m'asseoir sur un banc cinq minutes avec toi et regarder les gens tant qu'y en a. te parler du bon temps qu'est mort qui r'viendra, en serrant dans ma main tes p'tits doigts. pi donner à bouffer a des pigeons idiots, leur filer des coups d'pied pour de faux. et entendre ton rire qui lézarde les murs, qui sait surtout guérir mes blessures. marcher sous la pluie cinq minutes avec toi et regarder la vie tant qu'y en a. et entendre ton rire comme on entend la mer, s'arrêter, repartir en arrière. m'asseoir sur un banc cinq minutes avec toi, regarder le soleil qui s'en va. te parler du bon temps qu'est mort et je m'en fous, te dire que les méchants, c'est pas nous. et entendre ton rire s'envoler aussi haut que s'envolent les cris des oiseaux. (jonas&cassandre)

Cassandre a été abandonnée, encore. Elle est restée durant des heures dans ce café où elle avait donné rendez-vous à Jonas. Elle a continué d'attendre quand les trente premières minutes étaient passées, elle a continué d'attendre quand la première heure s'est écoulée, elle a continué d'attendre une heure et demi. Puis elle a arrêté, elle a abandonné à son tour, énervée, déçue et surtout blessée, par celui qui était pour elle plus que sa famille, son meilleur ami. Elle s'est empressée d'envoyer un message à son jumeau afin qu'il retrouve assez rapidement celui qui lui avait posé un lapin, sans même s'en rendre compte. Et lorsqu'enfin, elle sait où il se trouve, Cassandre se presse dans cette direction, l'esprit échauffé. Le port, car évidemment Jonas a fait passer son foutu voilier avant sa cousine, comme s'il n'y avait des choses plus urgentes, comme si le fait qu'elle s'envole le lendemain pour l'autre bout du monde ne l'intéresse que peu. Ses talons résonnent sur le bois du ponton qui la mène au bateau du jeune homme qu'elle connaît par coeur, pour l'avoir visité plus d'une fois. Elle a l'impression que des années sont passées depuis qu'elle ne l'a pas vu, car leurs agendas collent rarement, et que plus d'une fois, Jonas lui a fait faux bond, faisant par exemple passer Billie avant elle. Elle a la haine, Cassandre, la haine de donner et ne rien recevoir en retour, la haine de toujours être libre quand il propose et que la réciproque ne soit pas vraie. La haine pure et simple. Et pourtant, elle sait qu'il suffit au jeune homme de s'excuser pour que tout soit pardonné, tout soit oublié. Mais pas cette fois, cette fois ce sera différent, cette fois ce ne sera pas si simple. Car elle en a marre, Cassandre, d'être seconde, toujours, encore. Elle en a marre de tendre la main, et de n'attraper qu'le vent. Ça fait mal, ça pique les yeux, mais Jonas s'en rend même plus compte, il a qu'Billie dans l'regard, Billie et ses yeux doux, Billie et son sourire enfantin, le reste est flou, simplement. Et elle, elle n'est nulle part, elle n'est dans l'coeur de personne. C'est plus de la haine qu'elle transporte, c'est de la déception, de la rancoeur, viscérale et vicieuse, celle qui s'insinue dans les veines pour ne plus vous lâcher, celle qui crée la jalousie et qui annihile le bonheur. Et puis, elle l'aperçoit, installé tranquillement sur son voilier, à regarder l'horizon, à attendre Dieu sait quoi. Encore s'il l'avait oubliée pour quelqu'un, pour un problème grave, une urgence. Mais il l'a oubliée pour quelque chose, pour quelque chose qui serait encore là le lendemain, encore présent dans quelques heures. Alors que Cassandre, elle veut juste s'barrer, elle veut l'barrer. De son répertoire, de son coeur surtout. Mais c'est pas possible, c'est inconcevable. Au mieux, elle s'tire demain, elle prend l'avion pour la Grèce, et elle demandait qu'un au revoir, un baiser sur son front pour lui assurer qu'il partira pas trop loin, qu'il sera là quand elle reviendra. Elle demande pas