Il y a des jours où quoiqu'il arrive, rien ne pourrait vous faire perdre votre bonne humeur et votre entrain. Vous débordez d'énergie, de joie de vivre et d'impatience. Ce vendredi là, mon dernier jour au camp, faisait parti de ces journées où rien ni personne n'aurait pu entache mon bonheur. J'avais effectué mes taches ménagères sans rechigner et sans me plaindre, allant même jusqu'à chantonner. Isay avait redoublé d'effort pour m'emmerder – en vain. Je l'avais purement et simplement ignoré, alors que mentalement, je réfléchissais aux dernières choses qu'il me restait à ranger dans ma valise. Le lendemain matin, à l'aube, j'embarquerais sur un vol pour l'Europe, direction Stockholm. La simple idée de rentrer chez moi et de revoir mon père me rendait impatiente et excitée. Ce mois de vacances en Suède serait le bienvenu ; l'année n'avait pas été de tout repos pour moi. Entre la confrérie, mes amours compliqués, l'affaire avec Pavel et ce mois de travail forcé au camp, j'avais eu ma dose. J'estimais, à juste titre, que je méritais amplement des vacances. Cendrillon en avait suffisamment fait, et allait afin s'accorder sa soirée (ou plus exactement, son mois) de bal. Sans prince charmant pour venir compliquer les choses, cela allait sans dire. À cette simple pensée, mon sourire s'élargit encore davantage. Un seul mot d'ordre : amusement.

« Soirée à la piscine ce soir ! Tu viens ? » La voix d'Erwan, mon colocataire, me fit sursauter. Je ne l'avais pas entendu rentrer, sans doute parce que j'étais trop absorbée par mes préparatifs de départ. L'une de mes valises était ouverte sur le sol de notre chambre, et j'y rangeais toutes les choses que j'avais sorti au cours du mois. « J'en sais rien. Il me reste pas mal de choses à faire. » Répondis-je en m'emparant de la pile de tee-shirt qu'il me tendait. Ce n'était qu'à moitié vrai ; je me doutais bien que j'aurais fini de faire ma valise avant la fin de la soirée, mais le problème était que je devais prendre l'avion à l'aube. Mon vol était prévu à sept heures du matin, et je devais me trouver à l'aéroport au mois deux heures à l'avance. Le vol étant particulièrement long, j'aurais aimé me reposer un peu avant. « Valentina, c'est ta dernière soirée ici. Tu ne comptes quand même pas la passer seule à te reposer, rassure-moi ? » Me fit remarquer l'Alpha. J'ai arqué un sourcil, alors qu'il mettait en évidence l'absurdité de mon raisonnement. Effectivement, on avait connu plus grisant pour fêter la fin d'un job d'été – prenant, fatigant, et chiant par dessus le marché. Cette soirée au bord de la piscine n'était, après tout, pas une si mauvaise idée. Et faire une apparition là-bas était le moins que je puisse faire. « Quelle heure ? » Erwan sourit, comprenant qu'il venait de me convaincre. Il m'indiqua que les festivités commenceraient à vingt-deux heures, lorsque ses obligations d'animateur prendraient fin. J'ai acquiescé, avant de retourner à mon rangement. « J'y serai. » Déclarais-je en déposant mes robes dans ma valise.

Et je m'y étais rendue. Pas en temps et en heure, évidemment – je n'étais, de toute façon, jamais foutue d'être à l'heure. De plus, j'estimais qu'en bonne doyenne des Bêta que j'étais (comprenez en bonne représentante des séductrices en puissance), arriver en retard ne me desservait pas tant que ça. Se faire désirer en faisant trépigner les hommes d'impatience, n'était-ce pas là l'une des premières règles de la séduction ? C'était peut-être même la première. J'avais finalement bouclé mes valises, laissant de côté uniquement ce qui allait me servir pour le lendemain, puis j'étais allée me préparer pour cette fameuse soirée. J'avais enfilé mon maillot de bain, et mis une robe noire par dessus. Une légère touche de maquillage, un chignon fait à la va-vite, quelques pinces dans les cheveux pour dompter les mèches rebelles, et le tour était joué. Rien de bien extravagant, au final. Je me suis dirigée vers la table où étaient disposées les différentes boissons – toutes sans alcool, évidemment. Pas d'alcool dans un endroit où se trouvent des enfants ; voilà ce que le règlement stipulait. Sauf qu'à cette heure-ci, les bambins étaient couchés, et c'était à notre tour de profiter. Malgré nos protestations, la direction n'avait pas cédé. Pas d'alcool. Nous avions donc dû trouver des subterfuges qui s'étaient révélés... Efficaces. La preuve ? Le jus de pomme que je venais de me servir était fortement dosé en... vodka. Mais je n'allais pas m'en plaindre. Je me suis ensuite dirigée vers un groupe d'étudiants de Berkeley qui, comme moi, avait été bosser au camp pour l'été, et les discussions repartirent de plus belle.

