J’avais retrouvé Erin à mon retour d’Afghanistan et depuis nous nous n’étions plus quittés. Elle m’avait rejoint à New Orléans. Elle faisait désormais partie de mon quotidien. Et même si nous ne nous voyons pas tous les jours, nous avions néanmoins une petite attention l’un pour l’autre. Elle me racontait régulièrement sa vie et j’en faisais de même. Même lorsque j’étais en mission à l’autre bout du monde, je prenais le temps de lui raconter mes journées, de lui confier mes doutes et mes peurs. Elle me racontait commence se déroulaient ses jours à New York. Je l’avais laissé seule là-bas, je me devais donc de lui apporter ne serait-ce qu’un peu de soutien. De mon côté, ses lettres m’avaient aidé à tenir le coup. Même si nos vies étaient légèrement différentes nous avons tous deux partagés la même histoire, les mêmes douleurs et contrairement ce qu’elle pense, je sais celle qu’elle ressent car je suis passée par là avant elle. C’est certainement pour ça que me permet d’être indulgent avec ses erreurs, car tout comme elle j’en ai fait quelques-unes. Et même si je m’autorise toujours quelque commentaires sur ses différentes bêtises, que je donne mon avis, que j’essaye de jouer au grand frère avec de l’autoritaire en lui faisant la morale, au fond je sais ce que c’est, mais je ne peux pas non plus tout laisser faire, au risque de la perdre. Elle prend des risques, elle est inconsciente parfois dans ses actes mais je ne n’accepterais pas de la perdre car elle est tout ce qui me reste. J’ai conscience que mon comportement est égoïstes après tous les risques que j’ai pris moi, en partant combattre en terres ennemies. Je n’ose imaginée la peur qu’elle a pu ressentir à ce moment-là.

Mais désormais nous étions réunis et rien ni personne ne pourrait nous séparer. Et comme nous en avions l’habitude, une fois par semaine, nous prenions du temps pour nous retrouver tous les deux, loin de tout. Juste nous deux. Elle est ce que j’ai de plus cher, et nos moments en duos étaient très précieux à mes yeux. Même si trouver une place pour se voir n’était pas toujours simple avec nos emplois du temps, nous essayons toujours au mieux. Aujourd’hui, je la retrouvais au Washington Square Park. Calme et reposant, il était le lieu propice pour lui lâcher la bombe que je m’apprêtais à lui dire. Je fréquentais une fille depuis quelque semaine et même si nous même ne savions pas si nous pouvions parler de couple ou non, elle avait dépassé l’étape d’histoire sans lendemain. La nouvelle Orléans n’est pas une très grande ville, la cousine et colocataire d’Edéa se trouve être une bonne amie de ma sœur, et je ne pouvais pas me permettre d’attendre qu’elle apprenne la nouvelle par quelqu’un d’autre que moi. Je savais qu’elle en serait déçue.

Assis sur un banc où je lui avais donné rendez-vous, je l’attendais en cherchant comment lui annoncer sans qu’elle ne prenne peur, en pensant qu’il s’agissait de quelque chose de bien trop sérieux. Je savais pertinemment que peu importe la manière dont je lui dirais, elle n’appréciera pas. De la même manière dont je n’apprécierais pas qu’elle m’annonce qu’elle voit quelqu’un, réciproquement. Nous étions tous deux très possessif quand il s’agissait de notre moitié. Nos liens de sang avaient toujours outrepassé le reste. Je la voyais arriver au loin, et imaginais déjà la situation.
En gardant mon calme, je déposais un baiser sur son front en guise de salutation. Même si je la voyais régulièrement, sa présence me rendait heureux. « Comment va ma petite sœur adorée ? » lui demandais-je avec un grand sourire. « Ça a été ta semaine, raconte-moi ! »  
Je préférais la faire parler d’elle d’abord, avant d’aborder le sujet épineux. Mais après quelques minutes, je lâchais « au fait, j’ai quelque chose à te dire. » Sans prendre un air trop sérieux, je voulais donner l’impression qu’il ne s’agissait de rien d’important. Mais à peine ma phrase sortie de ma bouche je me disais que c’était loupé.

