Je n'avais eu cours que ce matin, en la compagnie bien regrettable de Clives. Il savait être réglo parfois, mais je reprenais doucement un rythme de travail normal et il semblait presque décidé à me faire regretter l'affront d'avoir eu à m'absenter suite à ma récente maternité. Soit ça, ou alors être la mère du fils de Logan plutôt que du sien. Il avait un côté lourd, plus souvent que non et cela me fatiguait. Ian allait probablement me changer les idées... Logan restait dubitatif, en revanche, il craignait que je n'échange un pervers pour un autre, chose à laquelle j'ai bien ri avant d'expliquer exactement qui était l'homme que j'allais retrouver ce soir. N'importe quel compagnon aurait pu se sentir inquiet, menacé, mais Logan savait qui j'étais et où mes loyautés reposaient: je n'étais jamais que cette jeune femme pétillante qui adorait filer un coup de pouce à qui voulait bien l'accepter. Ian avait l'air perdu la première fois que je l'avais vu, je me contentais simplement de lui offrir une base saine: un prof qui se perds dans les couloirs de osn propre campus ne poussait pas exactement au respect de la part de ces étudiants, hein? J'étais passée récupérer Liam à la maison, sous les protestations véhémentes de Kilian qui le voulait pour lui au moins un petit peu plus longtemps, avant de justifier avoir besoin de sortir à nouveau et trouver judicieux que Liam prenne l'air en même temps que moi. Inutile de dire que le grand frère s'était fait un devoir de s'assurer que le bambin ne risquait pas d'attraper froid. Jugeant plus correct d'avoir l'enfant contre moi, partager ma chaleur corporelle en plus des vêtements destinés à le garder au chaud, Liam finit contre moi, emmaillotté dans un large châle que j'avais reçu d'une amie (africaine) de mon père, préférant de loin les solutions pratiques et rapides plutôt que me ruiner à acheter des accessoires qui au final servaient le même but mais de façon plus... artificielle. J'adorais ressentir le souffle de mon fils tout contre moi, et je pense qu'il ne devait pas trouver désagréable le rythme rassurant de mon coeur qui eut bientôt tôt fait de le bercer jusqu'aux bras de Morphée...
Aussi curieux que cela soit, j'avais fais rendez-vous à Ian dans un lieu qu'il ne risquait certainement pas de louper: le mémorial. Le campus était immense, mais on pouvait si facilement méprendre un bâtiment pour un autre alors que ce lieu... il était impossible de se tromper. Pour éviter de se perdre, c'était la meilleure solution et c'est donc là que je le retrouvais. Galant, à l'aise, observant alentours les mains dans les poches en essayant d'avoir l'air complètement "normal". Comme si un prof planté devant un monument n'avait pas à attirer l'attention.
Bonjour, ça va ?!, un sourire de ma part dû probablement répondre à cette question, jusqu'à ce que mon expression ne tombe lorsqu'il se remit à parler,
Tu étais là quand c'est arrivé ?Je m'attendais à la question, un jour ou l'autre et le fait que je l'invite à me retrouver
ici devait être la carotte à faire avancer l'âne mais l'entendre à vive voix avait un effet complètement différent. Un souvenir passé, pas si lointain que ça, une soirée qui était supposée bien se dérouler mais qui avait terminé en véritable carnage. J'avais été tellement plus jeune à l'époque, mes jumeaux l'avaient été tellement plus aussi, la peur avait plané pour tant de choses ce soir là: la crainte de ne plus revoir mes enfants, la terreur me tiraillant les entrailles lorsque Logan décida d'aller au devant des agresseurs pour tenter de sauver un maximum de monde, ma fausse couche résultant du stress de l'évènement, la relation père/fils chez les Salaun qui sembla alors complètement perdue à jamais. Le sang, la douleur, les cris... le silence. C'était comme vivre un cauchemar éveillé, et ce n'est vraiment que lorsque Ian m'interpella doucement et que Liam perçut mon trouble par un gémissement que je revenais à la réalité. Je n'avais encore jamais parlé à personne de cette soirée; Logan, s'il était présent lui aussi, n'avait même jamais eu le récit détaillé de mon ressenti, de comment j'accusais les évènements. Personne d'autre que moi ne savait comment cette pauvre fille que j'étais alors s'en était sortie, plutôt que sombrer dans la dépression et laisser le traumatisme gagner. Parfois, c'était si simple de tout simplement oublier... même si je reprochais encore fréquemment à Logan le fait qu'il m'ait laissée en arrière pour aller jouer les héros, surtout maintenant qu'il s'était promis d'adopter mes enfants. La crainte de perdre quelqu'un, le stress, la terreur de ne plus revoir ceux qu'on aime... Cela avait fait un sacré numéro sur ma façon de voir les choses...
Le mémorial ne m'inspirait pas grand chose quand je passais devant, parce que je m'efforçais plus que tout de ne rien ressentir: je ne pouvais pas être cette idiote qui tremblait devant l'ombre d'un monument qu'elle verrait tous les jours, alors je m'étais endurcie. Mais une seule question de Ian avait suffit pour ramener le tout à la surface, manquer de me faire pleurer, et me planter là le regard dans le vide en tentant le tout pour le tout pour que les larmes restent à la lisière de mes yeux, plutôt que sur mes joues. Un hochement de tête perdu fut la seule réponse que j'offrais à Ian pour commencer, avant de déglutir et tâcher retrouver ma voix pour parler.
Logan a bien failli y rester, ce soir là.Concentrer la conversation sur n'importe qui d'autre que moi, c'était le plan. Je ne me sentais pas capable de mettre des mots sur ce que j'avais vécu, je préférais faire l'autruche et laisser le tout derrière, même si je n'étais pas sûre que Ian suive le mouvement. Embrassant la tête de l'enfant qui se calmait doucement contre moi, le professeur devait bien voir ce que j'étais réellement: une jeune femme de 29 ans qui en avait trop vu ce soir là et qui était restée marquée par la crainte de ne plus jamais revoir ses enfants. S'ils n'avaient pas été là, je ne garantis pas que je ne me serais pas lancée à la suite de Logan pour aider un maximum de gens, mais il y avait tellement plus que moi dans la balance... Mes jumeaux. L'enfant qui ne serait jamais.
Est-ce que tu as trouvé facilement ?Un sujet simple. Neutre. Le "pourquoi" nous étions ici, pour commencer. Je ne connaissais pas Ian si bien que ça, et rien ne me promettait qu'il n'allait pas chercher à en savoir plus ou pire, se montrer compatissant. Je ne réagissais pas très bien à la pitié des autres et je voulais plus que tout ne pas me montrer hostile envers le petit nouveau. Plus âgé que moi, plus expérimenté aussi, alors que je n'étais jamais qu'une jeune adulte qui sortait à peine de l'adolescence et qui en avait déjà tellement vu et fait depuis. 29 ans, et presque autant d'années à me terrer dans un océan de secrets...
© Chieuze