Environ deux heures plus tard, la soirée battait son plein. Les gens dansaient, barbotaient dans la piscine, ou discutaient en sirotant un énième verre. En ce qui me concernait, je m'étais assise au bord de la piscine avec mes compères, un verre à la main. J'avais perdu le fil de la conversation – après quelques verres dans le nez, j'avais du mal à rester concentrée bien longtemps. J'ai sursauté en sentant un bras humide passer autour de mes épaules, avant de sourire largement en croisant le regard de Lucas. « Hey. » Dis-je en me penchant vers lui pour embrasser sa joue. « Tu vas bien ? » Demandais-je en veillant que ma robe ne soit pas trempé par son short. Mauvaise idée ; ma prudence alluma une petite flamme au fond de son regard, alors qu'il jetait un regard sur la piscine, puis sur moi. « N'y pense même pas. » Dis-je en posant une main sur son épaule, anticipant sur sa réaction.

Assise au bord de la piscine, les pieds plongés dans l'eau, je profite de ma dernière soirée au camp Rivendell. Le moins que l'on puisse dire, c'est que la fin de l'année scolaire, ainsi que ce premier mois d'été ont été plus que mouvementés. Entre la situation ambiguë avec Rayan – qu'il me faudrait d'ailleurs éclaircir au plus vite, avant que le climat ne devienne invivable – puis l'engueulade de mon père qui m'avait méchamment reproché ce séjour forcé, et enfin mon binôme avec Isay, j'avais eu de quoi faire. Mon esprit n'avait guère été en repos – c'était même tout le contraire ; il avait sans cesse été en alerte. J'accueillais donc l'idée de vacances comme une bénédiction. Enfin ! Après une année intense et après un début d'été en demi-teinte, j'allais avoir droit à de vraies vacances. Comme tous les ans, je rentrais au bercail. Stockholm, capitale de la Suède et, accessoirement, mon QG. Là où je me sentais le mieux, le plus à l'aise. Non pas que ma vie aux États-Unis soit un calvaire ; loin de là. Berkeley, le soleil Californien, les rues très typiques de la ville.. Le décor était proche de l'idyllique, et il était difficile de ne pas se sentir chez soi à San Francisco. Un air connu me fit sortir de mes pensées. J'ai relevé la tête pour découvrir Lucas, armé d'une guitare, en train de jouer les premières notes de Stolen Dance. Bon choix, songeais-je en me laissant bercer par la musique.

