Il n'avait pas de cours cette après-midi, était resté aux côtés d'amis, ceux de sa promotion pendant l'heure du déjeuner, et avait ensuite posé ses royales fesses sur un des bancs de la grande bibliothèque universitaire. Les livres étaient restés ouverts sous ses yeux sans qu'il ne parvienne à comprendre la moindre phrase ; les mots collaient à sa rétine mais pourtant il ne les lisait pas, faisait face à ce qu'il jugeait être des livres remplis de pages blanches. Son stylo à la main ne trouvait pas d'autre occupation que de taper un rythme irrégulier sur la page tout aussi vierge d'un de ses carnets. Les étoiles aujourd'hui ne parvenaient pas à attirer son attention. Il ne pouvait pas se plonger dans les nébuleuses et les nova, laissait Copernic, Bruno et Galilée au placard et leur disait un vague attendez moi là, vous qui êtes morts, je reviendrai vers vous dès demain. Car aujourd'hui son esprit était ailleurs, occupé par une seule et unique pensée ; celle de recroiser Milla après deux années passées sans elle, après deux années à l'avoir détestée de tout son être, et décrété que plus jamais ses lèvres n'embrasseraient ses joues. Oh pourtant, il l'avait bien aperçue au détour d'un couloir, avait pu noté que ses cheveux avaient perdu leur roux au profit d'un blond, que ses sourires étaient toujours aussi lumineux ; elle qu'il avait longtemps considéré comme la lumière de son univers. Une étoile qui brillaient encore d'une faiblesse affligeante, une vers laquelle ses yeux ne se tournaient plus, si ce n'est dans un mouvement de colère. Milla partageait la même université que lui. Berkeley était bien assez grand pour qu'ils puissent poursuivre et terminer leurs études sans jamais se rencontrer dans un couloir. Les choses auraient pu se passer aussi facilement, dans le simple fait de s'ignorer. Milla, qui plus est, ne devait pas savoir qu'il était enfin revenu du Chili, qu'il était ici pour son master. Son frère, Matthew, qui lui avait glissé l'information au détour d'une conversation somme toute banale n'avait pas du rendre la pareille à sa jeune sœur. N'ayant jamais été mis au courant de leur relation pourquoi lui en aurait-il touché quelques mots ? Cela ne la concernait pas, cela ne l'intéresserait sûrement pas. Et pourtant. La relation d'une année, dissimulée aux regards était restée secrète des années durant, et même une fois les deux corps séparés, des kilomètres ayant remplacé chaque once d'amour qu'ils pouvaient se porter. Neal avait enfin décollé de son banc, avait rangé ses affaires sans vraiment prêter attention à ce qu'il faisait, et comme un automate s'était rendu vers le couloir menant à l'amphi dans lequel Milla suivait actuellement un de ses cours. C'est en entendant la clameur des voix de centaines d'étudiants se levant et quittant la salle qu'il se réveilla enfin. Sa décision était maintenant prise, il ne reculerait pas. Milla reviendrait dans sa vie, il mettrait de côté cette haine qu'il nourrissait encore aujourd'hui. Ne passerait pas outre, car il n'en aurait plus été capable, mais la ferait taire pendant une bonne période. Le temps de recoller les morceaux, de s'apprendre ou se ré-apprendre, voir la flamme dans ses yeux retrouver vie et danser au fond de ses pupilles. Il jouerait, s'excuserait, la ferait tomber amoureuse encore une fois car tel était son plan. Aveuglé par la colère, son objectif s'était formé rapidement dans son esprit, ne l'avait plus quitté depuis. C'était ça qui troublait ses révisions, son travail, ses observations et ses recherches. Ça qui bloquait le stylo dans sa main et refusait à ses doigts de s'agiter pour former des lettres. Il ferait souffrir Milla comme elle l'avait fait souffrir deux années auparavant. Il la séduirait, lui montrerait que personne n'était à craindre ici, que la colère l'avait totalement quittée, et la poignarderait enfin dans le dos. Car il voulait que ce désarroi dans lequel elle l'avait plongé, Milla le connaisse à son tour. Il avança un peu plus rapidement, frôla l'épaule d'une étudiante et sonda la foule sortant par petits groupes de l'amphi dans le but d'apercevoir Milla. Il la repéra enfin, l'ange blond se distinguant par ses éternels sourire, son immuable sourire ravi, et accéléra un peu plus. Il sortit son blackberry, faisant mine d'accrocher ses yeux sur l'écran et rentra enfin dans la jeune femme. La secousse le fit reculer d'un pas, et il redressa le menton en dessinant le masque de la confusion sur ses traits. « Merde, je suis vraiment désolé, je ne t'avais pas v... » acteur, il coupa sa phrase avant de l'avoir terminée, présenta des yeux ronds. « Milla ? » articula-t-il.

