Valentina avait longuement attendu ces vacances. Éreintée, elle avait cruellement besoin de se reposer et avait béni les intentions louables de son petit-ami. Ils allaient pouvoir passer du temps ensemble, pouvoir se retrouver seuls, et profiter du soleil et des cocktails. Elle s'était fait tout un monde de cette croisière sur le Mississippi. Son poste de stagiaire à la mairie de San Francisco lui bouffait la plupart de son temps, et elle n'avait que trop rarement l'occasion de passer du temps avec Isay. Valentina avait naïvement pensé que son emménagement avec lui pourrait partiellement résoudre la situation. Alors bien sur, elle se glissait dans ses draps chaque soir et il l'enlaçait de ses bras puissants. Parfois, quand ses supérieurs faisaient preuve d'une extrême clémence, elle pouvait rentrer tôt et partager un repas avec son homme. Elle s'octroyait même le luxe, très régulièrement, de réveiller le maître des lieux de la façon la plus douce qui soit. Ses lèvres se posaient dans son cou offert, ses mains dans ses cheveux indisciplinés, et son corps s'applatissant sur le sien en une caresse lascive et mal intentionnée. Mais même lors de leurs étreintes charnelles, où elle s'abandonnait totalement à Isay, les deux savaient que le temps leur était compté. Il avait cours. Elle devait aller bosser. Elle s'était imaginée que cette croisière serait l'apothéose de leur relation. Fini le rythme métro – boulot – dodo ; ils pourraient profiter de leur temps comme ils l'entendaient. En tout cas, c'est ce qu'elle avait imaginé jusqu'à ce que Juliet poste une photo d'elle sur un célèbre réseau social. En petite culotte, avec un pull d'Isay. Valentina avait froncé les sourcils, et avait cherché à comprendre. Elle avait repris ce pull lorsqu'elle avait déménagé. Alors comment diable Juliet l'avait-elle récupéré ? Pas besoin d'être diplômé d'Harvard pour comprendre. Juliet et Isay s'étaient revus, et aucun n'avait jugé bon de la prévenir. Elle. Leur dénominateur commun. La Suédoise avait ruminé cette histoire dès le début de cette croisière, mais n'avait malheureusement pas trouvé la force d'en parler avec Isay. Jusqu'à maintenant, en tout cas. Elle avait envie de l'étrangler. Sa nonchalance, ses airs innocents, ses sourires charmeurs, Valentina avait une folle envie de lui faire ravaler son package de gendre idéal. « Je fais pas la gueule. » Qu'elle maugréa, cachée derrière ses lunettes. Elle ne quitta même pas son magazine à scandale des yeux, faisant clairement comprendre au Russo-Suédois que l'ambiance glaciale n'allait pas aller en s'arrangeant. Elle ne savait pas comment gérer la situation, mais savait pertinemment que l'abcès finirait par être crevé. Et Isay ne semblait pas vouloir lâcher le morceau. « Ça t'arrangerait bien de rentrer à San Francisco, hein ? » Qu'elle siffla, faisant glisser ses aviators sur le bout de son nez. Elle le regarda d'un air sévère, espérant que ceci suffirait à Isay pour comprendre qu'il était grand temps qu'il parle. Mais il semblait sonné, voire même incrédule. « Si tu penses que je vais me frotter à toi dès que l'occasion se présentera, si tu penses que je vais t'arracher tes vêtements le soir ou que je vais te chevaucher dès que les premiers rayons de soleil viendront diffuser une douce lumière dans notre chambre, tu rêves. » Valentina se serait volontiers pliée à ses devoirs conjugaux – qui n'étaient pas réellement des devoirs d'ailleurs, puisqu'elle était la première à reconnaître, en son for intérieur, qu'elle le désirait ardemment et qu'elle mourrait d'envie de sentir sa présence au plus près d'elle. Mais sa féminité avait été piétinée, et seuls les fragments d'une femme blessée demeuraient. Elle était dans l'incertitude, une fois de plus. « Il y a du monde qui t'attend là-bas... Tu pourrais sortir, t'amuser. » Qu'elle déclara, inclinant légèrement sa tête en direction de son petit-ami. Elle referma violemment son magazine, qu'elle balança ensuite au sol. Elle savait que la tempête grondait. « Qui sait, tu trouverais peut-être même quelqu'un pour satisfaire tes besoins. » Qu'elle siffla, l'air mauvais. En ce moment précis, elle le détestait au moins autant qu'elle l'aimait. Parce que si elle se sentait si mal, si blessée, si triste, c'était uniquement parce qu'elle avait des sentiments pour le bellâtre. S'il n'avait été qu'un nom parmi tant d'autres, rien de toute cela ne serait arrivé. Mais il était Isay, son Isay, et elle avait pris des risques en lui faisant une confiance aveugle. Elle lui avait confié son corps, son cœur, son âme. Elle avait pris des risques, et elle craignait désormais d'en subir les conséquences. Elle opta donc pour l'attaque, plutôt que pour la défense. Elle ne voulait pas être cette petite chose craintive et faiblarde – chose qu'elle finissait toujours par être dès que son petit-ami décidait de la réduire en pièces, et de déchaîner les enfers. « Tiens donc, tu ne dis plus rien ? » Lâcha-t-elle, perfide. Elle avait l'ascendance sur lui. Pour le moment. Et ne comptait pas la perdre. « Maintenant tu m'excuseras, mais j'aimerais reprendre ma lecture passionnante. » Scanda-t-elle en reprenant son magazine. Elle dissimula ses traits délicats derrière les pages de papier glacé, ruminant sa colère. Elle ne savait pas à qui elle en voulait le plus. À Isay, parce qu'il jouait les parfaits innocents ? À Juliet, qui venait d'ébranler leur amitié ? Ou à elle, qui n'avait pas su se montrer suffisamment attentive et disponible ?