Ca n'a rien à voir avec sa tenue mais y a des fleurs partout alors

« Veux-tu m’épouser ? »

L’affaire débutait ainsi. J’aurais pu vous conter l’histoire d’une naïve jeune princesse en attente de son prince charmant, une donzelle en détresse, oppressée par le courroux d’un frère bafoué d’avoir à partager sa famille avec une intruse. J’aurais pu oui, vous narrer les histoires d’une enfant qui avait trop grandi et oublié de laisser derrière elle ses rêves de petite fille. Alors laissez-moi, plutôt, vous expliquer comment tout avait commencé. Revenons en arrière.

Lucie n’avait ni l’allure d’une princesse, ni les manières digne d’un membre du clan royal. Lucie connaissait la vérité sur la vie. Des proches avaient péri autour d’elle sans qu’elle ne parvienne à tâcher sa vision du monde. Les traces de son passage sur Terre seraient trop faibles pour que l’on se souvienne d’elle, pensait-elle souvent. Aussi, plutôt que de s’acharner à devenir la plus grande et la plus forte, Lucie réalisait ce qu’elle faisait de mieux pour briller, se mettre dans l’ombre d’une personne qui étincelait déjà de mile feux !
Se recherche n’avait rien de banal. En avoir conscience annonçait le premier pas vers la guérison. Un temps, son choix se portait sur un Iota populaire, apprécié et chéri au vu du nombre de personnes tournoyant autour de lui. Mais rapidement d’autre individu commencèrent à se frayer un chemin dans son classement. Entre les hommes déjà en couple, les gros lourds et autres petites tâches sur le tableau, Lucie fini par reporter son choix sur Rayan. Il ferait le petit ami idéal. Beau, aisé et intelligent. Il gagnait la palme d’or.

Le problème de taille restait la façon de l’aborder. Lucie avait imaginé tant de méthodes, tant de plans, durant la nuit qu’elle n’avait pas dormi. Pour la peine, Lucie avait mis en application l’ensemble des conseils offerts par sa mère adoptive. La starlette, certes très peu connue ailleurs qu’en Europe, avait un goût pour le luxe et la mode particulièrement prononcé. Elle avait fait le choix d’inculquer à sa fille les principes de la beauté chez une femme. Habituellement peu soucieuse de ce genre de chose, Lucie s’appliquait aujourd’hui. Le maquillage soulignait son regard, bien qu’il se montrait un peu trop lourd. Le fond de teint se calait avec perfection sur sa peau. Pour finir le rouge à lèvres lui offrait un côté pulpeux légèrement surfait. Même s’il manquait clairement d’expérience, l’ensemble restait harmonieux.  Pour la tenue, la demoiselle n’avait jamais été particulièrement pudique et arborer une petite jupe et des talons hauts ne la dérangeaient en rien. Après tout, le seul problème serait la démarche et la discrétion en prime du manque flagrant de vitesse. Les cheveux brossés, lissés puis coiffés retombaient contre ses épaules dans un ordre parfait. Le coiffage restait une des rares choses qu’elle maîtrisait.
Les volants de sa petite robe caressaient le dessus de ses genoux à chacun de ses pas. La tenue restait sage, peut être un peu trop « petite fille à papa », mais après tout, elle ne faisait que forger ses armes. Il lui fallu cinq minutes pour trouver Rayan à la sortie de sa maison de confrérie et deux heures pour se décider à l’aborder. Le suivre comme un petit chien restait pesant. Aussi, quand il se tourna vers elle, le fond de teint ne servit à rien pour cacher le rouge de ses joues, la moiteur de ses mains et le malaise dans son regard. Sans fondre pour autant, elle prit une profonde inspiration.

« Veux-tu m’épouser ? » Finit-elle par demander de but en blanc en braquant sur lui un regard pétillant.
Voilà, c’est ainsi que tout commence. Elle est loin, très loin votre histoire d’amour puant de romantisme.

