Encore un peu secouée de la veille, Jules cherchait à tâtons sa boîte de cachets d'aspirine sur la table de chevet du Roosevelt Hôtel. « Misère de misère, ils devraient être là... » grommela-t-elle avant de mettre la main dessus. Encore saoul de la veille, elle s’extirpa non sans difficulté, de son lit pour se diriger machinalement vers le mini bar. N'allez pas croire que notre frêle donzelle comptait remettre ça ; bien au contraire. En bonne femme de sciences, elle ne croyait pas à toutes ces billevesées qui laissait croire aux esprits les plus crédules qu'on pouvait soigner le mal par le mal et évacuer une gueule de bois par quelques breuvages alcoolisés... Ce n'était que de vulgaires âneries inventés pour dissimuler un alcoolisme latent. Jules savait pertinemment que cela ne ferait qu'empirer son état et reculer l'échéance, ce moment où son corps ce libérera de l'emprise de ce t infâme poison. C'est ainsi qu'elle se servit un grand verre d'eau minérale et avala ses comprimés avant de se jeter de tout son long sur le sofa...

Il n'y a pas à dire, son agent avait fait fort avec cette suite... Jules se serait bien contentée d'un hôtel miteux, mais Gusto lui avait enseigné que dans ce milieux tout est malheureusement une question d'image et de paraître... Alors quitte à recevoir des acheteurs et clients potentiels, autant le faire en grandes pompes. D'autant plus lorsque c'est la maison qui régale !
Prise sous l'aile d'un généreux mécène ; notre blondinette était en quelque sorte devenu le nouveau poulain de son écurie. Sous contrat pour ce qui semblait à notre jeune artiste représenter une éternité, elle avait pour mission de sillonner la moitié des USA, sourire, serrer des paluches et exposer ses photos au plus grand nombre. Elle n'en oubliait pas moins son job de Photojournaliste et était parvenue à négocier un contrat aux petits oignons qui lui permettait de poursuivre sa carrière chez Reuters en télétravail. Payée, non plus au mois, mais à la pige, l'argent de la firme représentait une bien piètre somme à côté des fonds que pouvait engranger une expo... Jules se plaisait à appeler ça son argent de poche, même si elle savait pertinemment que cela ne durerait qu'un temps. Elle n'avait ni le talent de Banksy, ni son tempérament, elle ne pouvait espérer rester au sommet plus longtemps...

Sur cette seule pensée, Jules enfonça sa tête un peu plus profondément dans sa couette, comme si la simple pression du tissu contre ses tempes pouvait la défaire de ses maux et obligations. Mais il n'en était rien ! Elle devrait affronter une horde d'acheteurs et de galeristes avec une gueule de bois et sa tête des mauvais jours en prime...
La belle lambina un peu plus longuement sur le lit king size, se lovant dans les draps, le temps que les cachets fassent effet. Elle profita de ce répit, de courte durée, pour planifier mentalement sa journée. Elle avait rendez-vous sur les coups de dix-huit heure et aucun déjeuner à l'horizon... Ce qui signifiait 8 heures à tuer dans la ville qui ne dort jamais.
Murphy aurait pu profiter de ce quartier libre pour magasiner, mais cela était sans compter son profond dégoût de la mode et des files d'attente.  Et quitte à tuer ces heures, Jules préférait le faire proprement et en agréable compagnie. Elle se souvint ainsi du texto du jeune Hawks, rencontré au Burning Man, qui lui proposait de passer dieu sait quand dans sa nouvelle garçonnière à quelques pas de St. Charles Avenue. Deal, Murphy passerait la matinée avec Woody.

Cette idée suffit à lui donner le courage de se hisser hors du lit et se glisser dans ce qui ressemblait vraisemblablement à une robe. « Mmh, c'est peut être un poil trop habillé...» pensa la belle, avant de regagner la salle de bain de sa suite pour y débusquer une tenue où elle serait plus à son aise. Ce n'est qu'en passant à côté de la baignoire balnéo que Murphy se dit qu'un bon bain ne serait pas du luxe... C'est alors que notre jeunette, plus que nature, leva négligemment son bras comme pour vérifier cette hypothèse. L'effluve qui émanait de son tee shirt suffit à lui donner raison, la poussant à se faire couler un bon bain chaud.
Tant pis, elle arriverait sur les coups de 10/11h...

