Il y a des gens dont le regard vous améliore.
Kevin et Marissa.

Mon frigo étant vide, j’étais sorti de chez moi pour faire de petites courses. Juste de quoi avoir à manger au moins pour la soirée. Je me retrouvais alors dans mon épicerie favorite du Bronx : Mo-Deli. J’y trouve toujours de supers bons produits, j’y découvre aussi de nouvelles saveurs quand l’envie m’en vient. Puis, l’épicier est très gentil avec moi. Il m’arrive de ne pas lui payer tout de suite, et de revenir. Ce qui est adorable de se part, et ce qui prouve de sa confiance pour moi. Je dévalais donc les rayons. J’étais partie pour faire de petites courses, mais je sentais que j’allais rentrer les bras remplis. Mes muscles vont me servir. Dommage que je sois déjà allé au sport aujourd’hui, sinon j’aurais pu dire que c’est mon exercice de la journée. Faire les courses pour moi c’est un vrai calvaire, car je suis un grand enfant, et je veux tout. Tout ce qui me semble bon j’ai envie de le mettre dans mon caddie. Il faut alors que je me fasse force, et que je résiste. Seulement, c’est dur pour moi. Vraiment. Alors, que je ne regardais pas où j’allais, je fis rouler mon caddie sur quelqu’un. Je posais alors mon regard sur la malheureuse personne, et là ce fut le choc. J’étais sur le cul. Je faillis littéralement tomber à terre. Ma bouche était restée ouverte, sur le son que j’allais sortir pour m’excuser, mais j’eus un gros bug. Elle était loin d’être la personne que je m’attendais à voir. A New York peut-être, mais pas ici, dans une petite épicerie du Bronx. Puis, elle semblait faire des courses aussi. Qu’est-ce que ça veut dire ça ? Qu’elle fait des courses pour l’ami chez qui elle est ? Les yeux grands ouverts, je ne savais plus du tout où me placer, ni quoi dire. Et si je commençais par m’excuser ? Je voulus sortir un son, mais rien ne sortit. Je me raclais alors la gorge, et là alors je dis « Excuse-moi. » Malgré les années, je la reconnaissais toujours, et je voyais dans son regard qu’elle me reconnaissait aussi. Après tout, on n’oublie pas son premier amour, ni sa première fois. J’en oublierais encore moins ce regard. Ce regard qui m’a rendu amoureux d’elle, sans compter son sourire. Mais sur le moment, elle ne souriait pas. Elle avait l’air aussi surprise que moi. « Mais… Qu’est-ce que tu fiches là toi ? » Ça fait maintenant dix ans que je vis dans le quartier, et je ne l’ai jamais vue. Alors pourquoi maintenant ?

Il y a des gens dont le regard vous améliore.
Kevin et Marissa.

Cette semaine c'était Marissa qui était chargée de faire les courses et de cuisiner, son homme quant à lui était responsable de toutes autres tâches ménagères. C'était l'inverse la semaine précédente et ça rechangera la semaine prochaine. Ils suivaient ce programme depuis qu'ils avaient emménagé ensemble il y a maintenant plus de deux ans, il n'y avait de ce fait aucune ambiguïté par rapport à qui devait faire quoi et -avouons-le- c'était comme ça bien plus simple de rejeter la faute l'un sur l'autre quand quelque chose n'était pas fait. En tout cas Marissa était satisfaite de son idée, parce que oui, tous ces petits rappels et mémo et tout autre expression d'organisation... ça venait d'elle. En s'organisant on évitait toutes les mauvaises surprises, et Marissa détesté que rien n'aille comme elle l'avait prévu. Il y avait cette petite épicerie à deux pas de chez elle qu'elle adorait. Elle était tenue par un adorable monsieur et on y trouvait de très bons produits. Pour ne rien oublié, elle avait préparé une liste de ce qui lui fallait. Elle se dirigeait donc vers un rayon, son cabas à la main. Dilemme, il n'y avait plus la marque que Marissa prenait habituellement. Un peu hésitante, elle resta immobile devant le rayon pour réfléchir ce qu'elle pouvait donc prendre à la place. Peut-être celui-là... « Aïe! » Un abruti de première venait de lui passer les roues de son Caddie sur les pieds. Pour une fois qu'elle mettait des ballerines... ce serait la dernière fois pour la peine ! « Ça vous dérangerez de faire atten... » Merde alors. Alors ça, c'était la dernière chose au monde à laquelle elle s'attendait. Elle avait décidé de lever la tête pour voir à quoi son écrabouiller de pied ressemblait, mais elle se disait maintenant qu'elle n'aurait sûrement pas dû. « Excuse-moi. » Quoi ? T'excuser ? De quoi ? D'être parti sans rien me dire ? Un mélange de sentiments étranges se créaient dans son ventre: de la haine, de l'appréhension, de la joie, de la colère, même un reste de premier amour. Elle restait sans voix, à le regarder comme s'il était une apparition divine ou bien un mirage. Ils ne s'étaient pas revus depuis des années, et malgré la musculature que le jeune homme avait développé, elle n'avait aucun problème à le reconnaître. « Mais… Qu’est-ce que tu fiches là toi ? » Elle ouvrit la bouche quelques secondes pour la refermer immédiatement. Elle sentait le besoin de se justifier, mais elle n'avait pas à le faire. « Je pourrais te poser la même question. » Elle continuait à le regarder, les deux mains ramener devant elle pour tenir son sac. « Je fais mes courses, à priori toi aussi. En principe c'est ce que les gens font dans une épicerie de ce genre, ils ne viennent pas pour y faire un tennis.  » Bon, finalement c'est la colère qui a pris le dessus. Pourquoi pas, après tout il le méritait. Maintes et maintes fois elle avait toqué à sa porte, réclamant de ses nouvelles à ses parents. Mais rien. Silence radio. Elle soupira en baissant les yeux et se retourna vers le rayon, tant pis pour la marque, elle prit le premier qu'elle attrapa. Elle tourna les talons et se faufila dans un autre rayon, elle savait qu'il allait la suivre de toute façon.