Vas-y que j't'envoie du rêve   

Etre Delta, c'est tout un art. On ne s'improvise pas Delta, on l'est à la naissance, mais dans tous les cas, on ne le devient pas, même avec un entraînement des plus intenses. Alors évidemment, que le Rayan Clives aime se promener torse nu à travers les différents couloirs de la confrérie afin d'exhiber son corps de rêve aux demoiselles Bêta. Et c'est d'ailleurs ce qu'il est en train de faire, tout en charmant les gentes dames qui sont en pleine discussion maquillage et autres produits de beauté. Le pire, c'est que le Rayan, ça l'intéresse une telle discussion, lui qui aime prendre soin de sa peau digne de celle d'un bébé. Légèrement halée sans la moindre imperfection, aussi douce que la caresse d'une plume. Alors que les demoiselles finissent par se rendre en cours, le jeune Clives retourne dans sa chambre pour enfiler une chemise bleu foncé, quittant à son tour la confrérie dans le but de... très bonne question. Il n'a pas encore cours. À défaut, il a faim. Et hors de question que ses lèvres ne touchent l'affreuse nourriture de la cantine, alors évidemment, le bras-droit de la confrérie se met en chemin pour l'Albatross, autrement dit, le café/bar de l'université qui offrait toutes sortes de boissons et de douceurs à longueur de journée. Cela lui était d'ailleurs déjà arrivé d'y rester une grande partie de l'après-midi afin de s'avaler différentes pâtisseries et différentes boissons chaudes tout en se concentrant sur son boulot à faire. Le problème étant qu'aujourd'hui, comme cela était le cas depuis quelques jours maintenant, il sentait une étrange présence derrière lui, comme une seconde ombre. Rayan l'avait déjà repéré, cette demoiselle qui ne cessait de lui courir après à longueur de journée. Pourtant, on ne pouvait pas la qualifier de véritable canon, elle n'avait guère la dégaine d'une véritable Bêta, ou encore mieux, d'une mannequin, mais elle avait cependant un visage à en faire fondre plus d'un, sauf que le jeune homme, il est un tantinet différent face à la beauté de cette dernière, sans nul doute parce qu'elle est trop coincée pour se jeter à son cou comme le feraient les autres femmes qui aimeraient passer un peu de temps avec le nouvel assistant de Joe Shark. Après encore quelques pas, le Delta finit par s'arrêter en fronçant les sourcils et sans plus attendre, se retourna à la vitesse de l'éclair, faisant ainsi face à celle qui ne cessait de marcher dans ses pas. Vous connaissez les prisonniers qui ont un boulet accroché au pied ? Et ben... c'est exactement l'impression qu'a le jeune Clives ! « Bon, c'est quoi ton problème à toi ? J'aime bien qu'on me lèche les bottes, mais y'a des limites ! » Ça va bien pendant deux minutes, mais après, ça finit par l'énerver, même s'il rêve constamment d'être pourchassé par une horde de mannequins en sous-vêtements. Et soudain, l'étudiant en littérature se fige. Plait-il ? « Veux-tu m'épouser ? » Elle n'est pas sérieuse, si ? Le temps semble s'être arrêté et c'est à peine si le Delta respire encore, jusqu'à ce que finalement, au bout d'une trentaine de secondes, il ne se mette à rire comme un profond débile. « KENZOOOO ! Sors de là ! C'est bon, je sais que c'est toi ! J'ai vu les caméras cachées, t'es trop nul pour ça ! » Et il rigole, encore et encore, persuadé qu'il s'agit d'une supercherie de la part de son frère jumeau. Cela ne l'étonnerait guère, à dire vrai. « Désolée, chérie, mais mon frère à très mauvais goût en matière de femmes. T'es peut-être son genre, mais pas le mien, alors va faire mumuse avec un autre guignol. » Compris, fillette ?

Moi aussi je te vend du rêve!! Aller! Un petit bisou! BISOU!

L’histoire aurait pu s’arrêter là. Il aurait pu ne jamais se retourner, ne jamais la remarquer. Aujourd’hui pourtant, en plus de passer pour une psychopathe, elle avait été vud par un beau garçon. Cependant, le jeune homme avait d’autres préoccupations en tête que celles attendues par Lucie. Heureusement, la volonté ne manquait pas à la jeune femme. Elle avait su la cultiver au fur et à mesure de ses épreuves, une façon de compenser son manque de confiance en elle. Pourtant un doute persistait. Comment pourrait-elle obtenir une famille si elle ne parvenait pas à ramener un homme bien sous tous les angles à la maison ? Comment pourrait-elle s’accomplir en tant que femme si l’homme en question lui riait au nez ? Loin de se formaliser aux propos du garçon, Lucie songea un moment qu’il devait être le genre d’homme à aimer les fleurs, les balades romantiques ou même les longues discussions au bord de la mer. Il avait besoin d’apprendre à la connaître.