Une fois apprêtée et remise de son état de la veille, Jules sauta dans le premier taxi qui passait par là, enfonçant d'un geste mal assuré ses Wayfarers sur l'arrête de son nez. Si ces lunettes ne la mettaient pas spécialement en valeur, elles avaient au moins le mérite de cacher sa gueule de bois. « B'jour... Gnjdhuhdmmm Street, Uptown s'vous plait ! » marmonna-t-elle dans un langage approximatif. Diable, savait-elle encore parler ? C'est a cet instant que la belle mesura toute l'ampleur de sa gueule de bois. Elle était ivre, voire pire que ça. C'est alors qu'elle tendit son cellulaire avec le message de Woody en direction du chauffeur. Il jeta un bref regard à l'écran puis à Jules et leva les yeux au ciel avant d'appuyer sur la pédale d'accélération. Jules s'amusa alors à s'imaginer ce qu'il devait bien penser en ce moment même. Sans doute pestait-il sur la jeunesse et l'excès ? Peut-être, allait-il même jusqu'à penser qu'une jeune fille de l'âge de Jules devait être complètement inconsciente pour courir les rues de NOLA dans cet état... Passons. Jules avait mieux à faire que de s'inquiéter des pensées d'un chauffeur désabusé ; dormir par exemple ?

C'est ainsi que la belle loupa le défilé des paysages au profit d'une sieste réparatrice.

Avachie sur la banquette arrière, la blondinette ne semblait pas daigner s'extraire des bras de Morphée et ce, malgré les agissements du chauffeur. Le pauvre homme tentait tant bien que mal de l'extirper de ce sommeil de plomb . Paroles, secousses... Rien ne semblait l'en défaire. Complètement démunie devant pareille situation, il céda à la panique en appuyant sur son klaxon. C'est alors Jules, dans un mouvement panique, se réveilla l’œil hagard. Par chance, ses lunettes la préservait de quelconques réflexions. Le Chauffeur, la main parée à sévir de nouveau, regardait Jules fixement.
Gênée au possible, Jules jeta un bref coup d’œil au compteur avant de lui glisser un billet tout en se faufilant en dehors du véhicule. Elle lui avait donné pas moins de 80$ pour la course comptant 40$ pour la course et 40$ pour le désagrément. D'autant qu'elle était quasiment certaine d'avoir laissé échapper un filet de bave sur la banquette arrière. Mais ça, c'est une autre histoire...

Sans repère, Murphy balaya la rue du regard en quête du n° X. « Ah, nous y voilà ! »

Elle se dirigea d'un pas mal assuré vers l'endroit et s'y reprit à trois fois avant de toquer de façon audible. « Une bonne façon de voir s'il a un chien... » pensa-t-elle, avant de tirer un pan de sa robe afin de paraître un peu plus présentable.
Un cliquetis retentis et la porte s'ouvrit dans un grondement presque inaudible qui lui glaça pourtant le sang. « Diantre, on m'aurait menti sur la qualité de ces aspirines » pesta-t-elle avant de se ressaisir et afficher un sourire en direction de Woody.

« Sur______priiiiiiise ! » s'exclama-t-elle en tâchant de ne pas tituber avant de s'apercevoir que son interlocuteur n'était pas Woody. Jules mit quelques secondes avant de le remettre.  Il s'agissait de cette flicaille à trois-francs six-sous qui l'avait empêché un jour de bien faire son travail et avait fait louper à notre ingénue ce qu'elle pensait être le shoot du siècle... Le lieu, le temps, la lumière... Tout était réuni pour une merveilleuse série sur le néant sur fond d'usine désaffectée, mais ça c'était sans compter sur Noah. « Oh non, c'est pas vrai... » vocifera-t-elle avant de se rendre compte qu'elle pensait à voix haute.