Ces petits moments passés avec ma sœur, c’était mon petit interlude, ma pause hebdomadaire dans mon quotidien pas toujours rose. Le métier de sergent de police n’avait rien de simple, et encore moins lorsqu’il s’agissait d’exercer à la Nouvelle Orléans.  Classée ville la plus dangereuse des Etats-Unis depuis l’ouragan Katrina, nous avions eu plus d’une centaine de meurtres à traiter durant les six derniers mois. Le taux de vols à main armée et de trafic de drogue était impressionnant. Même pour moi. Et pourtant j’avais de la bouteille. Mais ce n’était rien comparé à ce que j’avais vécu durant plus de cinq ans. Sauf qu’ici, j’avais peur pour mes proches. Travailler ici, c’était avoir une cours de récréation à ciel ouvert, ne jamais m’ennuyer en avait toujours des bad guys à attraper. Mais je n’aurais jamais pensé que ma sœur me rejoindrait ici, en risquant de se mettre en danger. La ville avait néanmoins énormément de qualités et c’est notamment pour cela qu’elle était restée. Elle n’avait pas élue domicile sur un champ de mine non plus.

C’était toujours avec une grande joie que je me rendais à nos rendez-vous, sa fraîcheur avait toujours su me mettre du baume au cœur et me redonner le sourire. Il m’en fallait peu à vrai dire pour me rendre heureux. Depuis mon retour je m’étais entouré uniquement de personnes qui me m’apportaient du bien-être. Je n’avais pas su rester seul et c’est donc tout naturellement que j’avais opté pour l’option de la colocation. Cette solution s’avérait être pour moi l’idéal, je n’étais que rarement livré à moi-même et à mes vieux démons. Mais j’avais toujours la possibilité de m’isoler si je le souhaitais. « Je vais toujours bien quand je te vois »  Lui dis-je avec un grand sourire. Malgré les épreuves de la vie, et les étapes par lesquelles j’étais passé, toutes les horreurs que j’avais vues en Irak et en Afghanistan, ça ne se devinait pas sur mon visage. J’avais appris à ne  rien laisser paraitre. J’arborais toujours ce sourire d’imbécile heureux.

Elle lisait clair en moi, et j’avais beau essayer de faire passer la pilule en douceur, et de ne pas lui annoncer le nouveau trop brusquement par peur de sa réaction, elle savait que j’avais quelque chose en tête et ne me laissait pas y aller par quatre chemins. Elle avait l’air impatiente, curieuse, alors que je savais que ce que je m’apprêtais à lui dire n’allait pas lui faire tout à fait plaisir. « Je savais pas trop comment te dire ça, mais … je vois quelqu’un. »   Boum je  venais de lâcher une bombe dans le Washington square park. Au fond, j’avais utilisé cette image de « voir quelqu’un » pour désigner ma relation avec Edea. Moins représentative que « je suis en couple » par exemple. Car même si le but était avant tout de ménager ma sœur, moi-même j’aurai eu du mal à dire une chose pareille. Ma relation était naissante  et dire à voix haute que j’étais en couple, ça faisait trop pour moi. C’était trop rapide. Je n’avais pas l’habitude des relations trop sérieuses, car depuis mon retour je n’avais pas vraiment fréquenté de fille de manière durable, préférant m’amuser sans penser au lendemain. J’avais peut être désormais envie d’un peu plus de stabilité. Mais je voulais néanmoins essayer de la rassurer, avant qu’elle ne se fasse trop d’idées. « Je n’ai aucune idée de ce que ça va donner, peut être que c’est une histoire qui ne va pas durer, en réalité il n’y a rien d’officiel. Je ne voulais juste pas prendre le risque que tu l’apprennes pas quelqu’un d’autre. »   Elle aurait très bien pu nous croiser, main dans la main, dans le rues de la ville, ou même en entendre parler par Calista, la colocataire de ma nouvelle « petite-amie », c’était trop risqué et cela n’en valait pas la peine. Cette fois j’avais décidé de jouer la carte de la sincérité. J’avais souhaité cacher ma relation à mon meilleur ami et j’avais subi le revers de la medail, je ne pouvais pas me permettre que ma sœur perde confiance en moi. « Tu es la première à qui j’en parle. Je tenais à t’en parler avant tout. »   Le privilège d’être la première informée, elle devait s’en foutre comme de sa première chemise, mais c’était la seule chose sur laquelle je pouvais miser à l’heure actuelle. Je savais d’avance qu’elle m’en voudrait, qu’elle n’accepterait pas de me partager et qu’elle aurait peur de me perdre.

