Maintenant que j'y pense, tous les indices pouvaient mener à James, selon les paroles prononcées par Maëlle. Un type suffisamment secret pour préserver à tout prix sa vie privée, froid d'apparence, un tantinet coincé, exigeant... Non pas que je sois du genre à critiquer James, mais il est effectivement plutôt "secret" dans son genre. Lorsqu'il m'avait gentiment hébergé dans son château durant quelques brèves semaines, j'ai découvert une facette différente qui m'a conforté dans la confiance que je pouvais lui témoigner. L'ennui, c'est que je n'ai pas tellement le temps de faire état de ce que je connais de l'Irlandais puisque Maëlle manque de s'étouffer avec son café en apprenant que le fameux professeur que j'ai "déniaisé" avant William Clives est l'homme qui partage sa vie actuellement. Sur le moment, je fronce les sourcils sans trop prendre la peine de chercher à expliquer sa réaction... Mais plus les secondes passent, plus j'ai l'impression que je viens de sortir une énormité. Ah, connaissant Monsieur, j'imagine que son expérience avec moi n'a pas dû être sa phrase d'accroche lors de leur rencontre. Une main dans mes cheveux en bataille, je m'apprête à la rejoindre pour l'aider à retrouver son souffle, mais elle y parvient seule. Je suis trop dans le flou du matin pour paniquer, d'autant plus que je considère ne pas avoir d'excuses quelconques à présenter, ce n'est pas comme si James l'avait trompée avec moi. En voyant son visage, je pose ma tasse et essuie ma bouche avec le revers de ma main. Ok, ce n'est pas très classe, mais j'ai la flemme d'aller chercher une serviette en papier. "Écoute, il ne faut pas que tu remettes tout en question juste pour ça. Ce serait bête d'en faire toute une histoire alors que ce n'était que trois fois rien. Tu crois que j'irais me vanter d'avoir couché avec le mec dont tu es amoureuse, franchement ?" En amour, il m'arrive parfois d'être assez déterminé pour désirer des personnes qui sont déjà prises, mais jamais je n'ai convoité le ou la partenaire d'un ou d'une amie. Je rapproche ma chaise de la sienne et je la fixe droit dans les yeux avec un sérieux qui s'impose, histoire de dissiper ses doutes. "James, ça va bientôt faire trois ans que je le connais. On s'est rencontrés quand j'étais à Paris, il était client dans le restaurant où j'étais cuisinier. On s'est un peu parlé car il a bien aimé le plat que je lui ai préparé, puis on s'est recroisés par hasard quand je suis revenu à Berkeley. À partir de là, on est devenus amis. Il m'a hébergé quand je me suis pris la tête avec mon père, il y a un peu plus de deux ans... On a couché une ou deux fois ensemble pendant le séjour." Soit, à une époque où il ne connaissait pas du tout l'existence de Maëlle, a priori. Je décide de poursuivre sur le même ton. "Il était attiré physiquement par les hommes, mais il en avait honte, je crois. Du coup, je lui ai... prouvé qu'il n'y avait pas de mal à ça. Cela dit, pour en avoir discuté avec lui, jamais il n'a souhaité se mettre en couple avec un homme. James, c'est un homme traditionnel qui vit dans un monde très hétéro : il avait juste besoin de quelqu'un pour lui montrer qu'avoir une attirance physique pour quelqu'un du même sexe, c'est naturel. Toutefois, nous sommes amis avant toute chose, jamais ces brèves expériences n'ont donné un autre sens à notre relation." J'ai choisi mes mots avec soin pour rassurer mon amie, j'en viens même à prendre sa main dans la mienne pour risquer un sourire affectueux. Oui, ça m'arrive, des fois. Rarement, ceci dit. "Ça fait des mois qu'on ne s'est pas vu ou parlé, rapport à nos deux emplois du temps surchargés... Je comptais d'ailleurs passer dans quelques temps, ne serait-ce que pour faire coucou à Louna, elle m'a gentiment toléré au château pendant mon séjour là-bas." Cette chipie m'amusera toujours, à bien y penser. Un peu moins quand elle m'a tenu en respect avec les deux molosses qui veillent sur le domaine, mais à part ça, je l'adore. "Tu l'as dit toi-même, c'est un homme qui se préserve beaucoup. Je pense que s'il ne te l'a pas dit, c'était par peur que tu le juges, non ? C'est pas ton genre, je sais, mais on n'est pas toujours rationnel quand on est amoureux. Tu... Tu m'en veux pas, dis...?"