« Je ne viens pas de dire ça ? » renchérit-elle, tout en affichant un rictus gêné.

C'est sûr, elle était en plein cauchemar !

Son rictus gênée fit rapidement place à une moue boudeuse. Que lui valait un comportement aussi véhément ? C'était un comble ! Ce n'est pas lui qui venait de se farcir une course à quatre-vingt dollars, essuyer un mal des transports ou encore avait du régler une vilaine amende pour outrage à agent il y a quelques mois de ça... Elle n'avait après tout fait que lui rendre la monnaie de sa pièce en le perturbant dans l'exercice de ses fonctions comme il avait pu le faire alors qu'elle souhaitait shooter dans l’enceinte du parc d’attraction « Six Flag », à l'abandon depuis l'ouragan Katrina... Après tout, avait-il arrêté toutes les blogueuses mode qui s'y étaient rendues pour shooter un look néo-glam/punk ? Non. Alors pourquoi elle ? Pourquoi choisir de faire sa ronde dans ce quartier ce jour là ? Si le comportement de Jules était vu comme louche et équivoque, qu'en était-il de celui du policier. Après tout, il n'était peut-être pas là-bas dans le cadre de ses fonctions... Il s'agissait peut-être d'un ripou des stup' qui s’apprêtait à récupérer son pot-de-vin. C'est en tout cas le scénario à la « Better Call Saul » que notre blondinette s'était escamotée dans le but de se blanchir de tout soupçon et garder la conscience tranquille. Car si elle ne l'admettra jamais, au fond d'elle, elle savait qu'elle avait abusé ce jour là.  
Défendre son cas passe encore, mais rendre la vie impossible à ce pauvre agent qui ne faisait après tout que son travail : c'était la chose à ne pas faire. C'est ainsi que Murphy se souvint s'être allongée sur sa voiture, s'agrippant à la carrosserie comme une sangsue, en chantant une chanson des plus agaçantes. Cet acte lui avait d'ailleurs valu un dépistage salivaire afin de vérifier qu'elle n'était pas sous l'emprise d'une quelconque substance. Le résultat du test avait d'ailleurs décontenancé l'agent qui l'avait d'abord prise pour une pauvre fille en mal de sensation forte. Il avait ainsi du revoir sa copie et la regarder sous son vrai jour : une petite sociopathe aux airs de Nelly Olsen. Dieu qu'elle détestait ce personnage !

Quoi qu'il en soit, elle tenta de croiser le regard de l'agent comme pour vérifier s'il fallait qu'elle s'attende à recevoir un gnon, ou une attention du genre de sa part. C'est qu'elle n'était pas vraiment en état de courir... Le regard noir de Noah lui glaça le sang. Il semblait être encore moins commode que dans son souvenir. Elle avait réellement du le mettre en pétard. C'est alors qu'il lui dit froidement « T’as pas compris que tu t’étais trompé d’adresse ? » Ce a quoi Jules ne sut pas quoi répondre. Après tout, Woody avait peut-être déménagé ? Elle s'était peut-être trompée de quartier ?
Décontenancée, Jules resta extatique tâchant de se remémorer toutes les conversations qu'elle avait pu avoir avec son ami.
Il y avait pourtant bien cette allée de thuya et cette voisine un peu nigaude qui les observait depuis sa fenêtre. La seule vue de cette scène semblait d'ailleurs suffire à on bonheur puisqu'elle affichait un sourire béat, certainement ravie d'assister à une scène digne d'une série B d'aussi près. C'était forcément la maison de Woody. Imperturbable, elle répondit alors au policier d'une voix calme et posée « Moi aussi je suis contente de vous revoir Monsieur l'agent ! Sauriez-vous m'indiquer... » Elle n'eut même pas le temps de poursuivre sa diatribe que l'agent lui avait déjà claqué la porte au nez. « Quel affreux personnage ! » pensa-t-elle avant de prendre une profonde inspiration et sonner de plus belle. Elle ne partirait pas avant d'avoir la confirmation que Woody n'était pas présent.