« Je m’appelle Lucie. » Poursuivit-elle d’une voix chevrotante comme s’il avait été question de prononcer des mots magiques capable de le faire tomber amoureux. « J’ai 18 ans et je suis née en France. »

Comme si l’accent n’avait pas suffit à le savoir. Ses « r » qui raclent et le « th » qui se prononçait toujours ou presque comme un « t ». Malgré des années passées en Angleterre, cette prononciation, typiquement française, ne s’était jamais effacée. Mais Rayan semblait n’en avoir rien à faire de ses babillages et ses digressions. Aussi, Lucie prit les devant et commanda une boisson : un grand lait fraise et  une autre pour Rayan. Trois petits pas plus tard et elle poussait la chaise en face du Delta et lui tendit le verre qu’elle avait prit pour lui. Attablé le garçon semblait plus occupé à manger qu’à relever le nez sur elle. Peut être qu’il attendait du monde. Pourtant, passer inaperçue avait toujours été facile pour elle. Peut être pas depuis toujours après tout. Lorsqu’elle était avec Misty, la solitude ne s’installait jamais bien longtemps. Sa sœur était là pour elle. Aujourd’hui, Lucie restait l’unique survivante et la solitude la saisissait trop souvent. Malgré tout, le sourire ne la quittait pas, éternel compagnon. En silence, elle observa les faits et gestes du garçon, comme pour mieux le déchiffrer, mieux le comprendre. La patience restait une autre qualité de la jeune femme. Persévérance, patience, douceur et bonté… Tout le monde n’était pas né pour devenir un requin, un play boy ou une star. Il y avait les autres, les personnes dîtes normales. Sans elle, les autres comme Rayan n’aurait plus personne à faire baver, plus personne à dominer par une quelconque supériorité physique.

Rayan s’est arrêté de rire le temps de quelques instants, prenant alors conscience que finalement, tout ceci n’est pas une farce organisée par maître Kenzo et que cette fille semble bel et bien sérieuse. Non, mais ça ne va pas ? N’importe qui de censé saurait que le Rayan n’est en rien un homme à marier, qu’il ne peut être fidèle à la même femme plus de cinq minutes. S’il a le physique parfait, il n’est en rien l’homme idéal à proprement parler. C’est un homme borné qui ne se laissera jamais marcher sur les pieds, qui estime qu’il n’a pas d’ordres à recevoir, encore moins de la part d’une femme et qui n’appartient à personne. Alors cette jeune étudiante devrait plutôt rebrousser chemin avant de se retrouver la tête enfoncée à plus de dix centimètres dans la terre. « Ah oui, c’est cool. » Que tu t’appelles Lucie, que t’aie 18 ans et que tu sois née en France. Autrement dit, le Clives s’en contre-fiche comme de l’an quarante. Il s’autorisa à dévisager une dernière fois cette fameuse Lucie des pieds à la tête avant de tourner les talons et de reprendre la route jusqu’au café où il n’hésita pas à demander deux donuts et un muffin. Pas trop mal pour commencer. Au vu de son corps d’Apollon, on pourrait croire que le Delta suit un régime très strict, mais il n’en est rien. Certes, il fait attention à ce qu’il mange, mais il adore les petits excès et à cette grande chose de ne pas prendre un seul gramme dés qu’il mange un petit carré de chocolat de trop. Puis, n’oublions pas qu’il compense avec de nombreuses séances de musculation et de fitness, ainsi que le basket et plus particulièrement le sport de chambre. Sans plus attendre, il s’installa à une table et dévora déjà une bouchée d’une des petites douceurs qu’il avait choisies, et un instant plus tard, voilà que la fameuse Lucie revenait à la charge, deux boissons à la main. Oh la blague. Comme si de rien n’était, l’étudiant en littérature continua à manger. Moment le plus gênant de sa vie, elle était là, à le fixer, sans jamais le lâcher du regard ne serrait-ce que pour une courte seconde. « Bon, tu ne sembles pas prête de me lâcher… », maugréa finalement le bras droit. « Moi, c’est Rayan, j’ai vingt-deux ans et j’suis un peu trop vieux pour toi, alors tu devrais plutôt t’intéresser à quelqu’un d’autre… » Mais qui ? La solution était toute trouvée pour un homme qui avait un tout jeune poulain sous son aile. « J’ai un ami qui a le même âge que toi, il s’appelle Sacha, il devrait te plaire. » Et vas-y que j’essaie de me débarrasser de toi en douceur. Le Rayan n’aime pas trop les pots de colle, notamment lorsqu’ils ne sont pas trop à son goût. « D’autant plus qu’il est encore plus beau que moi… » Chose impossible, bien évidemment, puisqu’il n’y a pas plus beau que Rayan sur Terre, pas même son jumeau, mais pour le coup, le jeune Clives serait prêt à dire n’importe quoi pour que ce pot de colle arrête de le suivre comme son ombre. Ça ternit son image.

