La journée fut ponctuée de siestes express de dix minutes entre mes patients. J'avais mal dormi puisque mon cher Noah avait décidé de faire le fou toute la nuit avec une femme au rire niais et mielleux. Je l'aurais reconnue entre toutes, même sans la voir. Après avoir compris ce qui se tramait à deux pièces de ma chambre, j'avais été incapable de me rendormir, mêlant la colère et à la déception. Finalement, à cinq heures du matin, j'avais décidé de quitter l'appartement pour aller courir avant de donner mon cours de yoga. Je n'étais pas retourné à l'appartement par la suite, préférant me "doucher" avec les lavabos de la clinique plutôt que de rentrer chez moi et risquer de croiser la blondasse. Maintenant qu'il était passé dix-huit heures, je me dis que le champs devait être libre. Elle devait bien avoir des capsules-beauté à enregistrer, non ? Je pris donc toutes mes choses et rentrai à l'appartement pour préparer le repas de ce soir. Alors que je mangeais, Noah rentra. Tout de suite, sans lui laisser une seule chance de trouver le calme paisible de son chez-soi, je dis : « Edea va bien ? », avec une pointe d'animosité dans la voix. C'était ridicule. Des enfantillages. J'étais réellement un grand bébé et je m'en rendais compte, et pourtant, je continuais d'agir de la sorte à l'égard de Noah et de sa relation avec Edea. Ils n'étaient que des amis, certes, mais je voyais que quelque chose de plus pouvait se produire entre eux deux et cela, je n'en avais absolument pas envie. La blondasse sur talons me rappelait les pires années de ma vie, avec ses cheveux parfaits, ses capsules cosmétiques à la con et ses piques qui me ramenaient dix ans en arrière. S'il fallait que je la retrouve dans le lit de Noah à moitié nue un beau matin, j'allais péter les plombs. Mon meilleur ami ignorait les véritables raisons qui faisaient en sorte que je ne pouvais pas sentir cette femme même à des kilomètres de distance. Il pensait seulement que je la trouvais trop superficielle. À la base, c'était ça. Mais le monde de la superficialité me dégoûtait pour l'unique raison que c'était celui-là qui avait pourri mon adolescence. Je n'avais pas envie de jouer aux martyrs en parlant de cette époque-là à Noah. C'est pourquoi je le laissais croire que je n'appréciais pas Edea sur une base totalement infondée. Bref, suite à ma question des plus sarcastiques, je levai les yeux vers mon colocataire, la bouche pleine de macaroni au fromage que j'avais préparé rapidement. « Non j'demande ça parce que cette nuit, alors que j'essayais de dormir, je l'entendais gémir et j'aurais franchement pas su dire si c'était parce que tu la torturais ou si elle prenait son pied. » Ce n'était pas correct de m'en prendre à mon meilleur ami pour une histoire de fille. Je m'en voulais déjà. Il avait toujours eu le droit de ramener qui il désirait à l'appartement et moi de même. Nous avions établi des règles très larges, ne voulant pas empiéter sur les histoires de sexe de l'autre. Sauf que je me sentais trahi lorsqu'il s'agissait de mettre Edea dans son lit. Comme s'il la choisissait elle plutôt que moi. Une crise de jalousie, oui.  