On ne pouvait pas dire que ma vie sentimentale était au beau fixe ces derniers temps. A vrai dire sur une échelle de zero à dix elle était plutot à moins soixante. Cela faisait maintenant quelques jours que je m'étais prise la tête avec mon meilleur ami Maël à cause de ma jalousie sur ses fréquentations. Depuis, je ne lui avais pas adressé la parole. C'était bien mieux ainsi d'ailleurs, cela m'avait permis de prendre du recule et de me rendre compte que je commençais à éprouver quelque chose pour lui. C'était tellement étrange. Pour moi on ne voyait cela que dans les films, les relations platoniques entre meilleurs amis. Eh bien non, cela m'était tombé dessus sans que je n'ai eu le temps de dire ouf. J'avais toujours eu tendance à prendre les choses à coeur et ma trop grande sensibilité me jouait des tours. Moi qui était de nature studieuse, concentrée dans mon travail, voilà que je n'arrivais plus à centrer mon attention sur mes études. Le froid polaire qui s'était installé entre mon meilleur ami et moi me préoccupait énormément. J'y pensais du matin au soir, voir même la nuit. Tout au long du cours de droit, je n'avais fait que de penser à autre chose. A vrai dire la seule occupation que j'avais eu était de regarder la pendule toutes les cinq minutes, gribouiller des choses diverses et variées sur mes copies au lieu de prendre correctement le cours. Bordel, cette attitude ne me ressemblait tellement pas. Mon désintérêt total des études ces derniers jours montrait à quel point j'étais soucieuse. La main me servant d'appuis tête, je me contentais de regarder un point fixe tout en agitant bêtement mon stylo entre mon pouce et mon indexe. Seule la sonnerie marquant la fin du cours me fit sortir de ma torpeur. La journée avait été terriblement longue et je n'avais qu'une seule envie : retourner dans ma chambre d'étudiante et ne plus en sortir. Ce soir, j'avais l'intention de jouer à World of warcraft toute la nuit afin de me défouler. Après avoir refermé mon sac de cours, je sortais de l'amphithéâtre accompagnée de quelques camarades. Alors que je ne prêtais pas attention à ce qu'il se trouvait devant moi, voilà qu'un violent choc au niveau de mon épaule se fit sentir. Face à la secousse je reculais légèrement. Alors que je m'apprêtais à ouvrir la bouche, aucun son ne parvint à en sortir. Mon cerveau venait de se déconnecter, il n'y avait ni son ni image. Il me fallut quelques secondes avant de réagir. « Milla ? » Je restais à le fixer, les yeux ronds comme des soucoupes. Etais-je en pleine hallucination ? Que fabriquait Neal ici ? N'était-il pas censé être à l'autre bout du monde en ce moment-même ? Je fus soudainement prise d'un sentiment de stresse, voir même d'angoisse. Un frisson remonta le long de ma colonne vertébrale, rapidement suivit d'un manque d'air. J'avais l'impression de commencer à étouffer. Je clignais plusieurs fois des yeux afin de reprendre le control de moi-même. « Qu'est-ce que tu fous là ?! » M'exclamais-je aussitôt. Seigneur, mon coeur battait à tout rompre. « En fait je n'ai même pas envie de savoir. » Ajoutais-je rapidement. Il fallait que je fui rapidement. Je me sentais brusquement oppressée parmi les murs de l'université. Vite, il fallait que j'aille dehors, que j'aille prendre l'air. Neal était le dernier visage que je voulais revoir. La dernière fois que nous nous étions vus, cela c'était mal terminé. J'avais eu un mal fou à le rayer de ma vie et maintenant que je