grand chose, Cassandre, et même ça, elle l'a pas eu. C'est comme s'il se foutait ouvertement de sa gueule, à prendre son bain de soleil, comme si rien ne l'atteignait, comme s'il était le roi du monde. Mais ce qu'il n'a pas compris, Jonas, c'est que pour être roi, il faut une reine. Et c'est elle, la reine. Alors, elle s'avance, droite et fière, tentant de masquer sa colère derrière un masque d'indifférence, et se place le plus près du voilier possible sans y poser un seul pied. « Alors c'est ça, tu préfères la compagnie du requin-tigre à la mienne. » Elle le voit tourner sa tête vers elle, sans doute étonné d'entendre une voix près d'ici, en particulier la sienne. Elle se délecte de ce qu'elle voit, de ce qu'elle lit dans ses yeux, alors qu'il tente sans doute de se remémorer la raison de sa venue ici, qu'il se rend sans doute compte de l'affront qu'il vient une nouvelle fois de lui faire. Elle croise les bras, et hausse les sourcils. Le silence les enveloppe, apaisant, et elle comprend pourquoi il vient se réfugier ici, mais cela n'enlève rien aux émotions qui la submergent. Alors elle le rompt, ce silence, elle le rompt avant qu'il ne puisse émettre un son. Son ton est sec, froid, et ne laisse place à aucun doute sur ce qu'elle pense en cet instant. « Je t'ai attendu, Jonas, longtemps. Plus longtemps que tu ne le mérites, plus longtemps que je n'ai jamais attendu. J'ai fini d'attendre, je lâche l'affaire. » C'est comme une sentence qui tombe, une mise à mort. Cassandre décolle demain, et elle n'a pas l'intention de lui accorder une seconde de plus de son temps. Elle est excessive, sans aucun doute, mais elle n'en peut plus, elle est à bout, de cet homme qui se joue d'elle parce qu'il pense sans doute que les liens du sang sont plus forts que le reste, qu'ils sont indestructibles. Il se fourvoie, et la demoiselle compte bien lui prouver aujourd'hui. Elle n'est pas une personne lambda, dont il peut se servir à sa guise, elle n'est pas une gamine amourachée d'un idiot, elle n'est pas n'importe qui. Et il est temps qu'il le comprenne enfin. Elle tourne les talons, et prend la direction de la sortie. La sortie du port, la sortie de la vie de Jonas, au moins pour un moment. Elle est dans la démesure, Cassandre. Et il n'a encore rien vu.

L'horizon est réconfortant. Il reste là. Fixe, immobile, linéaire. Je pourrais passer des heures à l'observer. Des heures à me demander ce qu'il se passe de l'autre côté. Je pourrais aussi lâcher les voiles, à tout moment, et m'échapper quelques temps. Me retrouver seul au milieu de l'océan, goûter au néant. C'est ça que je ressens, là-bas. Quand y'a que l'océan à perte de vue. J'ai l'impression d'être inexistant. Ça fait du bien parfois. Surtout en ce moment. Surtout depuis que la compétition me pousse à être le meilleur. Quand tous les regards sont rivés sur moi et que je m'apprête à plonger dans l'eau avant une course, je me sens comme l'homme le plus important du continent. C'est l'opposé exact de ce que je ressens seul sur l'océan. Et ce sont deux sentiments que j'apprécie différemment. Deux sentiments qui me font me sentir vivant. Les yeux fermés, j'écoute le silence. Le soleil me réchauffe et l'air marin m'apaise. J'oublie le temps qui passe, j'oublie Billie et sa phobie de la vie, j'oublie tout, j'oublie sans doute même trop. Mais c'est trop tard. Le calme s'envole. "Alors c'est ça, tu préfères la compagnie du requin-tigre à la mienne." Je tourne ma tête, et c'est Cassandre que j'aperçois. Je suis surpris au début. Surpris de la voir ici, surpris de cette colère qui me crève les yeux. Puis je me souviens enfin. On avait rendez-vous tous les deux, avant son départ pour la Grêce, demain. Je me sens con, et je n'ai strictement aucune excuse. Alors je ne dis rien. Ce n'est