Pour la première depuis ce qui semblait devenir un début de relation, j’avais ramené Edea à l’appartement que je partageais avec Woody. Vu l’heure à laquelle nous étions rentrés, il était certain que celui-ci était déjà couché. Nous avions passé la soirée au cinéma, mais la nuit ne faisait que commencer. Chose à laquelle je n’avais pas réellement pensé, les murs de l’appartement n’étaient pas très bien isolés et la bruyante nuit que nous étions en train de passer ne faisait certainement pas rêver mon colocataire. Après un réveil en douceur, j’avais raccompagné la demoiselle chez elle et en revenant, j’étais tombé nez à nez avec Woody. Il était mon meilleur ami depuis que j’étais arrivé à la Nouvelle Orléans, et nous étions inséparables, mais j’avais totalement omis de lui parler de ma relation naissante avec Edea. Quand il me questionnait à son sujet, je tentais de jouer au plus malin, et de faire comme si je ne comprenais pas son arrière-pensée. En me raclant le fond de la gorge je lui répondais, comme si de rien n’était : « Hum, elle va bien ouais. Enfin je crois. » Si je n’avais pas parlé de cette relation à Woody c’est pour la simple et unique raison que je ne savais pas réellement où cela allait nous mener. Nous ne nous affichions pas réellement comme un couple, et même si nous nous fréquentions depuis quelques semaines déjà et qu’elle avait dépassé le stade de l’histoire sans lendemain, je ne savais pas réellement comment parler d’elle. Quel adjectif qualificatif utiliser pour parler de quelqu’un dont on se sait pas exactement où la positionne ? Les mots tels que « copine » ou « chérie » m’auraient fait mal aux oreilles. Je ne pouvais pas non plus dire que nous n’étions que de simples amis, mais dire qu’il s’agissait d’un « plan cul » serait lui manquer de respect. Et qui plus est cela serait mentir.

En parlant de mensonge, il y en avait un gros que venait de déceler Woody, lui qui avait l’air en colère me balançait à la figure que notre soirée avait été trop bruyante à son goût.  C’était un bon gros fail. Mon meilleur ami l’avait tout de suite compris de quoi il s’agissait. Et je ne pouvais désormais plus lui mentir. Mais comment avait-il reconnue Edea ? Afin de ne pas m’étendre sur la relation que j’entretenais avec le blonde, je pris le risque de jouer sur l’ironie en lui répondant « ne serais-tu pas jaloux mon petit Woody ? Je suis le seul à m’envoyer en l’air dans cette maison et ça te dérange ? Trouves toi une fille, et on verra qui la fait crier le plus fort ! » C’était puéril comme réponse. Mais il fallait avouer que je l’avais peut-être un peu cherché.
Il ne me restait que deux solutions, continuer de mentir, car je savais à quel point mon colocataire détestait Edea, ou jouer la carte de la franchise avec lui. Pourtant blondie, comme on l’appelait lorsqu’on se moquait d’elle ensemble, était bien moins superficielle qu’il ne le croyait. Mais ça c’était une autre histoire, et il risque d’être bien compliqué de l’en convaincre. «  Mais qu’est ce qui te fait croire que c’était Blondie qui se trouvait dans mon lit hier soir ? » N’ayant pas choisi la franchise pour le moment, je tentais de comprendre ce qui lui avait mis la puce à l’oreille.

Je n'en revenais tout simplement pas que Noah feigne de ne pas trop savoir comment allait Edea, alors qu'il avait passé la nuit entière à la faire rire et gémir au travers de tous les murs de l'appartement. Andy et Teddy étaient chanceux d'avoir été ailleurs jusqu'à ce soir. Ils avaient été épargnés. Quoique j'imagine que si j'avais été aussi irrité par cet événement, c'était simplement parce qu'il s'agissait de la blondasse que je portais le moins dans mon coeur de la ville. Alors que mon meilleur ami ose en plus de cela me mentir à ce propos, cela me mettait vraiment dans un état plutôt agressif et déçu. C'est alors que je rajoutai que je les avais entendus, pour que ce soit bien clair que Noah ne pouvait pas me prendre pour l'idiot de service et m'en passer une vite comme il tentait de le faire.

Sans doute pour éviter que la conversation ne tourne au vinaigre, mon meilleur ami me renvoya la balle avec humour en me demandant si j'étais jaloux parce qu'il était le seul à s'envoyer en l'air dans la maison. J'eus un sourire jaune en buvant mon verre de jus d'orange. Je me retenais de grincer les dents. « Non, mon "p'tit Noah", t'y es pas du tout. Je m'envoie en l'air moi aussi, mais j'ai un assez grand sens du respect pour te laisser dormir tranquille pendant que j'm'amuse. » Je lui fis un sourire emprunt de rancune. Cette discussion commençait à déraper, même si on gardait un ton calme et qu'on se renvoyait des piques qu'on aurait pu confondre avec des blagues amicales. Je savais, au fond de moi, qu'on ne tarderait pas à réellement s'engueuler pour une fille. Putain d'Edea. Noah et moi avions toujours fait passer notre amitié avant tout, nous foutant du reste. Il fallait bien que ce soit une blondasse qui vienne tout foutre en l'air.

