Les propos tenus pouvaient paraître crus. En fait, non, ils l'étaient véritablement, mais il était impossible pour Rayan de se rendre compte à quel point il pouvait être désagréable. C'était essentiellement ça, son problème, sa faiblesse. Son impulsivité, qui ne cessait de le ronger et qui le faisait plonger tête la première dans des ennuis en tout genre. Trop de gens avaient souffert de son comportement exécrable, lui le premier. Des amis d'enfance, sa mère adoptive, Aengus, Kenzo, Cailin, William. Presque tous ceux qu'il venait à côtoyer finissaient par souffrir par sa faute, et ce, d'une manière ou d'une autre. Sacha n'échappait pas non plus à la règle, et ce n'était en rien la première fois. Pourtant, Rayan n'avait jamais vraiment culpabilisé au point de s'en rendre malade, les choses finissaient bien souvent par rentrer dans l'ordre avec du temps et de l'envie. Mais là, l'étudiant en littérature en avant assez, trop de problèmes s'accumulaient depuis le début de l'été et celle-ci était l'erreur de trop. Le delta avait espéré passer un agréable moment à Las Vegas, cherchant à oublier autant sa dispute avec son paternel, son bref séjour à l'hôpital, ce bal si bien entamé gâché par sa colocataire, que sa dernière aventure avec un jeune Russe qui ne l'avait en rien laissé indifférent. Mais tout cela n'avait été que pure illusion, bien qu'une part de lui espérait que tout cela soit une vraie plaisanterie, les deux signatures sur le papier en prouvaient bien le contraire. Rayan ne calcula même pas les paroles de son ami. Dispute conjugale, rincer la bouche, Sacha ferait mieux de partir maintenant avant qu'il ne devienne le prochain punching-ball humain de l'Israélien. « Tu gères ? Si tu gères comme à chaque fois, laisse tomber. Autant crever la gueule ouverte, ça ira plus vite. » Il ne chercha même pas à s'excuser avant que Sacha ne sorte de la salle de bain, impossible de calculer la cruauté de ses mots. Ainsi, une fois le Sigma hors de son champ de vision, Rayan ne prit même pas la peine d'ôter ses vêtements pour se glisser sous la douche et s'y enfermer. Ce n'est que lorsque l'eau se décida enfin à couler sur son corps, trempant ainsi le tissu de son costume, qu'il se décida à agir, bien qu'il était un peu trop tard pour cela. La colère ne cessait de couler en lui, la rage frappant à la porte et ne semblant guère vouloir s'éloigner. Il aurait mieux fait de rester à San Francisco pour le week-end, de passer ces journées à traquer sans relâche le dernier tortionnaire qu'il avait connu : Pavel, et lui régler rapidement son compte en lui rendant la monnaie de sa pièce. Il l'avait laissé dans un état tellement lamentable que le match retour s'annonçait encore plus intense que cette première rencontre déjà bien explosive. Le delta eut besoin de cinq bonnes minutes afin de se remettre les idées en place sous le jet d'eau, et lorsqu'il fut enfin dans un état plus ou moins meilleur, l'étudiant se sécha, accrochant au passage une serviette autour de sa taille avant de s'éclipser hors de la salle de bains. « Sacha, t'es encore là ? » S'il était en vadrouille chez ses amis, cela n'était pas plus mal. Pas un bruit, alors les pas du delta le menèrent jusqu'au lit pour mieux s'y effondrer à plat ventre, épuisé.

Sacha avait refermé la porte juste à temps. Il comprenait que Rayan soit agacé. Il supposait que tout n’ait pas été rose jusqu’à présent. Mais il n’excusait pas pour autant son comportement de plus en plus intolérable. La souffrance n’offrait aucune bonne raison pour en infliger à d’autres et plus encore à des proches. Sacha faisait la rude expérience d’une perte de self-control. Qui aurait pu deviner ce qui se trouvait derrière son sourire et ses blagues ? Sacha lui-même. Il savait ce qu’apportaient les montées de rage contre ses tempes et les conséquences que ses pertes de contrôle pouvaient apporter. Il savait oui, et il le craignait d’autant plus. Il se contenta de balancer la robe contre le canapé pour mieux s’habiller correctement. Il profita de son moment de solitude pour se reprendre et tenter de recadrer les choses dans un ordre plus rationnel.

De retour dans la chambre d’hôtel, le garçon se sentait plus lourd encore. Quand il avait compris la situation, il avait tourné de l’œil et la bosse sur le coin de son front témoignait de sa chute. Une chute ! Le mot n’avait jamais été aussi bien choisi. Sa vie s’écroulait. Sacha tombait de haut et sur le cul ! On aurait dû le prévenir avec un « âme sensible s’abstenir » en haut du papier de mariage. Sacha Clives… Il allait se faire tuer. Comment allait-il arranger tout ça ? Est-ce qu’il pouvait simplement déchirer le papier et considérer le mariage comme nul ? Pouvait-on dire qu’il était caduc puisqu’ils n’avaient jamais couché ensemble ?