pensais avoir guéri mes blessures, le voilà qui venait tout foutre en l'air. Qu'il aille au Diable et qu'il me fiche la paix. D'un pas pressé je traversais le long couloir marbré, bousculant au passage quelques personnes. J'avais l'impression d'avoir la Grande faucheuse à mes trousses. Pour le coup, j'aurai vraiment aimé que Maël soit dans le coin. J'ouvrai d'un geste brusque la lourde porte vitrée qui donnait sur l'extérieur du campus. La luminosité extérieure me brula immédiatement la rétine. Plissant les paupières, je ne m'arrêtais pas pour autant dans ma fuite. Je connaissais Neal et je n'avais pas la moindre envie qu'il me pourrisse la vie. Il m'avait déjà fait assez de mal comme cela.

Il avait beau s'être préparé à l'avance, chez lui ou pas plus tard que tout à l'heure dans la bibliothèque universitaire, avoir répété ce qui allait se passer, le choc de son épaule contre son épaule, les yeux surpris et les regards gênés, les premières paroles et tout ce qui allait suivre cet instant, revoir Milla et sentir sa peau contre la sienne était un petit choc. Et encore, pouvait-on parler de choc quand on avait l'impression de faire face à un nouveau tremblement de terre ? Neal ne se connaissait pas tant de talents d'acteur, mais garda plaqué sur le visage cet air de franche surprise de la retrouver là, de retomber sur elle dans ce couloir. Comme si tout cela n'était dû qu'à un pur hasard, comme si le cosmos s'était joué d'eux et les avait lancé l'un contre l'autre. Il lui offrit des yeux ronds, le temps de prononcer son prénom, et passa ensuite sa main sur sa nuque, mimant le désarroi le plus total. Si lui gardait cet air surpris, Milla de son côté semblait à bout de souffle. Il avait eu le temps de s'imaginer cette scène, savait qu'elle étudiait dans la même université et n'était donc pas pris en traitre. La jeune fille de son côté, faisait face à ce qu'elle n'avait sûrement jamais imaginé, dans ses rêves ou ses cauchemars. Une brève seconde, Neal s'accorda le droit de remercier mentalement Matthew, un de ses meilleurs amis, de l'avoir mis au courant à l'avance. Qu'aurait-il fait sinon, s'il était tombé sur Milla sans l'avoir vue venir ? Le choc de la surprise aurait été trop grand sûrement. La colère serait remontée non pas épars, mais d'un bloc et aurait fait bouillir son sang, fait battre son cœur dans ses tempes. Est-ce que cela ne lui arrivait pas malgré tout aujourd'hui ? Son cœur qui ne suivait pas le jeu de l'acteur se mit à frapper un peu plus fort dans son torse. C'était donc ça, qu'il ressentirait maintenant quand il la verrait ? Un mélange de colère et de regrets ? La voix de Milla le sortit de sa courte rêverie, le rattrapa à deux mains pour le concentrer sur la scène présente, sur ce qui se passait sous ses yeux et qu'il avait lui même provoqué. Pas de marche arrière maintenant, et interdiction au faux pas. Neal, s'ordonna-t-il sans un bruit, garde le menton haut, et ne cède pas à l'envie de lui hurler dessus, ou de tourner les talons pour rentrer chez toi. Il entrouvrit les lèvres, pour répondre à sa question, mais déjà la jeune femme avait filé, glissait devant ses yeux pour s'enfuir de l'université. Elle mettait les voiles, et lui se retrouvait à la regarder partir dans le couloir, comme coincé sur le carrelage du couloir. Il se secoua rapidement, accéléra le pas pour la rattraper, ou au moins ne pas la perdre des yeux. Milla venait de sortir du bâtiment, et Neal pensa que l'air