Finalement, Noah me demanda avec curiosité et confusion comment je pouvais être certain qu'il s'agissait de "Blondie", petit surnom pour cette chère Edea plastique. « Oh please, je reconnaîtrais son rire de p'tite conne même dans une foule de canards en chaleur. » Lâchais-je avec une spontanéité assez désarmante. La jeune femme représentait tellement de mauvais souvenirs dans ma tête, elle me replongeait constamment dans une époque que je désirais oublier depuis toutes ces années, que j'avais une fixation sur son cas. La détester me protégeait et me faisait souffrir en même temps. Mais je souffrais plus qu'autre chose, en toute vérité. La détester drainait toute mon énergie, surtout depuis que Noah avait un je-ne-sais-quoi avec elle. La détester me laissait entrevoir que malgré mes efforts, les fantômes du passé me rattraperaient toujours. La détester me faisait sentir inférieur. Comme avant. Comme autrefois. « Il se passe quoi, entre vous deux, exactement ? » Demandais-je à mon meilleur ami. J'espérais qu'il serait honnête, cette fois. J'avais besoin de savoir, j'avais besoin de me préparer mentalement à ce que j'allais devoir endurer.
 

Pourtant, quelqu'un d'honnête et sincère en amitié, j'avais décidé de mentir à mon meilleur ami. Pas pour lui cacher la vérité, mais tout simplement pour ne pas le blesser ou du moins pour lui apprendre ce qui se tramait d'une meilleure manière. J'aurais voulu aborder le sujet d'une toute autre façon. Je savais à quel point Noah n'aimait pas la blonde qui avait partagé ma nuit et je souhaitais lui faire changer sa vision des choses. Mais vu la tournure que prenait la situation ça risquait de devenir compliquer. J'avais au départ faire le choix de nier en bloc en tentant de ne rien laisser transparaitre. Mais à l'usage, Woody avait appris à me connaître et savait déceler le vrai du faux. De plus, il avait entendu Edea la veille, il prêchait le faux pour savoir le vrai. Il m'avait tendu un piège et j'y avais sauté à pied joint. J'avais désormais la corde au cou.
J'avais tenté d'éviter le sujet en jouant la carte de l'humour, mais mon colocataire semblait suffisamment énervé pour ne pas avoir envie de rire, et avait répondu d'un ton un peu sec, plein de rancœur. Je n'avais pas de réelles autres portes de sortie que de finalement confesser à mon meilleur ami ce qui se tramait réellement. La carte de l'honnêteté avait toujours fait ses preuves et dans le fond, il le méritait bien. Mais sa méchanceté à l'égard de Blondie me dérangea « Woh Woh ! Je sais que tu ne la portes pas dans ton cœur, mais elle ne mérite pas pour autant que tu la traites comme ça ! » Alors que nous étions souvent d'accord sur tout, Edea était un sujet tabou. Il la détestait, pour ainsi dire, et moi ... et bien même si les sentiments que j'avais à son égard n'étaient pas tout à fait clairs, il était indéniable que je l'appréciais. Du moins suffisamment pour qu'elle partage mes nuits, et pour la défendre auprès de mon meilleur ami. Mais je n'allais tout de même pas laisser une fille se mettre entre nous. J'avais toujours fait passer l'amitié avant tout, et ma relation naissante avec elle n'était pas suffisamment solide pour que je puisse foutre en l'air tout ce que j'avais construit jusqu'à lors avec Woody.
Depuis mon arrivée ici, il était mon pilier. Nous partagions tout, jusqu'à notre maison, et nous étions, pour ainsi dire, inséparables. Je ne pouvais pas laisser une fille se mettre entre ça. Mais pour autant, je trouvais que les propos qu'il avait à son égard étaient déplacés et surtout infondés. Ce qui avait le don de m'énerver particulièrement. Alors qu'il me demandait ce qu'il se passait entre elle et moi, pour en savoir plus, je fis mine de ne pas avoir entendu, pour éviter la question que je redoutais tant. Je savais pertinemment que le fait de dévier le sujet et d'éluder la question risquait de l'énerver et qu'il reviendrait certainement à la charge, mais pour l'heure, chaque minute gagnée valait la peine, car elle me permettait de trouver comment formuler ce que je devais lui dire sans causer trop de dégâts. À mon tour, je le questionnais. « C'est quoi ton problème avec elle sérieusement ? Elle ne t'a rien fait ?» L'injustice avait le don de me faire sortir de mes gonds et là, je ne comprenais pas ce qu'il avait après elle. Certes elle était le stéréotype parfait de la bimbo à talons, mais dans le fond elle était loin de ressembler à l'image qu'elle renvoyait au premier abord. « Alors oui, elle n'a certainement pas inventé l'eau chaude, mais dans le fond, on s'en fout non ? On ne demande pas aux femmes qu'on se tape d'être des génies ! » En réalité, Edea était tout de même un peu plus qu'une simple femme que je me « tapais » mais pour avouer à Woody qu'elle était ma petite amie, il aurait déjà fallu que je me l'avoue à moi-même, et ça c'était une autre histoire.