En s’arrêtant au pied de son lit, il redressa un sourcil. Au moins la situation ne l’empêchait pas de dormir ! Dans un soupir, il posa ses fesses sur le matelas, de l’autre côté de Rayan. Il ne savait même plus quoi dire ou quoi penser. Rayan allait se mettre en colère, lui aussi et après ? Dans un nouveau soupir, il se redressa pour attraper sa valise. Il lui restait encore une nuit mais il n’avait plus envie d’être ici. Il ne souhaitait plus qu’une chose : fuir et le plus loin possible de Rayan. Rien qu’à le regarder, il avait envie de vomir. Il avait d’ailleurs plutôt intérêt à épargner les toilettes si le blond désirait récupérer ses boutons de manchettes. Voilà la seule solution que trouvait Sacha dans ce moment d’intense émotion : se faire la malle.

Contrairement aux apparences, Rayan n'était en rien endormi. Certes, l'épuisement et le sommeil ne cessaient de le tirailler de part et d'autre, mais le blondinet luttait sans arrêt pour ne pas s'assoupir, ne serrait-ce que pour deux secondes. Il attendait le retour de Sacha en, d'une certaine manière, méditant. Toute cette histoire était insensée, comment s'habiller de la sorte et se faire entraîner, allez savoir où, tout en étant éveillé et sans s'en rendre compte. L'Israélien ne pensait pas avoir ingurgité tant d'alcool au cours de cette soirée, mais visiblement, quelque chose lui échappait, à lui comme à celui qui venait enfin d'atteindre sa majorité. Dans un sens, Rayan ne voulait pas y croire, tout était si improbable que cela ne pouvait lui arriver. Il avait déjà assez souffert, plusieurs jours plus tôt en la compagnie de son tortionnaire, un certain Russe dont il était tant attiré. Pas la peine d'en rajouter une couche avec Sacha. Pavel était déjà un grand problème en soi qu'il n'arrivait en rien à gérer parce que certains principes et certaines émotions venaient à le dépasser, alors s'occuper d'un tout autre problème plus complexe encore, s'avérait être une tâche dont l'étudiant en littérature se serrait bien passer. Les yeux clos, la porte s'ouvrit finalement, le matelas s'affaissa, mais Rayan n'arrivait pas à émerger. La peur grignotait ses entrailles et l'empêchait ne serrait-ce que de bouger la tête par peur de voir le terme mariage gravé au fer rouge sur le front du Sigma se tenant près de lui. Et finalement, ce poids se retira. Encore quelques instants et le bruit d'une valise qu'on tirait se faisait entendre. À quoi jouait donc ce petit ? Dans un mouvement brusque et tout aussi douloureux, le Delta leva la tête pour mieux l'entendre craquer, apercevant enfin un Sacha bien peu sûr de lui et surtout bien fuyant. « Tu crois que j't'entendais pas ? » Perdu, il ne faut pas jouer avec des forces qui te sont bien supérieures, l'on ne berne pas le roi du baratin si facilement, pire encore, l'on ne peut échapper à sa colère au moment de l'explosion. « Qu'est-ce que tu fais ? Tu t'en vas, c'est tout ? », lança-t-il tout en indiquant la valise que tirait le Sigma d'un geste du menton. Rayan se redressa enfin, prenant soin de s'assurer que sa serviette de bain était toujours correctement nouée autour de sa taille alors qu'il croisa les bras contre son torse, bloquant le chemin de Sacha, ce chemin qui allait le mener jusqu'à la porte de la chambre, autrement dit, jusqu'à la liberté. Ce petit ne s'en sortirait pas si facilement, Rayan exigeait des réponses à ses interrogations, et au pas de course, de préférence. « C'est toi qui organises tout ça, qui sème la zizanie et qui se tire comme un moins-que-rien ? J'espère au moins que toute cette histoire n'est rien de plus qu'une caméra cachée de tes petits camarades. C'est pas le moment de chercher les ennuis. » Comment expliquer cela à son frère jumeau, à sa mère qui devrait très bientôt le rejoindre ? Évidemment, garder pareil secret reviendrait au suicide, il était impossible de cacher un mariage foireux comme celui-ci. Y mettre un terme n'allait pas se faire en silence. Au plus profond de lui, le Delta espérait, une simple blague soigneusement arrangée. Et encore, le grand blond redoutait de possibles photos et vidéos qui pourraient circuler sur le net et engendrer de nouvelles rumeurs sur son compte. Le secret de sa relation brûlant avec un Gamma était bien gardé par du sable fin, mais si Sacha lui-même possédait déjà une photo des deux zigotos en tenues de cérémonie, sans doute que d'autres détenaient de précieuses informations à ce sujet. Il était cuit, ils l'étaient tous les deux, ne serrait-ce que par une image entachée. Ne manquait plus que la confirmation d'un mariage, et le tour était joué pour pourrir leur existence déjà désastreuse.