lui ferait également le plus grand bien. A sa hauteur, il tendit une main pour la poser sur son épaule, ou pour encercler son bras. Lui faire signe de s'arrêter, l'obliger à l'écouter au moins quelques secondes et lui faire face. Il se ravisa avant que ses doigts n'effleurent sa peau, et se contenta de s'arrêter derrière elle, d'écarter les bras, les paumes ouvertes. « Attends, laisse moi au moins parler. » il haussa les épaules, laissa entendre un soupir. « Je suis aussi surpris que toi Milla, je ne pensais pas une seconde te croiser dans les couloirs de cette université. » Après tout, les universités ne manquaient pas à New York. « Regarde moi Milla. » lui demanda-t-il d'un ton plus doux, chassant toute trace d'énervement dans sa voix. A l'intérieur, cependant, son sang brûlait comme jamais. « On semble étudier dans la même université, tu ne m'éviteras pas tout le temps. » il chercha à sourire, un peu, et ses lèvres s'étirèrent légèrement. Ce n'était pas convaincant, il lui offrait une sorte de sourire timide, mais c'était déjà un début. Autant ne pas trop en faire, autant jouer la carte de la surprise et de la douceur, plutôt que de la provoquer et la brusquer. Milla avait toujours eu l'âme douce, et comme un petit animal, aurait préféré fuir qu'affronter les reproches en plein milieu du campus, entourée par tant de personnes.

  Trois ans. Cela faisait à présent trois longues années que je n'avais pas croisé mon ex petit-ami et durant tout ce temps, j'avais d'ailleurs évité de penser une seule seconde à lui. L'avantage était que personne n'avait été au courant de notre relation. Je n'avais donc pas besoin d'entendre les commentaires de mon frère ainé sur son meilleur ami qui était parti à l'autre bout du monde. Tout du moins c'était ce que je pensais, juqu'à ce que je retombe sur lui à l'université. Mais qu'avais-je bien pu faire au bon Dieu pour mériter tout cela ? Ma vie était un putain de champ de ruines ces derniers temps. Il paraît que ce genre de truc arrivait à tout le monde. Nous avions tous nos mauvaises passes. Eh bien il me tardait de passer la main à quelqu'un d'autre. Comme si je n'avais pas assez de mes problèmes avec Mael pour que mon ex petit-ami vienne en rajouter une couche. A la limite si je m'étais préparée à le revoir, peut-être que la pilule aurait été moins difficile à avaler, mais là j'étais vraiment prise au dépourvu. J'étais censée dire ou faire quoi au juste ? En croisant ses pupilles, j'avais l'impression de faire un bon des années en arrière. A vrai dire je m'étais prise une grosse claque en pleine gueule. Neal était la personne que je désirais le plus au monde oublier, et alors que je pensais l'avoir fait, voilà que son visage charmeur venait foutre la merde. Je le connaissais trop bien pour savoir qu'il ne se contenterait pas de simplement m'avoir foncé dedans. Non, Neal n'était pas du genre à laisser passer les choses sans rien dire. Il fallait qu'il remue le couteau dans la plaie encore et toujours. C'est pourquoi j'avais préféré fuir aussi vite que possible de lui. Il m'avait déjà brisé, je ne voulais pas que cela recommence une nouvelle fois. Qu'il retourne au Chili manger des Fajitas voilà tout. Les pensées se bousculaient à toute vitesse dans ma tête, et en même temps je n'arrivais plus à réfléchir. Peut-être était-ce du au fait que je me sentais oppressée. Ayant le souffle court, j'avais besoin d'aller prendre l'air. Je n'avais jamais été une fille