demandait à ses élèves où ils en étaient, ses réponses et ses questions étaient des plus judicieuses...

Et elle, elle était... Elle n'était qu'un prof de philo prédisposée par son nom à cette tâche. Elle était lesbienne affichée. Et si elle sortait avec son élève...

La demande de la jeune femme l'arracha à ses pensées, ce qui était un bon point. Et son ton eut vite fait de la faire ressombrer dans des pensées contradictoires. Oui, elle aimerait bien sortir avec son élève. Non, elle n'avait pas envie de lui faire subir ce qu'elle faisait subir à ses conquêtes d'un soir. Elle méritait mieux que ça.

Mais qui disait que cela se passerait ainsi? Si ça se trouvait, elle aimerait Evidence d'une façon nouvelle et c'était également son espoir secret. Qu'elle la délivre de son carcan horrible de Don Juan.

Elle alla chercher les cafés et les ramena. Alors qu'elle tendait la tasse à la jeune femme, cette dernière effleura sa main. Cela perturba grandement Alexiane. Le contact fut si doux. Si futile, si rapide, qu'il en semblait fantasmé, presque espéré. Elle s'arrêta, et pendant une seconde, elle capta son parfum, si doux, son regard presque surpris de son propre geste, elle sentit sa peau se couvrir de chair de poule.

Pendant cette seconde cruciale, toutes les interrogations furent posées. Y avait-il quelque chose réellement entre elles, était-ce bel et bien le regard d'Evidence qu'elle avait senti, lorsqu'elle avait traversé la salle, de sa démarche assez masculine, pouvait-elle se permettre d'éprouver des sentiments de cette nature envers une élève?

C'est la réponse de la jeune femme, ce merci sincère, qui lui donna l'affirmative à tout cela.

Elle resta un peu perplexe, ne sachant comment l'aborder d'une façon plus sérieuse. Elle trempa elle aussi ses lèvres dans la boisson sombre. Elle cilla, jouant un peu avec la monture de ses lunettes. Puis, elle décida de se lancer.

- Evidence...

C'était beaucoup plus difficile qu'elle l'avait pensé. Elle resta un peu bête, la bouche entrouverte. Elle aurait aimé lui dire :

Evidence, vous êtes une de mes élèves les plus douées et votre charme ne me laisse pas insensible. Nonobstant le fait que je sois professeur et de ce fait, ayant adhéré à un code déontologique, je ne peux vous cacher plus longtemps mes intentions. Vous me troublez grandement et j'aimerai pouvoir embrasser vos lèvres comme si nous étions promises à un avenir autre que celui que nous réserve vos prochaines copies.

A la place, elle dit :

- Votre sujet de TD est très intéressant... Ca vous dirait qu'on en discute un jour plus en détails chez moi? Qu'on sorte du cadre de l'université.

Et voilà, un truc cash, sans fioritures ni élégance, mais franc et fleurant bon l'invitation désormais non feinte.

- Ou alors, nous pourrions sortir toutes les deux, un soir, se faire un cinéma, probablement un film très intellectuel, tel que les Amants du Flore (un film sur la vie de Sartre et de Beauvoir, ndlj), puis ensuite nous irons boire un verre, et finalement on discuterait à un café comme le faisaient de Beauvoir et Sartre.

Ce qui était faux, elle n'avait aucune envie de s'embarasser d'un film intellectuel quand elle était avec la femme qu'elle aimait. Plutôt une soirée romantique à deux. Comme elle rougissait, elle s'encouragea en pensant à tout ce temps qu'elles avaient passé ensemble. Ce n'était pas comme si elle proposait un rencard à n'importe qui. Mais trop timide pour le faire, elle tira un papier de sa poche et marqua dessus :

Ceci est une invitation. Pour un rendez-vous. N'accordez pas de crédit à toutes les conneries que je peux dire. Vous me troublez trop pour que je puisse dire réellement ce que je pense.

Elle lui tendit, silencieusement, guettant les réactions de la jeune femme.