Je ne me rendais même pas réellement compte de la méchanceté dont je faisais preuve. La même méchanceté qu'on utilisait à mon égard, des années plus tôt. Ce n'était pas juste. Je n'étais pas juste. J'avais toujours revendiqué qu'on ne se base pas sur les apparences pour se faire une opinion des gens. Je m'étais toujours battu pour que les premières impressions ne déterminent pas notre vision d'une personne. Pourtant, voilà que j'adoptais exactement cette attitude. En enterrant l'adolescent que j'avais été, j'étais né de nouveau mais comme une copie conforme de ceux qui avaient envoyé le premier coup de pelle dans ma tombe. Je m'en rendais compte, et je continuais à nier, je continuais à la dénigrer. Pour me remonter. Pour me prouver que j'étais mieux. Pour me prouver que je n'étais plus le gamin qui se laissait faire. Ce squelette-là, il pouvait rester dans le placard.

« Non, t'as raison. Elle mérite pas ça. Elle mérite juste même pas qu'on se dispute pour elle. » Crachais-je avec tout autant d'amertume. Je secouai la tête, comme pour chasser ce moment que nous passions. « Putain t'es mon meilleur ami, Noah. T'es sérieux que tu vas la défendre elle plutôt que moi ? » Sauf que Noah ne pouvait pas comprendre que c'était moi qui étais sans défense devant cette femme. Vulnérable. Mis à nu. Il ne comprenait pas qu'elle représentait tout ce que je fuyais. Qu'elle était mon passé qui me rattrapait. Noah ne comprenait pas, parce que je n'avais jamais voulu le lui expliquer. Quand il décida volontairement d'ignorer ma question, la déception fut à son comble. En lâchant prise sur eux, en lâchant prise sur lui, je déclarai : « Laisse tomber. Tu baises qui tu veux. Mais t'attends pas à ce que je joue un rôle devant elle. Même que j'préférerais qu'tu me dises quand tu la ramènes ici, que j'foute le camp avant. » Probablement étais-je incompréhensible. Edea et moi ne nous étions échangés que quelques mots dans toute notre vie. Le nombre d'interactions que nous avions eu se comptaient sur les doigts d'une seule main. Je savais pourtant déjà que je ne voulais pas qu'il y en ait plus. Parce que ce serait de courir vers un mur, un mur qui, en s'effondrant, révélerait l'autre côté de moi. Le côté faible, le côté triste et détruit.