Il parlait !! Ses premières paroles rencontrèrent un hochement de tête enthousiaste ! Evidemment qu’elle n’était pas prête à le lâcher. Lucie White- Da Russo pouvait être un véritable pot de colle. Son regard pétillant, son sourire blanc et les papillonnements de ses paupières démontrèrent tout l’intérêt qu’elle portait à Rayan. Le verre devant elle ne servait à rien, la jeune femme préférait boire les paroles de Rayan.  Elles semblaient bien meilleures qu’un lait à la fraise.

« J’ai regardé tous les garçons ici et y en a pas un seul plus beau que toi. » Rayan pouvait se pavaner comme un coq à présent. L’expression de Lucie étincelait avec tant d’intensité que les martiens ne tarderaient pas à débarquer alertés par l’éclat de Lucie White ! Quoiqu’à bien contempler Lucie, certains pouvaient s’interroger. Est-ce qu’elle était un extraterrestre ? Flatté par une demoiselle trop jeune pour savoir complimenter comme il le faudrait, Rayan saurait bientôt redescendre sur terre. « Aussi beau mais pas plus beau. »

Ce que Lucie donnait, elle le reprenait sans même s’en apercevoir. Naïve à souhait, elle pouvait vous dire tout ce qui lui passait par la tête sans même le réaliser. La vérité méritait d’être énoncée après tout.  

« Je suis en biologie mais je sais que toi tu suis des études en littérature. » Ca pouvait être inquiétant de voir à quel point elle semblait renseignée sur lui. Mais après tout, Rayan était le bras droit des Delta et il était facile d’apprendre tout et n’importe quoi à son sujet.  La littérature pouvait plaire à Lucie. C’était d’ailleurs un détail qui avait orienté le choix de Lucie pour Rayan. La jeune française avait toujours aimé lire, parfois, elle écrivait quelques poème ou lettre qu’elle rédigeait pour sa défunte sœur. Ce qui était au départ thérapeutique s’était transformé lentement en passion secrète. Personne n’avait jamais eut le droit de plonger le nez dans ses écrits. « Tu as déjà publié tes écrits ? » Qu’elle puisse fouiner pour aller lire ce qu’il pouvait avoir rédigé. « Je t’ai pris un lait fraise Tagada, parce que ton nom de famille c’est presque comme les bonbons Haribo ! »

Quel humour ! Il décape ! Et si elle semblait autant s’intéresser au Delta ce n’était pas pour rien. Lucie pouvait paraître idiote et naïve mais elle savait que l’homme, en règle général,  appréciait parler de lui et être écouté. Peu de monde savait réellement écouter quelqu’un parler. Lucie en avait fait sa spécialité. Même si, pour Rayan, elle avait fait l’effort de vaincre sa timidité maladive. Pour compenser le manque de confiance en soi, elle avait opté pour l’excès, cette forme d’hystérie et d’exagération qui lui permettait de se tenir face à Rayan sans ne plus oser dire un seul mot. Malheureusement, la nervosité se remarquait sans peine, presque autant que son mal être. Les doigts entortillaient inlassablement sa serviette. Le regard, même s’il se concentrait sur Rayan, évitait soigneusement de croiser les yeux de son interlocuteur. Le rouge sur ses joues ne cessait de croître. Et pour finir la position de son corps entrainait un léger tassement, comme si elle se tenait prête à fuir d’une minute à l’autre.
Malgré tout, Lucie pétillait. Un regard brillant, un sourire à craquer et une joie débordante contrebalançaient le malaise.