méchante et ça, Neal le savait parfaitement. Ne sachant pas vraiment si j'avais la force de l'affronter, je préférais largement fuir. Eviter ce genre de confrontation était la meilleure des choses possibles. Oui, j'étais parfaitement déterminée à faire comme si tout cela n'avait jamais existé. Il allait sortir de ma vie aussi vite qu'il y était entré point barre. J'entendais des bruits de pas derrière moi, tout aussi rapide que les miens. Je savais très bien que Neal me poursuivait. « Attends, laisse moi au moins parler.  » Le son de sa voix me crispa. Je m'arrêtais net. Avais-je vraiment envie de l'entendre ? Je ne savais plus ce que je voulais ou non. J'étais totalement perdue. «  Je suis aussi surpris que toi Milla, je ne pensais pas une seconde te croiser dans les couloirs de cette université.  » Un frisson remonta la long de ma colonne vertébrale. Mon corps entier exprimait l'angoisse, le stresse que je pouvais avoir en moi. « Regarde moi Milla. On semble étudier dans la même université, tu ne m'éviteras pas tout le temps.   » J'étais restée dos à lui. Je ne savais pas comment réagir, quoi faire. Mon coeur battait à tout allure et mes mains étaient moites. Je ne voulais pas qu'il y ait une scène digne d'un film tragique devant la moitié des étudiants du campus. Mon pas pressé en avait déjà interpellé quelques uns. Ma main droite serrant fermement la bandoulière de mon sac, je me décidais à me retourner afin de faire face à Neal. Ma mine était crispée et je n'avais pas la moindre envie de répondre au petit sourire qui s'affichait sur son visage. Je n'oubliais pas ce qu'il s'était passé, et je n'oublierais jamais. Il fallait que je me fasse une raison. « J'ai bien réussi à ne pas penser à toi durant tout ce temps. Alors t'éviter ne devrait pas être trop difficile. Au pire je ferai comme si tu n'existais pas. » Répondis-je sur un ton calme mais sec. « Tu as été très clair il y a trois ans au café. Quand tu m'as dit d'aller me faire foutre. » Dis-je tout en sentant la colère monter en moi. « Alors moi aussi je vais être très claire Neal, FOUS MOI LA PAIX ! » Je soutenais son regard avant de faire une nouvelle fois demi-tour.

Il paraît que les histoires d'amour se terminent toujours mal ; et dans leur cas, on ne pouvait faire autrement que de donner raison à ce dicton déprimant. Les débuts avaient été un peu cabossés, ils s'étaient cachés, avaient feint la totale indifférence quand leurs entourages respectifs les précédaient, s'étaient jetés des regards en coin et des sourires complices, les mains glissaient parfois l'une sur l'autre pour laisser le temps aux doigts de se nouer, comme la promesse, le témoin qu'il existait bien quelque chose sous ce mensonge. Quelque chose de vrai, quelque chose de fort, quelque chose qui avait fait battre son cœur et troublé toutes ses pensées pendant ces longs mois passés aux côtés de Milla. Mais si quelqu'un avait révélé à Neal la fin de leur histoire, si quelqu'un lui avait raconté comment son cœur allait se briser en deux, et comment la colère viendrait rassembler ces deux morceaux alors il aurait fui à toutes jambes avant même le premier baiser. Il n'aurait pas posé un regard sur cette jeune fille qui l'avait ensorcelé d'un sourire, car personne ne voulait de ce genre de fins. Les histoires d'amour se terminent mal oui, mais pas toutes au même degré. Et si Neal s'était accordé le droit de jugement, il aurait pu clairement dire que dans son cas, le degré