Noah posa finalement la question redoutée, le sujet tabou et évité. J'avalai difficilement, baissant les yeux vers mon verre vide. J'aurais aimé qu'il soit plein. Pour me noyer dedans. Pour avoir quelque chose à en faire. Au lieu de ça, je jouais avec ce verre, le revirant entre mes mains, fixant le comptoir en tapotant nerveusement mon pied sur le sol. « Non. Non, elle ne m'a rien fait. » Je relevai la tête, toujours incapable de regarder mon meilleur ami. « Et mon problème avec elle c'est pas qu'elle soit pas un génie. C'est qu'elle soit son portrait tout craché. » Je me levai d'un bond de mon tabouret après avoir prononcé ces mots.  « Comme j't'ai dit, laisse tomber. J'ai pas à me mêler de tes histoires.  » J'allai déposer mon verre vide dans le lavabo et j'allai m'effondrer sur le canapé, ouvrant la télévision sans vraiment regarder ce qui y jouait. J'étais aveuglé par mon passé.

 

Woody et moi ne nous disputions jamais. Il nous arrivait de ne pas être d’accord sur un quelconque point, mais jamais au point de s’énerver. Pourtant nous n’étions tous deux pas réellement de grands, calme. Mais même s’il arrivait parfois que l’un d’entre nous hausse le ton, l’autre savait en général garder son sang-froid pour tempérer la situation. Depuis mon arrivée ici, il était mon pilier et mon acolyte. J’avais besoin d’un certain temps de réadaptation en revenant d’Irak, car le retour à la réalité n’était pas toujours facile. On nous prévient et on nous met en garde sur la difficulté de se réadapter à la vie « normale » mais on se dit toujours que ça se passera bien, alors que c’est loin d’être facile. Avoir ma sœur à mes côté m’avait incontestablement aidé, et la présence de Woody n’avait fait que faciliter les choses.

Mais aujourd’hui le comportement de Woody me décevait, pourquoi était-il aussi méchant envers Edea ? Les moqueries qui étaient bonnes-enfants quelques semaines auparavant avaient laissé place à de insultes qui n’étaient pas méritées. Et l’injustice me faisait sortir de mes gonds. Il avait raison, elle ne méritait pas qu’on se dispute pour elle. « Mais la dispute n’a même pas lieu d’être Woody, sérieusement qu’est ce qui t’arrive ? » Nous avions établi des règles lorsque nous avions emménagés ensemble. Étant tous célibataires nous avions accepté de ne pas trop empiéter sur la vie intime des autres colocataires, et le respect de cet accord était plus que nécessaire pour l’intérêt de tous, et pour éviter les conflits. Nous étions d’accord sur le fait de respecter les autres, c’était évident et j’avais peut-être légèrement abusé au niveau du bruit, mais la colère de Woody allait bien au delà de la nuisance sonore. « Mec, écoute je suis désolé si on a dérangé ton sommeil, ça ne se reproduira plus. Mais je ne comprends pas ta réaction là ! » Il me reprochait de défendre Edea plutôt que lui, mais pour moi il n’avait pas besoin d’être défendu, c’était lui qui avait dépassé les limites en m’attaquant et en attaquant la demoiselle. « Oui je suis ton meilleur ami, mais ça n’empêche pas que là tu vas trop loin, tu te rends compte de ce que tu dis ? Elle ne t’a rien fait, tu la détestes sans raison !» Il savait à quel point j’avais l’injustice en horreur.
Il ne la supportait pas, et j’avoue qu’il était pour moi compliqué de me projeter dans une relation où ma petite amie et mon meilleur ami ne pouvaient se voir en peinture. C’était compliqué. Surtout à l’importance que j’accordais à Woody dans ma vie, il était pour moi inconcevable de ne pas allier les deux, et la situation me dérangeait. Je savais lorsque j’avais commencé à fréquenter la jeune femme que ces deux-là ne se sauteraient jamais dans les bras, mais jamais je n’aurais cru que la situation s’envenimerait ainsi. « Essaye d’apprendre à la connaitre plutôt que de cracher ton venin sur elle comme ça ! Je te promets qu’elle en vaut la peine. Enfin mec, tu me connais si je la fréquence c’est que ce n’est pas la dernière des connes quand même ! » La plupart de nos amis étaient des amis communs, nous avions les mêmes gouts et les mêmes valeurs ce qui faisait que rapidement, nous fréquentions les mêmes personnes, ce qui rendait cette discussion encore plus étonnante. Je tentais tout de même de rester calme, mais son attitude m’irritait. « Encore heureux que je baise qui je veux ! » Mais l’idée de le mettre à la porte dès que j’aurai du voir Edea me chagrinait. Surtout si nous en venions à être un couple à part entière. Ça risquait d’être difficilement vivable.