À l'observer plus attentivement, Rayan se disait qu'il était dans une merde pas possible, que la jeune femme ne ferait que lui coller la honte de sa vie en ne cessant de lui tourner autour, au point que tout le monde finirait par croire qu'ils étaient ensemble. Et donc, cela annoncerait la fin du règne du prince Clives. Sans une dizaine de filles prosternaient à ses pieds chaque jour, il n'est plus rien, et seule l'option du déménagement se présentera au jeune étudiant, bien qu'il lui semble à présent impossible de s'éloigner de son frère. Depuis leur rencontre, l'assistant de Joe Shark n'imagine plus sa vie sans son frère jumeau. Querelle de coqs à toute heure de la journée, mentalité de quatre ans lorsqu'ils se trouvent plus de cinq minutes ensemble, lui et Kenzo ont su lier une forte complicité en quelques semaines à peine, et pour rien au monde, Rayan ne mettrait un terme à cette relation. Un large sourire se dessine alors sur les lèvres du jeune homme. Lucie a su le flatter, un point pour toi, ma belle. Et le voilà bombant le torse en jetant un large regard à travers la pièce. Bientôt, il se mettra à quatre pattes sur la table en rugissant pour prouver à tous qu'il est le roi de la savane qu'est Berkeley. Mais soudain, il redescend bien vite sur Terre et pose un regard blasé sur la jeune Lucie. « Désolé, chérie, mais personne ne peut égaler ma beauté. Même mon frère jumeau ne m'arrive pas à la cheville, alors ne parlons pas des autres. » Vexé, le p'tit mec, son égo a pris cher. « Euh, ouais... » Il avait froncé les yeux, alors qu'elle venait de lui lancer qu'elle connaissait son choix d'études. Elle connaissait beaucoup trop de choses à son sujet, et cela en devenait presque gênant. En fait, ce n'était pas si gênant, c'était carrément flippant. Rayan détestait ce genre de filles qui cherchaient sans arrêt des informations sur l'homme sur lequel elles pouvaient craquer. Des psychopathes de première. « Non, jamais. Secrets d'état. » Ses écrits, parlons-en. Tout avait commencé au cours de son enfance. Jusqu'à son adolescence, il écrivait des nouvelles de trois ou quatre pages pour sa mère adoptive, avec des fins toutes aussi exaltantes les unes que les autres, un délice pour les yeux de la femme qui l'avait élevé. Mais ces nouvelles étaient restées en Israël, auprès de la femme en question. Quant à la suite de ses aventures, l'étudiant en littérature avait fait le récit de ses deux années passé à faire son service militaire. Les missions, les ressenties, il aurait de quoi publier un roman de près de mille pages, mais son histoire, il la gardait pour lui. Pas même sa mère eut vent de ses écrits. « Quoi ? Ah ouais, on me l'a fait souvent cette blague. » Pas de sourire, ni même de rire. Il détestait cette comparaison qu'il considérait comme puérile. « Si on peut appeler ça, une blague, puisqu'elle ne fait pas rire grand monde. Sauf les esprits les moins intellectuels. » Son regard ébène se planta un instant dans celui de Lucie avant de boire une gorgée de son lait. Pas mauvais. Après quoi, une nouvelle bouchée de donut s'imposait. Haribo. Harabo. C'était nul comme jeu de mots, mais laissons rire le bas peuple. « Tu es arrivée à Berkeley il y a longtemps ? Et tu fréquentes déjà une confrérie ? » Histoire de faire la conversation et d'oublier cet épisode qui lui donnait l'envie de coller sa tête dans un mur.

Quel égo ! Un sourire plus tard et Lucie pouffa doucement. Il était marrant à râler comme ça. Elle devrait le pousser à pester de temps en temps. Il avait cette petite ride qui se dessinait entre ses yeux. Attrapant son lait fraise, la jeune femme le sirota doucement. Il avait un jumeau, un point fort pour Lucie. La jeune femme avait perdu sa sœur durant son enfance. Après sept ans de vie commune, la séparation avait été dure. La famille avait donc une importance primordiale pour elle. Mais revenons aux écrits! Comment ça, secret ?

« C’est vrai ça ? Jamais ! Mais… tu n’as jamais fait d’article pour tes études ? »

Elle pouvait parfaitement bien comprendre qu’il ne désire pas faire lire ses écrits plus personnels. Elle-même n’aurait jamais osé le montrer à quiconque. Elle avait choisi d’écrire lorsqu’elle avait rencontré Noah. Il avait tellement de talent qu’il avait su l’inspirer, la pousser à faire de ce qui la rongeait une force.

« Ah… désolée. » Murmura Lucie en comprenant que sa plaisanterie ne lui avait pas particulièrement fait plaisir.

Le bout de son pied joua un moment avec le pied de la table, enfin, ce qu’elle jugea être le pied de la table et qui s’avérait être le mollet de Rayan. Nerveuse, la discussion ne l’aidait en rien pour retrouver son calme. Heureusement, Rayan vînt à son secours en lui posant les questions qui fâchent. Roman, son frère, voulait la voir entrer chez les Epsilons. De son côté, la jeune femme préférait rejoindre les Alphas. Souhaitant rester en bons termes avec son frère et les nouveaux membres de sa famille, Lucie avait choisi de se plier aux exigences de son aîné.