avait été assez important. Pire même, si l'on pouvait dire les choses telles qu'elles sont, cette fin n'aurait pas pu être plus merdique. Lui qui était déjà la grande déception de ses parents, et avait su en jouer, su s'en détacher pour vivre pour lui, avait également connu la déception dans ses premières histoires d'amour. Était-il maudit ? Se demandait-il parfois. Mais Neal n'avait jamais su se remettre en question, et chassait donc cette idée d'un soupir las. Le problème c'était les autres. Le problème venait toujours des autres, et son problème aujourd'hui fuyait à toute jambes avant qu'il ne la rattrape. Il ne s'était pas attendu à une réaction différente, ne l'avait pas imaginé lui offrir de grands sourires, ni même lui sauter dans les bras. Elle n'était pas heureuse de le revoir ; elle était même troublée par cela, et il ne pouvait pas lui jeter la première pierre. Lui de son côté luttait contre l'amas d'émotions contraires qui animaient maintenant son être. Allez Neal, reste concentré mon grand, et use de tous tes talents d'acteur pour être certain qu'elle ne fuit pas plus loin, qu'elle ne disparaisse pas au détour d'un couloir, ne se fasse pas étouffer par la foule des étudiants et s'échappe à ton regard comme à tes mots. Elle hurla, se retourna et lui ne bougea pas de sa place. « J'étais en colère Milla. Tu ne m'avais pas mis au courant, tu ne m'as même pas laissé le choix. Le garder, ou t'accompagner. C'était notre décision à tous les deux, tu n'étais pas toute seule dans cette histoire. » souffla-t-il sans une once d'énervement dans la voix. « Je t'en ai voulu, je t'en ai même voulu à mort. » Il leva les yeux au ciel, avança de quelques pas pour lui barrer la route ; se mettre face à elle pour l'empêcher d'avancer plus. Il posa ses deux mains sur ses bras, pour, s'il ne pouvait pas l'obliger à le regarder droit dans les yeux, au moins la forcer à l'écouter. « Et ensuite c'est moi-même que je me suis mis à blâmer. De t'avoir dit ça, de ne pas avoir été là pour te soutenir … après. » Ses bras retombèrent le long de son corps. Ces paroles, elles lui écorchaient la gorge. Ces paroles, il aurait aimé les ravaler et les massacrer à coups de pieds. Neal n'en pensait pas un mot, Neal rejetait en bloc ce qu'il venait de dire. Il lui en voulait toujours ; Milla n'était qu'une égoïste qui ce jour là, au café, lui avait planté un couteau dans le dos, et avait laissé apparente une plaie qui peinait encore à se refermer et sur laquelle il venait de lancer du sel. « Je suis désolé Milla, sincèrement. » Neal fit un pas sur le côté, désigna d'une main le chemin allant vers l'extérieure de l'université. « Maintenant si tu veux t'en aller, je ne te retiendrai pas ; mais sache que je m'en suis voulu, et je m'en veux encore depuis ce jour là. » Les regards qu'ils pouvaient susciter, il s'en fichait grandement. Qu'ils les attirent ne lui posait aucun problème, car toute son attention était portée sur le moment présent, et sur la réaction de Milla. Est-ce qu'elle allait enfin se calmer ? Est-ce qu'elle allait au moins répondre et la conversation allait s'entamer ? Ou est-ce qu'elle allait fuir de nouveau, s'en aller purement et simplement et mettre à mal le début de son plan de vengeance ? Il serra la mâchoire, sentit ses muscles se contracter. Il aurait été mentir que de dire qu'il était maintenant tout à fait à l'aise ; car si Neal jouait parfaitement le jeu, Milla pouvait très bien ne pas accrocher.