Mais il semblait déstabilisé par dernière question, et mon ton accusateur. Il fuyait mon regard en me disant que non elle ne lui avait rien fait. Il ne l’aimait donc pas, sans raison ? C’était assez étrange de sa part. Il évoquait le fait qu’elle ait une ressemblance avec une personne qui semblait lui évoquer quelque chose de lourd, j’avais touché la corde sensible. Mais je ne comprenais pas ce dont il s’agissait. Je restais debout les bras ballant alors qu’il venait de me lancer une bombe. Je ne saisissais pas ce qui était en train de se passer. J’allais le rejoindre sur le canapé, et éteignais la télé qu’il venait à l’instant d’allumer. Je détestais devoir parler par-dessus la voix de quelqu’un. « C’est quoi cette histoire, c’est le portrait craché de qui ? » Lui lançais-je. « De quoi tu parles Woody, crois pas que je vais laisser tomber comme ça ! »»

Qu'est-ce qui m'arrivait ? Bonne question. Je pense que j'avais toujours gardé mes émotions négatives en dedans de moi, par rapport à cette époque de ma vie que j'avais voulu oublier. Ce trop-plein de ressentiment faisait en sorte qu'aujourd'hui, j'éclatais. Sans raison valable, en fait. Noah avait raison sur toute la ligne. J'étais juste trop borné pour l'admettre. Je tenais mon morceau et je n'allais pas le lâcher, en l'honneur du gamin qui s'était toujours trop laissé faire il y a plus de dix ans de cela. « Laisse tomber, j'ai dit ! » Criais-je par-dessus mon épaule alors que mon meilleur ami continuait de s'excuser, mais de renchérir en disant qu'il ne comprenait absolument pas ma réaction.

Je ne la comprenais pas moi non plus, alors comment pourrais-je le la lui expliquer clairement ? Certes, j'avais toujours eu cette belle capacité d'introspection qui m'avait permise, au fil du temps, de comprendre cette aversion que j'avais envers les filles superficielles. Cependant, cette raison justifiait-elle que je mette ma plus belle et chère amitié en péril ? Pour une histoire du passée ? Pour une fille, devenue aujourd'hui femme, qui n'en valait même pas la peine ? J'avais déjà trop pleuré sur son cas, il ne fallait pas qu'elle continue à faire des dommages tant d'années plus tard. Maxine avait cette emprise sur ma vie, depuis toujours. Il fallait que je me détache de ce boulet. Mais c'était tellement difficile.