« Arrête donc un peu. » Dis-je en secouant la tête, un sourire affiché au coin des lèvres. Je rigole de ses courbettes et de sa flatterie, mais une partie de moi est tout de même surprise de voir que l'Oméga a aussi des talents de Delta. Entre son physique de bellâtre, sa carrure de sportif, et son bagout avec les filles, il avait tout pour réussir. « Ce n'était qu'une bise pour te saluer. » Précisais-je, voulant à tout prix éviter qu'il ne se fasse des films. Non pas que l'idée d'un rapprochement avec Lucas m’écœure, bien au contraire, mais je ne souhaitais pas non plus qu'il aille raconter à toute l'université que j'embrassais sur demande. La discussion aurait pu en rester là, mais l'Oméga semblait apparemment avoir de la suite dans les idées ce soir. Vu son air malin et son regard insistant, il ne me fut pas difficile de comprendre quels étaient ses projets – pour mon plus grand malheur. « Je...  Non ! » M'exclamais-je en me redressant, posant les deux mains sur mes hanches. J'étais déjà prête à me lancer dans des explications complexes pour lui prouver, par a + b, que me balancer à la flotte n'était pas une bonne idée. « Je suis hiérarchiquement plus haut placée que toi. » Ouais, à Berkeley, me souffla une petite voix intérieure que je fis rapidement taire. Sauf qu'on n'était pas à l'Université, ni même en contexte scolaire. Mais qu'importe, je continuais sur cette voie – en espérant que cela me porte chance. « Et je pourrais faire de ta vie un Enfer. » Ajoutais-je, faisant quelques pas en arrière pour physiquement m'éloigner de Lucas. Après tout, mieux vaut prévenir que guérir n'est-ce pas ? « Et puis... » Mais avant même que je n'eus le temps de continuer sur ma lancée, les bras de l'Oméga m'encerclèrent, et me retinrent prisonnière. Impression confirmée : monsieur était musclé, et ce n'était probablement pas que de la gonflette. Un point pour lui. Ceci ne m'empêcha pas d'essayer de me dégager de sa poigne – j'avais quand même ma fierté, et je ne comptais pas m'avouer vaincue aussi rapidement. « Lucas je... Non ! » M'exclamais-je à nouveau, sans pour autant réussir à masquer un éclat de rire. L'Oméga venait tout juste de me faire chavirer. Je me retrouvais désormais la tête en bas, les bras ballants, mes yeux ayant une vue imprenable sur... Le derrière de Lucas. Super. Je réprimais l'envie d'aller vérifier qu'il était vraiment musclé – ce n'était pas le moment d'avoir des idées aussi saugrenues, surtout devant un public aussi large – mais je me promis mentalement d'aller vérifier, tôt ou tard. « Redescends-moi de là ! Tout le monde nous regarde ! » C'était le moins que l'on puisse dire. Chacun semblait attendre que l'ingrat Oméga, qui avait déjà eu le culot de balancer la doyenne Bêta par dessus son épaule comme un vulgaire sac à patates, se décide finalement à la balancer à l'eau. « Je te déteste. » Dis-je alors qu'il me déposait finalement sur le rebord de la piscine. Un pas en arrière, et je tombais à l'eau toute habillée. Un pas en avant, et je lui faisais, au sens propre du terme, du rentre-dedans. « J'ai le choix ? » Demandais-je en levant les yeux au ciel, consciente que sa question n'en était pas réellement une. Oh bien sur, j'aurais pu décider de sauter à pieds joints dans la piscine, mais vu la robe que j'avais sur le dos, c'était totalement exclu. Et j'étais convaincue que Lucas le savait pertinemment. « Allez vas-y. » Abdiquais-je en soupirant, allant même jusqu'à écarter les bras pour qu'il puisse avoir un accès plus facile à la fermeture éclair qui fermait la robe dans mon dos. « Tu pourras te vanter d'avoir déshabillé une Bêta au moins une fois dans ta vie. » Déclarais-je sur un ton faussement innocent. Et quelle Bêta ! La reine d'entre elles. « T'étais nettement plus mignon quand tu jouais de la musique. » Fis-je remarquer, alors que l'Oméga prenait un malin plaisir à me faire languir. Il savait parler aux femmes ? Soit, j'allais le mettre en confiance. Je pouvais sentir ses doigts, dans mon dos, jouer avec la fermeture éclair. « Tu comptes me torturer encore longtemps ? » J'affichais un petit sourire, tandis que j'ajoutais : « A moins que ce soit ton inexpérience qui se fait sentir. » L'air narquois, je jouais la carte de la Bêta dans toute sa splendeur. Et je lui ai donné le coup de grâce quelques secondes plus tard, presque sur un air de défi. « Vu comme tu es dégourdi dans ce domaine, je me demande ce que ça peut donner dans... d'autres. » Pas de précision, rien. Juste une petite allusion perverse, bien envoyée à un Oméga qui, je m'en doutais, y serait sensible. Comme ça, gratuitement – ou presque. Un petit challenge, un moyen de pimenter un peu ma dernière soirée au camp. De quoi m'amuser et me mettre le pied à l'étrier pour mes vacances, en gros. J'en jubilais d'avance.