Ils n'étaient plus ensemble, oui, ils s'étaient séparés quelques semaines avant qu'elle ne décide d'avorter. Ils n'étaient plus un couple car leur duo s'était lentement dissout, ne supportant plus les multiples disputes, les crises de jalousie, les regards chargés de moqueries, le manque d'elle et de lui quand il quittait New York pour retourner ici à Berkeley, l'inquiétude qui avait finalement laissé la place à une sorte de détachement lâche, se tournant l'un l'autre le dos pour profiter de leur jeunesse sans se ternir enfermés dans un couple. Tout cela avait détruit ce qu'ils avaient sûrement formé trop rapidement, cette histoire qui à peine débutée était déjà condamnée à l'échec. Il n'avait pas voulu y croire, s'était rendu aveugle et avait avancé quand même à la recherche de Milla ; il voulait être avec elle, qu'importe la différence d'âge, qu'importe si, s'il l'avait découvert, son meilleur ami l'aurait maudit sur des générations. Il l'avait aimée, et s'il pouvait rejeter l'entière faute sur la jeune femme, ne pouvait pas se mentir sur ce point. Bien sûr qu'elle était trop jeune pour avoir un enfant ; lui aussi. Il n'en avait pas voulu, mais aurait aimé avoir le droit de le décider ou non. Neal fronça légèrement les sourcils, glissa une main sur sa nuque en laissant entendre un léger soupir. « Tu ne l'as pas fait toute seule cet enfant Milla. Je ne t'aurais pas forcé la main, je ne t'aurais pas dit de le garder si tu ne le voulais pas. On en aurait discuté, mais tu ne m'as même pas laissé cette opportunité là. Tu m'as enlevé le choix et tu m'as laissé au pied du mur. Je n'avais plus qu'à hocher la tête et accepter. Ce que je te reprochais ce n'est pas d'avoir avorté, c'est de me l'avoir caché. » Et pour une fois, la vérité s'échappait clairement de ses lèvres. Se retrouver au pied du mur l'avait laissé désorienté, elle lui avait retiré le choix en claquant simplement des doigts. Des droits, il en avait bel et bien sur cet enfant. Au moins le droit d'en discuter avant. Neal eut un bref moment de doute, la jaugeant du regard, ne sachant pas si elle s'enfuirait maintenant, ou si elle resterait près de lui. Si elle décidait de partir, allait-il lui courir après ? Allait-il remettre en place une de ces combines dignes d'un adolescent, lui rentrer dedans, la croiser au détour d'un couloir, se retrouver comme par hasard devant la porte de son appartement pour qu'elle daigne de nouveau lui adresser le moindre regard, la moindre parole ? Ou est-ce qu'il ne serait pas préférable pour tout le monde que l'on s'arrête maintenant, qu'elle fasse machine arrière et se perde dans la foule des étudiants, et que lui tourne enfin la page, une bonne fois pour toute. Il n'est jamais bon de se plonger dans les fantômes du passé, disait de vieilles croyances populaires, de ressasser en vain ce qui s'était déjà passé et ne pouvait alors plus se dénouer, vivre dans des regrets dont on ne maîtrisait rien et qui vous laissait en proie à une rage froide. Mais non, elle restait là, affichant une mine désorientée. Neal mordit l'intérieur de ses joues, pour ne pas sourire, ou pour ne pas ressentir une pointe de désarroi devant cet air qui prenait place sur le visage de celle qu'il avait pourtant aimé. La commissure de ses lèvres s'étira cependant un instant, dans un sourire doux. « Je pensais pas te recroiser un jour non plus. Je ne savais même pas que tu songeais quitter New York. » S'il avait du lancer les paris, il aurait plus songé à la revoir un jour dans les rues de Manhattan, cela lui aurait semblé plus logique. Il hésita un instant, glissa ses deux mains dans ses poches. « Tu voudrais pas... » soupira et se secoua un peu. « qu'on aille prendre un verre ? Je t'offre un café en ville, on sera mieux qu'ici. » Il leva le menton, en glissant un regard autour d'eux, les étudiants se pressant, ou stagnant le temps d'échanger quelques mots avec leurs amis. « On sera mieux ailleurs pour discuter. »