J'avais écouté à moitié ce que Noah me disait, à propos d'apprendre à la connaître, qu'il ne la fréquenterait pas si elle était une conne. Peu à peu, son message se frayait un chemin jusqu'à ma tête. Il avait raison. Noah ne fréquenterait pas la dernière des connes. Il avait un bon sens, il avait du goût, il était intelligent. Il savait quel genre de femmes il méritait - le meilleur. Edea ne devait pas être si mal, s'il s'engageait là-dedans pour plus qu'un plan-cul. Et à voir à quel point il la défendait, je commençais à me dire que c'était plus que ça, justement. J'allai tout de même m'asseoir devant la télévision, l'air renfrogné. Mon meilleur ami ne tarda pas à venir me rattraper après que j'aie lâché ma bombe. Il attrapa la télécommande et ferma la télévision. « Euh, c'était Family Guy ! » M'indignai-je en levant les bras en signe d'incompréhension face à son geste. Je voulais juste passer à autre chose. Faire comme si de rien était. Faire comme si je n'avais jamais prononcé mes dernières paroles. Sauf que Noah ne se laissa pas berner aussi facilement par mes enfantillages. Il s'était assis à côté de moi, et soudainement, je ne me sentais plus du tout confortable. Comme si je m'apprêtais à m'adresser à un psychologue à la noix. Je soupirai en levant les yeux au ciel, me laissant un peu plus glisser sur le canapé afin que ma tête soit posée sur le dossier. « C'est compliqué, et franchement pas intéressant. » Noah n'allait pas abandonner si vite, et il continua de me presser. Après tout, c'était légitime. J'attaquais sa nouvelle petite amie depuis vingt minutes, il pouvait bien revendiquer son droit de comprendre pourquoi. Je soupirai de nouveau. « Bouboule. » Noah fronça les sourcils. Explication des plus vagues, et surtout loufoques. « C'est comme ça qu'on m'appelait. Bouboule. Ou le Gros Woody, y'avait des variantes. En tout cas ... j'étais la risée, quoi. Durant toute mon adolescence. Un gros tas de merde. » Laissais-je tomber d'entre mes lèvres, avec toute la rancune qui m'habitait. « Des filles comme Edea, y'en a eu un tas qui n'ont jamais manqué une occasion de me rappeler que je ne valais rien, juste parce que j'avais pas le bon physique. Maxine. Elle ... elle ça a été la pire. La pire ... » Je ne voulais même plus continuer à parler d'elle. Cela me plongerait dans un état dans lequel je ne voulais plus jamais être. « Je suis désolé, Noah. Je veux juste pas que tu tombes sur une fille comme elle ... et qu'elle t'enlève tout ce qu'il te reste de dignité, d'espoir, d'estime ... » Bon, j'extrapolais, là. Parce que même si Edea s'avérait être une conne, Noah s'en remettrait. Il avait plus d'estime de lui que je n'en avais à cette époque-là.


 