Le mal le rongeait. Colère. Colère. Au retour de Rayan, le rouquin n’eut aucun signe de surprise. Les poings se serraient si violement qu’il sentait ses ongles entrer dans sa chair. Quel sale hypocrite ! Sacha reposait avec toutes les précautions du monde son sac. Que l’engin tombe au sol dans un bruit sourd ne fut qu’une erreur de manipulation. Son sang pouvait-il bouillir ? Au vu de la couleur de son visage, on pourrait parier que oui. La fumée ne tarderait pas à s’échapper de ses oreilles. Sacha se sentait lentement glisser dans un état second !
Soudain, les mots de Rayan heurtèrent plus violemment sa sensibilité. Aussitôt, les poings de Sacha attrapèrent le col du Bêta pour venir l’agripper avec force et le faire pivoter contre la porte de la chambre.

« Arrêtes ça tout de suite, Rayan. » Grinça Sacha sans parvenir à desserrer la mâchoire.

Il était loin le petit garçon aux hurlements stridents. Le regard flamboyant rêvait de violence. Et les poings contre la chemise de Rayan menaçaient de déchirer ce bout de tissu. Seuls les rares innocents se surprendront de la nouvelle férocité de Sacha. Ceux qui ne savaient rien de son sport favoris, des brutalités qu’il avait connues depuis des années et de ses propres colères, pourraient tirer de méchantes hypothèses. Sacha avait grandi avec cette rage et cette capacité à faire mal. Il avait sublimé ses pulsions nocives par le biais de sports souvent violents, d’inventions parfois destructrices et de plaisanteries. Il avait tout fait pour calmer et taire cette partie de lui. Aujourd’hui, elle lui revenait en pleine face. Chassez le naturel, il revient au galop disait-on. On n’avait jamais autant eu raison. Mais pour Sacha, ce monstre en lui l’effrayait. Certainement avait-il eut Rayan par surprise. C’est ce qu’il préférait penser. Sacha ne cherchait pas à le blesser, jamais il ne pourrait faire ça à un ami. Pas encore, songeait alors une partie de sa conscience. Il souhaitait simplement arrêter les simagrées du Delta.

« Je t’ai forcé à rien. Alors la prochaine fois, si ca te fait autant chier de venir ici, tu te ramènes pas au lieu de profiter. Ras le cul de gens dans ton genre, maintenant ! »

Sacha recula, poussant Rayan par la même occasion. Il n’était jamais assez bien de toute façon. Que se soit pour ses parents, pour Catalina, pour ses amis. Assez de chercher à plaire et de récupérer que des reproches. Sa mère ne daignait plus prendre la moindre minute pour répondre au téléphone depuis le divorce. Son père passait son temps dans ses affaires et Catalina le menait en bateau. Il n'était pas assez idiot pour ne rien remarquer d'étrange. Il n'avait pas envie de le voir. Dans le fond, il n'avait qu'elle dans sa vie de merde. Personne ne semblait réellement prendre soin de lui hormis elle. Qu'importe si elle le faisait pour sauver les apparences. Il ne supportait plus la solitude. Son beau père était peut être le dernier des enfoirés, mais il avait toujours répondu présent lorsque Sacha avait eu des ennuis. Il venait le chercher à l’hôpital, il lui achetait ses divers traitements, le nourrissait et partageait un peu de son temps avec lui. Et si c'était pour le rabaisser, Sacha s'en fichait. Il y avait quelqu'un. La solitude était bien pire que le reste. Il détestait admettre que cet homme lui manquait à présent.

Il balança un paquet de papiers sur la table basse. Les réponses se trouvaient là. Véritable mariage ou non. Il serait fixé en les lisant. Sacha ne faisait jamais les choses à moitié. Pour s’assurer de l’état de ce mariage, il avait fait toutes les recherches possibles et imaginables : photo, vidéos et autre réjouissances. Après tout, autant avoir divers points de vus. Sacha demeurait de cet avis. Il saurait mieux en voyant plus. Il n'était pas le genre d'homme à avoir la foi. Il faisait parti des sceptiques: voir pour croire.

« Tout est dans la paperasse ! … Si tu sais encore lire. » Tonna Sacha en jetant un coup d’œil à la salle de bain.

A son tour, il voulait prendre une douche et si Rayan n’avait pas récupérer ses boutons de manchettes, il attendrait. Sacha ne les ramasserait pour sa tronche. Une douche froide lui ferait le plus grand bien. Il avait besoin d’une pause loin de son compagnon de chambré. Il ne supportait plus d’entendre le plus âgé se plaindre à longueur de journée comme si lui seul avait des ennuis, que le monde tournait autour de son petit nombril ou que la vie ne connaître rien de mieux que lui. Pour une fois, il prenait les devant, ordonnait et tapait du poing. Ce n’était pas pour autant qu’il se sentait bien dans ce nouveau rôle.