pas la première fois que j'oublie Cassandre. Je l'ai déjà oubliée pour passer du temps avec Billie, pour aller à un entrainement. Et aujourd'hui, je l'ai oubliée pour le requin-tigre. Pourtant Cassandre ne m'oublie jamais. Elle est là pour m'encourager aux compétitions, pour me souhaiter mon anniversaire (alors qu'il m'arrive encore d'oublier le sien), pour me conseiller ou m'écouter. Cassandre est omniprésente quand je suis inexistant. Si on était amis, je ne doute pas qu'elle aurait fini par m'abandonner. Par trouver un ami plus respectueux. Mais on est cousins. Même plus que ça. C'est pas que le sang qui nous lie. Avant tout ça, avant Billie, avant la natation, avant Berkeley même, Cassandre et moi on ne se quittait pas. Et même si aujourd'hui tout est différent, je sais qu'elle sera toujours une partie de moi. "Je t'ai attendu, Jonas, longtemps. Plus longtemps que tu ne le mérites, plus longtemps que je n'ai jamais attendu. J'ai fini d'attendre, je lâche l'affaire." Je me lève finalement, surpris par son ton sec et décidé. J'ai l'impression de me faire plaquer. Oui c'est ça, je crois que Cassandre vient de me plaquer. Je la regarde s'éloigner quelques secondes avant de lui courir après. Je m'y prends peut-être trop tard. J'ai sans doute utilisé tous mes jokers, et épuisé Cassandre pour une vie entière. Cousins ou pas, peut-être que ça change rien au fond. J'aurais dû faire attention. Ne pas me reposer sur ce que je pensais inébranlable. "Cassandre, attends !" Elle presse le pas, mais je finis par attraper son bras. Alors je la tire légèrement vers moi, l'obligeant ainsi à me faire face. Son regard est meurtrier, j'ai même l'impression de me prendre une vague dans la gueule. Mais je tente un sourire, avant de la serrer contre moi sans lui laisser le choix. Je pose un baiser sur son front, et la garde dans mes bras un léger instant. "Allez, dis moi que tu m'aimes. Dis-le moi, sinon je t'envoie à la mer." Je lui lance un sourire amusé, tentant tant bien que mal de détendre l'atmosphère. Et j'imagine qu'elle sait que je serais capable de la foutre à l'eau, et même de plonger avec elle. Ça attiserait sans doute sa colère, par contre. Et quand je vois ses yeux noirs et son regard sévère, je finis par lâcher un soupir. "C'est vrai, j'ai merdé. J'arrête pas de merder avec toi Cassandre, je suis désolé." Je passe une main dans mes cheveux, et je me sens finalement dépassé. Dépassé par tout ça, comme si je n'arrivais plus à suivre. Comme si je vivais dans une réalité alternative. Y'a trop de choses qui changent autour de moi. Je pourrais pas dire quoi, ni pourquoi. Mais j'ai la sensation de changer de train, de plus suivre le même chemin. Y'a Billie avec qui je passe de moins en moins de temps. Grand-père, que je ne suis pas allé voir depuis la semaine dernière. Et puis bien sûr, Cassandre. Cassandre qui me semble presque étrangère. Alors je plonge finalement mon regard dans le sien. Il est temps. "Écoute, j'ai quelque chose à te proposer. Je voudrais que tu organises une soirée. Pour le lieu, ça se passera dans mon loft. Dis moi ce dont tu as besoin. Si tu veux un chèque, ou bien que j'engage un traiteur. Tu as carte blanche Cassandre. Je veux juste que t'invites des gens... des gens que t'as l'habitude de fréquenter. Tu vois, des gens qui viennent des beaux quartiers. Je voudrais qu'on rattrape le temps perdu, s'il n'est pas trop tard. Pour de bon." Il est temps de découvrir tout ça. Ce monde que Cassandre fréquente mais qui m'est littéralement inconnu. Je suis curieux de savoir à quoi tout ça ressemble. "Mais n'en parle pas à Billie. Elle ne doit rien savoir. Et encore moins en faire partie." Je questionne Cassandre du regard. "Est-ce que c'est jouable ? Est-ce que tu voudrais bien me laisser une dernière chance ?"