La dispute était allée trop loin pour nous, nous étions très bon amis et les prises de tête ne faisaient pas partie de nos habitudes. S’il y avait bien une chose que je détestais c’était de perdre du temps à faire des histoires. J’avais décidé depuis mon retour d’Afghanistan de ne plus jamais laisser quelqu’un ou quelque chose entraver mon bonheur. J’avais choisi d’être heureux et de profiter de chaque instant car j’avais réalisé à quel point la vie est précieuse. C’est en grande partie pour ça que je refusais de prendre part aux embrouilles en tout genre, c’était contre ma nouvelle religion.
Pourtant, aujourd’hui Woody avait lancé un sujet épineux et nous avions commencé à nous prendre le bec, alors que ça n’aurait pas dû arriver. Mais je m’étais toujours juré de ne jamais devoir choisir entre « amour » et amitié, et sans se rendre compte de cela mon meilleur ami m’avait lancé une sorte d’ultimatum. Non pas qu’il soit explicite, mais d’une certaine manière il m’avait fait comprendre que ma relation avec Edea n’était pas en adéquation avec notre amitié, et ça, ça me chagrinait beaucoup. Il la déteste pour une raison qui m’échappe mais ne semble pas tout à fait prêt à faire des efforts pour la reconsidérer.
La dispute prenait des proportions étranges, qui ne nous ressemblaient pas, et je ne comprenais absolument pas sa réaction. Il s’était emporté et d’une certaine manière j’avais suivi, perdant mon calme l’espace d’un moment. Il était blessé mais d’une manière incompréhensible je sentais qu’il y avait quelque chose qui allait au-delà de la situation actuelle. Il semblait absent et ne prit même pas la peine de me répondre lorsque je lui soumettais l’idée d’apprendre à connaitre la fille que je fréquente avant de la juger. Une réaction de sa part aurait été appréciable. Et c’était étonnant de voir qu’il ne répondait pas, en temps normal il aurait pu dire qu’elle n’en valait pas la peine, ou que ce serait perdu d’avance, mais son indifférence me fit peur. Il avait fini par lâcher prise, partant s’assoir dans le canapé, devant la télé. « Family Guy ou Kim Kardashian, ça aurait même pu être les jeux olympique j’en aurai rien eu à foutre! » bon, si ça avait été un match de football us, ça aurait peut-être compté, pensais-je mais ça n’était pas le cas. Il n’avait pas l’air à l’aise, et me repoussait en disant que ce qu’il insinuait n’avait rien d’intéressant. Pourtant il me connaissait et savait que je n’en resterais pas là. Alors il lâchait « bouboule », je fronçais les sourcils. Je ne comprenais pas ce que ce mot venait faire là. On parlait d’Edea, on parlait de ma relation avec elle et de comment je l’avais déçu en lui cachant la vérité. Où était le rapport ? il m’avait dit qu’elle était le portrait craché de quelqu’un, qu’elle lui rappelait une ancienne connaissance, mais je ne saisissais pas tout. Puis il enchainait. M’expliquant que c’était ainsi qu’on l’appelait avant. J’étais choqué.
Mon ami étai désormais prof de Yoga et entre autre, plutôt bien foutu. Pas que j’ai des tendances à l’homosexualité, mais il n’avait rien du bouboule qu’il me décrivait. Je restais dubitatif, et interloqué. Je ne comprenais pas un mot de ce qu’il tentait de me dire. Comment avait-on pu le traiter ainsi ? Il n’avait rien d’un garçon ridiculisé. Il était baraqué, musclé, bien taillé en plus de ça, il avait du caractère, je ne le pensais pas être du genre à se laisser marcher sur les pieds. Je lachais un « Quoi ? » qui résumait toutes les questions que je me posais à ce moment-là, lui continuait sur sa lancée. « C’est qui cette Maxine ? Tu veux qu’on lui pète les dents ? » dis –je en rigolant pour détendre un peu l’atmosphère qui régnait. J’avais du mal à imaginer Woody en victime, et l’image qui me venait en tête me fit mal au cœur. Je sentais que ces déclarations lui pesaient gros sur la patate et j’avais envie de l’aider un peu.
Moi aussi, j’en avais critiqué des gens, et j’avais traité des gens de petits gros, parce qu’à l’époque j’étais un petit rebelle et je pensais que le meilleur moyen de s’imposer c’était d’écraser les autres. « Tu sais, quand j’étais jeune moi aussi j’étais un petit con, et je me foutais de la gueule des gens » dis-je en repensant au manque de respect total dont j’ai pu faire preuve durant mon adolescence. « Et pourtant regarde nous, tu m’as laissé une chance et ça valait la peine. » Alors oui, il ne savait pas lorsqu’il m’a rencontré qui j’avais été dans le passé et les erreurs que j’avais pu commettre, mais il jugeait Edea sur « Le problème c’est que tu agis de la manière dont tu détestais qu’on te traite. Tu ne la connais pas et tu la juges d’après son physique ! » C’était exactement la même chose, voire pire. Il n’avait plus l’âge qu’il avait à cette époque. Avant j’étais le premier à critiquer le physique des gens, ou leur moindre petit défauts, à les juger sur leur apparence, et à m’arrêter à la barrière du paraitre. Puis j’avais grandi, et j’avais appris à ne pas m’arrêter à l’enveloppe corporelle, à aller chercher plus loin, et à apprendre à connaitre les gens avant d’émettre un quelconque jugement. C’est ce que je voulais faire comprendre à mon ami « Si tu n’aimes pas Edea, je veux que ça soit pour une bonne raison, pas parce qu’elle te rappelle une petite peste que tu as connu il y a quinze ans de cela. » S’il me disait qu’il n’aimait pas quelque chose de concret chez elle, ça serait légitime. Mais là, il n’y avait rien, c’était du vent.

J’avais retourné la situation à son point de départ, et alors qu’il avait commencé à me faire des confidences, j’avais recommencé à parler de moi alors je revenais à lui « tu aurais dû me parler de ça plus tôt Woody, j’aurais peut-être pris des pincettes avec cette histoire plutôt que de débarquer comme un boulet ! » Je m’en voulais, désormais de lui avoir fait revivre des moments douloureux et de n’avoir pas pris de gants pour dire ce que j’avais en tête.