« Je suis arrivée la semaine dernière. Je suis encore dans le pavillon des Lambdas. Je convoite la confrérie des Epsilons. »

Allait-il se marrer ? La confrérie était réputé pour les membres qui la formaient : l’élite. L’ambition ne pouvait être une option et le caractère se devait d’être fort et affûté, non pas comme Lucie, nerveuse et prête à bafouiller. Bien sûr Rayan avait le droit à un traitement de faveur. Elle le voulait tellement qu’elle se faisait violence pour lui parler. Loin de s’imaginer que ses propos passeraient pour une séduction avec son pied contre son mollet.

« P…pourquoi tu as choisi les Delta… toi ? » demanda timidement la jeune femme en sentant la tension monter plus encore. Cette blague idiote la mettait de plus en plus malaise. C’était passé, certes, mais elle continuait de s’imaginer ce qu’il pensait d’elle et l’image négative qu’elle lui renvoyait.

De toute manière, à quoi bon parler de ses écrits ? Il ne rimait à rien, il n'était qu'un petit poisson clown dans le monde de littérature, mais Rayan espérait bien évidemment devenir rapidement le requin de cet aquarium. Il avait d'ailleurs trouvé son tremplin, il y a peu de temps de cela, en la présence de l'un de ses professeurs, qui était également éditeur. Demander un stage et terminer en tant qu'assistant de Joe Shark, ce n'est pas tous les jours que ça arrive, et le jeune étudiant se rend tous les jours compte de la chance inouïe qu'il avait. À peine arrivé sur le territoire américain, il obtenait un poste qui pourrait l'amener à toucher un jour les étoiles comme il l'avait si souvent rêvé. « Si... mais d'ici, aucun risque que tu tombes dessus. » C'était en Israël, au cours de sa première année d'études et pour le moment, il n'avait encore rien écrit depuis qu'il était ici, si ce n'était que de longs pavés à sa mère adoptive pour lui raconter les évènements qui se sont déroulés au cours de la semaine. L'on aurait pu penser qu'il aurait aimé rencontrer son oncle pour parler de littérature ou carrément de ces œuvres, mais Rayan n'en avait rien fait et tenait à rester éloigner du reste de sa famille pendant encore quelque temps, le temps qu'il accepte enfin cette nouvelle situation. Il était arrivé à San Francisco dans le but de connaître son frère, ne s'attendant pas à y trouver un père et un oncle. Poussant un maigre soupir, le Delta ne pouvait que désapprouver le choix de confrérie de la jeune Lucie, mais cela le rassurait au moins sur un point capital, elle ne ferait jamais partie des Bêta et ils ne fréquenteront pas la même confrérie, autrement dit, il ne l'aurait pas tout le temps dans les pattes. Amen. « Mmh, les gosses de riche et leur amour pour l'argent. Comme si ça pouvait pousser dans des arbres. », grogna finalement le Gamma. S'il y a bien une confrérie qu'il pouvait mépriser, il s'agissait bel et bien des Epsilons et de leurs comptes en banque aussi important que le continent, pendant que d'autre trimaient pour vivre jour après jour et que d'autres n'avaient rien. Rayan avait toujours vécu avec les ressources minimum, sa mère ne gagnant que peu sa vie, et son père s'étant enfui alors qu'il n'était encore un enfant. Il avait grandi bien trop vite et avait appris à mépriser ces gens qui se baladaient, tous billets dehors. Pourtant, il agissait comme s'il était l'un des leurs depuis son arrivée à Berkeley, parce que les riches sont toujours plus appréciés que les pauvres et eux, on ne les pointait guère du doigt. « Parce que mon frère en est le président. Sans quoi, j'aurais aimé régner sur les Lambda, mais être bras-droit de mon frangin et être dans la meilleure confrérie du campus, c'est mieux que d'être le mâle dominant d'une bande de bras cassés. Non pas que je te mêle au lot. » Un peu quand même, mais n'allons pas le dire à haute voix. « Et sinon, ça dure combien de temps tes... enfin ton... obsession à mon égard ? », demanda sans plus attendre le blondinet tout en se penchant un tantinet vers la demoiselle assise juste en face de lui. Au passage, il passa son pouce sur la commissure de ses lèvres afin d'effacer toute trace de sucre glace qui se trouvait sur son donut et qui s'était accroché à lui.