Il y a des gens dont le regard vous améliore.
Kevin et Marissa.

A cet instant-là j’étais en train de me maudire d’être sortit pour faire mes courses. J’aurais pu attendre quelques heures, ou j’aurais pu y aller plus tôt. Mais non. J’avais décidé d’y aller à cette heure-là, et voilà que je me retrouvais juste en face de mon ex. Celle à qui je n’ai pas donné de nouvelles durant des années. Mon premier amour, ma première fois. La seule que j’ai vraiment aimée de toute ma vie. Depuis elle, je n’ai jamais réussi à aimer comme je l’avais aimé elle. Oh, j’en ai eu des femmes, et des copines. Mais je n’ai jamais réussi à atteindre le même niveau d’amour que j’ai pu avoir avec Marissa. Et je commençais petit à petit à l’oublier. Je m’épanouissais dans mon boulot, et c’était le moment parfait pour passer définitivement à autre chose. Même s’il faut croire que la vie en veut tout autrement. Elle a décidé que ma vie devait être pourrie par tous ces anciens sentiments. Mon regard dans le sien, je ne savais pas vraiment ce que je ressentais pour elle : de la haine, de la rancœur, ou même encore de l’amour. Alors bien évidemment j’étais sur la défensive. Je ne voulais pas faire le premier pas dans les mauvais ou bons sentiments. Je ne voulais pas être agressif ou heureux en premier. Je préférais qu’elle me montre en première ce qu’elle avait sur le cœur. Et elle semblait autant sur la défensive que moi. Bien qu’elle montrait un peu plus de colère. Je ne savais pas comment lui répondre. Sur le même ton, ou plus calmement. Et merde ! Ca ne ressemble pas à un flic de ne pas savoir comment réagir. Surtout face à une femme aussi innocente que celle-là. Enfin innocente… tout est relatif. « Sans blague ! » Oui, je n’avais rien d’autre à dire, et c’était nul de ma part. Mais d’un autre côté j’avais tellement de choses à lui dire, à lui demander que je ne saurais pas du tout par où commencer. Après lui avoir lancé un dernier regard je m’écartais d’elle, tout en la bousculant encore une fois. Mais cette fois-ci c’était fait exprès. Elle m’avait mal parlé, et ça m’avait atteint. Malgré que je sois un homme, un vrai. C’était surement puéril, très, mais je m’en fichais. Après tout, la dernière fois qu’on s’était vu nous n’étions encore que des gosses. Au fond, je n’ai pas vraiment grandi depuis. Parce que dans mes rêves de l’époque, je grandissais à ses côtés, et nous faisions notre vie ensembles. Et maintenant je ressentais comme si ma vie s’était mise en pause durant tout ce temps. Et alors que je m’éloignais d’elle, en une seconde je revins sur mes pas pour lui refaire face et lui répondre. « Et puis quand je t’ai demandé ce que tu faisais là, je ne parlais pas de l’épicerie, mais d’ici… de New York, du Bronx. Tu n’es pas censée être au Canada toi ? » Ou du moins c’est là-bas que je l’avais laissé avant mon départ. Je ne pensais pas du tout la revoir dans la ville où j’ai essayé de refaire ma vie. Non, je n’ai jamais imaginé ce scénario. Enfin si, je l’ai imaginé des millions de fois, mais je me suis interdit d’y croire. Ce n’était que purs fantasmes, ça n’allait jamais arriver. Et maintenant, elle était en face de moi. Comme si tous ces rêves avaient été entendus.