S’il devait n’y avoir qu’une femme dans ma vie, ça serait elle. Peu importe les histoires de cœur, l’amour, le sexe et tout le reste. Je serais prêt à donner tout ça pour elle, je pourrais donner ma vie pour elle. Nous avions beau être très différents, elle avait tout de moi plus jeune. Lorsque je regardais dans ses yeux je pouvais voir à travers elle, et je me retrouvais quelques années auparavant. Elle avait ce petit je ne sais quoi qui pouvait rendre n’importe quel homme fou, et moi le premier. L’amour que j’avais pour elle était sans limite, sans faille. Il n’y a pas un jour de ma vie où elle n’est pas avec moi, par la présence ou par la pensée. Ici à la Nouvelle Orléans, nous nous sommes enfin retrouvés et nous pouvons enfin vivre notre vie, ensemble. Nous avons néanmoins fait le choix de ne pas habiter ensemble, souhaitant garder chacun notre intimité. Notre relation si forte aurait empêché quiconque de se mettre entre nous, et nous aurions risqué de nous enfermés dans quelque chose qui aurait pu devenir négatif. Il reste très important pour nous, de nous retrouver régulièrement, car nous ne pouvons pas prendre le risque de se perdre à nouveau. A dire vrai c’était impossible. Le temps et les épreuves avaient montré que rien ni personne ne pouvait nous séparer et que peu importe le lieu nous finissons toujours par nous retrouver.
Me rejoindre en Louisiane était le plus beau cadeau qu’elle aurait pu me faire, et à la voir ici, elle avait plutôt l’air de s’y plaire et de s’épanouir dans sa nouvelle vie. Bien sûr elle n’était la sœur modèle, mais je ne l’aimais pas moins pour autant, seul le temps saura faire d’elle ce qu’elle doit être, et tenter de la raisonner à outrance serait vain, et pourrait causer notre perte. Elle changerait et s’assagirait lorsqu’elle serait prête. Pour autant je veillais sur elle, de loin afin qu’elle ne se mette pas en danger et que les erreurs qu’elle fasse ne lui soient pas trop préjudiciables. Cela me fendait souvent le cœur de la voir ainsi, mais c’était le seul moyen qu’elle apprenne. C’est en forgeant qu’on devient forgeron. Et c’est la vie, elle-même avec nos expériences et nos coups durs qui nous permettent de devenir qui l’ont doit être.
Elle avait une façon bien à elle de recevoir les compliments et la tendresse, comme si elle jugeait ne pas le mériter. J’étais le plus heureux à la seconde même où je la voyais, elle faisait ma journée par sa simple présence, elle était tellement nécessaire à ma vie que je ne m’imaginais plus ne pas partager ces moments avec elle. « J’espère bien » lui répondis-je le sourire aux lèvres. Comme je pouvais voir clair en elle, elle savait lire en moi et réussissait à me faire parler sans même me poser de questions. Elle savait pertinemment que je ne lui avais pas donné rendez-vous pour parler de la pluie et du beau temps, ni même pour prendre de ses nouvelles j’avais d’autres occasions de le faire. Elle savait que nous étions là pour une raison un peu plus formelle et je pouvais voir qu’elle appréhendait mon annonce. Et je sais qu’elle attend cela avec impatience alors je ne veux pas la faire patienter plus longtemps et je me jette à l’eau, sans retenue. Je croise imaginairement les doigts pour que sa réaction ne soit pas trop désagréable et j’espère ne pas la vexer. Et moi qui m’attendais à mille et une réponses, qui avais préparé les parades à différentes éventualités, je n’avais pas pensé qu’elle resterait sans voix. Je ne m’attendais pas à ça. Elle détourne le regard et je sens en elle comme de la déception. Son comportement m’attriste un peu, mais je me trouve désemparée face à son absence de réaction.