« Ne t'emballe pas trop, chéri. » Dis-je en secouant la tête, osant même lever les yeux au ciel. Très peu impressionnée par son discours, je préférais gazouiller et batifoler, ignorant complètement les yeux frétillants de l'Oméga. Il pouvait bien penser ce qu'il voulait, ma légèreté de ce soir m'empêchait de me poser mille et unes questions. Un seul mot d'ordre : profiter. Rire, danser, passer un bon moment. Puisque demain, je prenais l'avion pour Stockholm, autant m'amuser et ne pas trop me prendre la tête. La situation évolua d'ailleurs rapidement, puisqu'en moins de temps qu'il ne faut pour le dire, je me suis retrouvée au bord de la piscine, droite mais dans un équilibre plus que précaire. « Bien joué ! » M'exclamais-je, ressortant la tête de l'eau. Ma robe blanche était désormais transparente, mes cheveux étaient bon à laver à nouveau, et je devrais fouiner dans ma valise pour récupérer des affaires confortables pour voyager. Merci qui ? Merci Lucas ! « Ton manque d'expérience fait peine à voir, mon cher ! » Sifflais-je, rejetant à l'arrière de ma tête une mèche rebelle qui barrait mon visage. Le fait qu'il s'avance vers moi et me pousse délicatement contre le rebord de la pièce ne me fit même pas tilter. De toute façon, au point où j'en étais... Mon seul impératif n'avait pas été respecté, il ne me resterait donc plus qu'à me venger. Ce qui ne serait pas des plus compliqués, vu les desseins lubriques qu'il avait apparemment en tête. « J'ai pas besoin d'argent, et encore moins besoin d'aide de la part d'un mec. » Répliquais-je, relevant mes prunelles aciers vers les yeux noisettes de Lucas. Merci mon cher, tu repasseras. Notre proximité me fit arquer un sourcil, mais je ne fis aucun réflexion. « Si tu me considères comme toutes les autres Bêta, t'as tout faux mon pauvre. » Expliquais-je, sur un ton clairement hautain. « Regarde où j'en suis, et vois où elles en sont : la plupart du temps, il y a un monde. » Sous-entendu : je suis bien meilleure qu'elles. J'ai obtenu la place de doyenne – place la plus haute disponible dans la hiérarchie des confréries, je le rappelle – et elles n'ont même pas un ongle manucuré dans la trinité. Malgré ma blondeur et mon apparence superficielle, j'ai su tirer mon épingle du jeu. Comme ça, lentement, en toute discrétion. J'avais éliminé la concurrence, succédant à Aiden. Les autres n'avaient eu qu'à s'incliner. « Tout ça pour dire... Méfie-toi des blondes, Lucas. » Dis-je en le laissant me retirer ma robe, qu'il posa sur le rebord de la piscine. Je jouais l'innocente, mais je savais pertinemment que ça n'allait pas durer. Ses mains passèrent à nouveau dans mon dos pour ce que je pensais être une étreinte – chose que j'acceptais volontiers. Jusqu'à ce que l'infâme ose l'impensable : déshabiller, plus que de raison, la doyenne des Bêta. « Nan mais... ! » Interdite devant tant d'audace, je suis restée scotchée pendant une fraction de seconde. Posant un bras sur ma poitrine, je me suis hâtée d'attraper le haut de mon maillot de bain, qu'il avait fièrement exhibé. « J'espère que t'as profité de la vue imprenable, sinon cet acte d'audace et de bravoure n'aura servi strictement à rien. » Fis-je remarquer, alors que je nouais à nouveau mon haut de maillot de bain dans mon dos. Après m'être assurée que tous les regards n'étaient pas rivés sur nous, j'ai affiché un petit sourire narquois sur mes lèvres. Retournement de situation – j'allais lui montrer qu'il n’était pas au bout de ses peines. J'ai avancé d'un pas, nous rapprochant encore davantage. J'ai posé ma main sur son torse, avant de dire : « C'était peut-être du courage ou de la stupidité, mais... » Je délaissais ses yeux, pour commencer à lui tourner autour. Ma main suivit le mouvement, dans une caresse presque aérienne. « C'était mal joué. Et tu sais pourquoi ? » Il secoua la tête, visiblement privé de tout don d'élocution. « Parce que tu viens de réveiller mon pire côté. » J'avais soufflé cela au creux de son oreille, après m'être mis sur la pointe des pieds pour être à sa hauteur. Un léger rire vint fendre l'air, avant que je ne disparaisse à nouveau sous les eaux. Le ton était donné. La soirée pouvait commencer.