Et cette vilaine migraine qui choisissait le moment le plus inopportun pour refaire surface... Dieu que la matinée allait être longue !

C'est alors que l'agent Mckinley réapparu derrière le battant de la porte. « Qu’est-ce que tu fou là » dit-il avec véhémence. Enfin, si l'on peut encore employer ce verbe... Car à cet instant précis, l'agent avait plus de l'animal que de l'humanoïde. La rage soulignait des traits insoupçonnés de son visage, si bien que la jeune Murphy le trouva presque beau. A la façon de la Bête dans « The Beauty & the Beast ». Elle avait, en effet, toujours été fascinée par l'étrange...
D'un sang froid à toute épreuve ou presque, Jules prit de nouveau une profonde inspiration avant de lui répondre, sur le ton du défi, « Je vous retourne la question Monsieur l'agent ! » .
La voisine risquait d'en avoir pour son grade, elle était aux premières loges d'une joute verbale mettant au prise deux redoutables adversaires.
« Ne devriez-vous pas être en train d'incarcérer je ne sais quel touriste au risque qu'il dégrade à coup de flash quelques édifiants monuments de NOLA. Ou une blogueuse mode ; ce sont les pires ! D'aucuns disent qu'elles sont redoutables. De vraies délinquantes ! »

C'est alors qu'une voix familière résonna le long du corridor. Woody. Jamais Jules ne fut aussi contente d'entendre la voix de son ami. Avec un peu de chance, il désamorcerait la situation à coup de sourires et vannes.

« Jules ? Depuis quand tu vends des biscuits ? À NOLA en plus ? » lança-t-il à Jules, tout en s'approchant d'elle pour l'étreindre. Quelque peu décontenancée et toujours gênée par les débordements d'affection, Jules pressa brièvement son ami lui caressant chaleureusement le dos en lui répondant « Comment ? J'aurais oublié de mentionner mon projet de reconversion professionnelle lors de notre dernier Skype ? Vilaine fille. »

Amusée, elle en oubliait presque l'agent Mc-je-ne-sais-plus-trop-quoi... Jusqu'à ce que son regard croise de nouveau le sien. Murphy se racla alors doucement la gorge, feignant un mauvais rhume.

« Non mais sérieux, vraiment, qu'est-ce que tu fous là ?? » lui demanda son ami, avec beaucoup plus d’enthousiasme et d'emport que cette flicaille qui devait lui servir de colocataire. Jules ne voyait que ça pour daigner supporter pareil énergumène.

« Bah, je te l'ai dit. Je me lance dans le commerce de cookies hallucinogènes. T'en veux un ? Mais attention, tu gardes ça pour toi hein ! Pas un mot à la police ?! » dit-elle sur le ton de la plaisanterie en lui glissant dans la main un spéculoos qu'elle avait du récupérer dans dieu sait quel café. « Non, plus sérieusement, j'étais en déplacement professionnel pour la préparation d'une expo et je me suis dit pourquoi ne pas passer dire bonjour à un vieil ami. D'ailleurs, je m'excuse de ne pas avoir pu te prévenir avant, ça s'est organisé sur le tard et après je me suis dit, autant lui faire la surprise ! »

C'est alors que Woody se tourna vers celui qui semblait partager son foyer et lui lança un regard réprobateur. Jules ne pouvait s'empêcher de jubiler intérieurement. « Du sang, des boyaux... » pensa-t-elle amusée avant de se laisser entraîner par son ami dans leur garçonnière.

« Je vais enfin découvrir l'antre de la bête. » s'amusa-t-elle tout en s'arrangeant pour croiser le regard de Noah. Elle lui lança un regard insistant, avant d'être interrompu par Woody à la façon d'un enfant lui présentait toutes les choses qui composaient et rythmaient son quotidien.