Puis, son tempérament reprend rapidement le dessus, la revoilà, la Erin que je connais, indécise et tourmentée. Elle veut savoir qui c’est, puis ne le souhaite plus. Elle se retrouve comme déchirée entre l’envie de connaitre l’identité de celle dont je lui parle et la volonté de rester dans l’ignorance.
Je la laissais se débattre avec sa déferlante de questions, et dans sa lutte je n’arrive pas à placer une réponse « Eh bien … » Elle continue avec ses interrogations, « c’est moi le flic normalement » dis-je en rigolant, pour détendre un peu l’atmosphère. Je m’attendais à la foudre, mais sa réaction me surpris, elle n’avait pas l’air de m’en vouloir ni même de ressentir une quelconque jalousie. Elle qui avait toujours détesté chacune de mes relations de peur de les voir se mettre entre nous. Au même titre que j’avais haïs tous les hommes qu’elle avait fréquenté jusqu’à ce jour, certainement car je redoutais de la voir souffrir. Elle méritait d’être heureuse. Je ne savais pas ce qui était le pire pour elle, découvrir qu’elle la connaissait ou apprendre qu’il s’agissait pour elle d’une parfaite inconnue. Aimerait-elle me voir au bras d’une de ses amies ? Accepterait-elle de partager l’homme de sa vie avec une fille pour laquelle elle a de l’estime ?
Lorsqu’elle me demanda si c’était Calista, je fus tout d’abord étonné. Très étonné. Il s’agit de l’une de ses meilleures amies et lorsque je l’ai rencontré je ne savais pas qu’elles se fréquentaient. C’est une très jolie jeune femme et son charme a effectivement de l’effet sur moi. Mais elle ne parlait pas de la bonne personne. J’étais désormais gêné. Je ne m’étais jamais imaginé être en couple avec celle que j’avais eu la chance de croiser à mes entrainements de foot, mais maintenant qu’elle en parlait, je commençais à considérer cette proposition. Nous nous étions effectivement beaucoup rapprochés ces derniers temps, mais pas dans le sens où une relation amoureuse pourrait naitre. Je l’avais poussé à la confidence, à s’ouvrir et à s’amuser. Nous étions d’accord sur une chose, c’est une belle personne. « Tu as raison pour Calista, elle mérite quelqu’un de bien, vraiment » fini-je par répondre. Je contournais un peu la discussion initiale puisque l’on ne parlait plus de moi désormais, je fini par lâcher « mais j’ai cru comprendre qu’elle avait déjà trouvé chaussure à son pied. » On aurait pu croire, à mon intonation, de la déception dans ma voix, comme si j’étais triste qu’elle se trouve avec un autre homme, mais il n’en était pas. J’étais très heureux pour elle et je lui souhaitais tout le bonheur du monde. Depuis qu’elle avait commencé cette relation avec l’homme que je ne connaissais absolument pas, elle était rayonnante et cela faisait plaisir à voir.
Je pris alors une grande respiration et décida de revenir au sujet initial. « Je ne sais pas si tu la connais en réalité, elle s’appelle Edea. » Boum, deuxième bombe larguée. Je n’avais aucune idée de la relation qui existait entre les deux filles et cela pouvait être à double tranchant. « Cela ne fait que quelques jours en réalité » quelques jours, ou semaines, tout dépendait d’à partir de quand l’on commençait à comptabiliser la relation. « Je n’ai aucune idée de l’où ça va me mener. J’ai l’impression que c’est une bonne chose, mais ça ne me ressemble pas, d’être en couple, tout ça. » Je n’étais pas sûre qu’elle comprenne totalement ce que j’étais en train de lui dire « j’ai passé tellement de temps célibataire que je ne sais pas si c’est vraiment fait pour moi, si ça va marcher. Mais je voulais que tu sois au courant. « Mon visage se détendait à nouveau. J’avais fait le plus gros, j’avais dit ce que j’avais sur le cœur, je le lui avais ouvert, pour qu’elle comprenne l’état d’esprit dans lequel j’étais. J’espérais qu’elle serait compréhensive, mais Erin est une tornade, elle ne peut être canalisée.