Assise derrière mon bureau de doyenne, j'étudiais attentivement les nouveaux dossiers d'étudiants que le doyen m'avait fait transmettre. Toutes ces personnes avaient postulé pour intégrer ma confrérie, celle des Bêta / Delta, mais peu auraient le privilège d'en faire partie. Il faut dire que les critères pour intégrer une confrérie au sein du campus de Berkeley étaient plutôt stricts – et ce, quelque soit la confrérie demandée. Il y avait des  impératifs à respecter, et on ne pouvait pas passer outre. De plus, il y avait toute une hiérarchie à respecter : le bras droit, le président de confrérie ainsi que le doyen de la confrérie en question devaient être d'accord sur les candidatures. L'aval final revenait, comme d'habitude, à Fredericksen – le doyen des doyens, tyran bien connu du campus. Après un énième soupir dû à mon manque d'entrain – j'aurais voulu que les vacances soient prolongées d'un mois ou deux, histoire de me remettre des récents derniers événements – j'ai entrepris la lecture d'un de ces fameux dossiers. La journée promettait d'être studieuse, mais surtout très longue.

Les heures défilèrent, sans que je ne prenne le temps de relever la tête. J'avais enchaîné les dossiers, les classant en trois piles : accepté, refusé, en cours de réflexion. J'aurais aimé que Kenzo, mon président de confrérie, pointe le bout de son nez, mais il n'en fit rien. Pendant un instant, je fus tentée de l'appeler, mais je me suis vite ravisée. Il devait être en compagnie de Meleya, sa nouvelle petite amie. Un fin sourire vint naître sur mes lèvres ; j'étais sincèrement heureuse pour lui. Il méritait ce qui lui arrivait, et je ne souhaitais qu'une seule chose : que cela dure. Surtout après ce qu'il avait traversé – merci Presley, et ses soudaines envies de mettre le campus à feu et à sang. J'avais maudit cette ancienne Bêta, qui avait sérieusement nui à la réputation de ma confrérie. J'aurais pu la tuer de mes propres mains, lorsque j'avais découvert qu'elle était derrière tous les événements néfastes et funestes qui s'étaient déroulés sur le campus. J'ai soupiré, masquant un bâillement avec ma main droite. Voilà exactement pourquoi j'aurais aimé que les vacances soient prolongées – même à titre exceptionnel. Et aussi pour rentrer chez moi quelques semaines, afin de me ressourcer. Mon père et ma Suède natale me manquaient cruellement, parfois. J'ai soupiré une énième fois, avant de prendre un autre dossier. J'allais l'ouvrir, et m'informer des qualités de cette nouvelle personne lorsque mon téléphone vibra. J'ai momentanément oublié mon dossier, afin de voir qui avait besoin de quoi. Une fraction de seconde plus tard, le message s'affichait sur l'écran.  « Sortie au Lexington Club ce soir ! » Une de mes amies Bêta avait décidé de profiter dans la joie et l'allégresse de sa fin de vacances, et j'étais conviée. Mes lèvres s'étirèrent en un sourire franc et sincère, alors que je me levais de ma chaise. Au diable ces quelques dossiers restant ; ils n'allaient pas disparaître au cours de la nuit, et je les retrouverai là demain matin. Ou plutôt demain en fin de journée, une fois que j'aurais émergé après la nuit de folie qui s'annonçait. Girls just wanna have fun.

La nuit était déjà bien avancée lorsque je sortis de la douche. J'avais rendez-vous à minuit au Lexington Club, et me connaissant, je serai en retard. Un simple coup d’œil à mon portable confirma mes soupçons ; il était vingt-trois heures trente, et je n'étais ni habillée, ni maquillée. D'un pas précipité, je me suis avancé jusqu'à mon dressing. Étape cruciale. Mes doigts se perdirent dans les piles de shorts, avant de finalement s'en retirer. Tant pis pour l'aspect pratique, ce soir, je jouais la carte du glamour. Rien ni personne ne pourra me résister – parole de Bêta ! Après avoir fait défiler une bonne dizaine de robes, mon choix se porta sur une robe ridiculement courte, de couleur noire. Sobre, classique, mais d'une efficacité déroutante. La paire de Jimmy Choo que j'avais acheté la semaine dernière viendrait parfaire l'ensemble – et elle avait en plus le mérite de me faire des jambes interminables. Tout bénéf'. Je me suis rapidement habillée, avant de filer à la salle de bain pour me maquiller. Un simple trait d'eye-liner et une vague touche de fond de teint suffiraient – je n'étais pas le genre de fille qui se maquillait à outrance, pour la simple et bonne raison que je trouvais cela vulgaire. J'ai rassemblé mes affaires précipitamment, foirant le tout dans un sac à main griffé. Avant de quitter ma chambre, je fis un arrêt « standard » devant le miroir, jetant un coup d’œil rapide à mon reflet ; un mince sourire vint illuminer mes traits.  Valentina Irina Jaslang, celle que tout le monde avait toujours connue, était de retour. Ce soir, la reine des bêta était de sortie, et ça allait faire mal.

Et une heure plus tard, comme je l'avais imaginé, je me retrouvais aux côtés de quelques amies à me déhancher outrageusement sur un des podiums de la boîte de nuit. Sourire aux lèvres, les cheveux faussement négligemment rejeté sur mes épaules dénudées, je ne prêtais pas attention à ce qu'il se passait autour de moi. Je profitais, tout simplement. Seulement, j'étais complètement désinhibée par les cocktails alcoolisés que j'avais vidé – et comme à chaque fois que je buvais un peu trop, j'avais tendance à avoir une attitude à la fois séductrice et provocatrice. Mais ce soir, je me l'étais promis, je ne m'en plaindrais pas le lendemain. Pourquoi ? Parce que ce soir, j'avais besoin d'oublier les derniers récents événements. Et surtout parce que ce soir, j'avais envie de m'amuser, sans penser aux conséquences. J'en avais plus qu'assez des drames, et comme les autres, je voulais avoir une vie un tant soit peu normale. Sans petit ami qui décède, sans président de confrérie qui console puis est kidnappé, sans meurtre à Berkeley. Mon regard croisa celui d'un homme – qui devait avoir approximativement mon âge, et qui semblait plus que potable – et je lui offris mon plus beau sourire, sans pour autant arrêter de danser. Allumeuse, moi ? Si peu, si peu. Mais quoiqu'il en soit, capter l'attention d'un mâle physiquement attirant était déjà un bon début. Il ne me restait que quelques efforts à faire pour que j'en fasse mon quatre heures – du matin, bien évidemment. Réjouie par cette perspective plus qu'alléchante, j'ai tendu une main délicate vers ce gars pour qu'il vienne me rejoindre. L'inconscient, qui ne savait rien de mes projets peu avouables, se laissa tenter. Autrement dit, c'était le début de la fin pour lui. Et je m'en délectais. Cruelle et diabolique doyenne des Bêta / Delta. Mais sexy et tellement envoûtante qu'un saint se damnerait pour l'approcher d'un peu plus près.