Septembre 2013, dans un hôpital de San Francisco. Jaxhuem Nathaniel Tajay Woods-Moretti -->> Consultations scolaires. J'avais poussé un soupir en observant le planning. Je n'avais eu qu'une seule fois l'occasion de faire ce genre de consultation et on ne pouvait pas dire que c'était la chose que je préférais. Non, moi j'avais besoin d'un service qui bougeait. Les urgences dentaires me convenaient beaucoup mieux, j'avais ce sentiment d'être utile. Et même si on me répétait que la prévention était aussi le travail d'un médecin et qu'il ne fallait pas le négliger, je n'arrivais pas à apprécier ses journées banales. Toutes les consultations se ressemblaient un peu. Je répétais les mêmes gestes, prodiguais les mêmes conseils à des enfants plus ou moins intéressés et qui auraient probablement tout oublié en s'arrêtant devant le premier magasin de bonbons. Durant toute cette semaine, j'allais donc travailler à la chaîne. Sans prendre vraiment la peine de connaître mes petits patients. En avais-je seulement le temps? La réponse était négative bien entendu. Je poussais un second soupir alors que je rajustais le col de ma veste blanche. Je venais d'effectuer ma rentrée en première année de master et en tant qu'interne, je n'avais pas le droit de rouspéter, je me devais d'aller là où l'on me disait d'être. Il faudrait probablement que je m'efforce de sourire. Mais malgré mes vacances, j'avais un mal fou à récupérer. La fatigue et le manque de motivation m'empêchaient donc d'avoir la banane. Et puis de toute façon, je n'étais pas réputé pour être l'homme le plus souriant du monde. Mes sourires, je les donnais à mes amis, à ma famille, aux personnes qui me tenaient à coeur. Et parfois aux patients. Pour les rassurer. Parce que si j'avais bien appris une chose, c'était celle là: le bruit de la fraise pouvait terroriser le plus courageux des hommes. Cela pouvait faire sourire qu'un homme rempli de muscles ait peur de se retrouver sur le siège du dentiste. Et pourtant, cela se passait si souvent. En règle générale, ces personnes ne faisaient pas leur visite chaque année, laissaient empirer le problème. La peur était encore plus grande et la douleur serait présente. C'était tout à fait normal. Mais je m'égarais. Aujourd'hui, je ne ferais probablement souffrir aucun de mes patients. Au pire, je devrais soigner quelques caries. Je m'étais dirigé vers la machine à café qui m'avait mangée ma pièce. La journée commençait réellement mal. Je réintroduisis de la monnaie et trempais mes lèvres dans ma caféine tout en feuilletant les informations qu'on m'avait laissée sur le déroulement de la journée. Sur la première feuille, j'avais le nom de l'école et la classe qui passait la visite. En faisant un bref calcul, je me rendis compte que les petits auraient dans les environs des six ans. Pas assez petits que pour ne pas avoir peur et pas assez grands pour comprendre que je n'étais pas contre eux et que c'était pour leur bien. La tâche en serait d'autant plus dure. Je jetais machinalement un coup d'oeil à la liste des enfants. Une vingtaine de petits patients qui devaient certainement déjà m'attendre dans une salle d'attente colorée. Je jetais mon gobelet vide, pris le premier dossier et m'avançais vers cette salle. Au loin on entendait déjà le bruit des enfants jouant entre eux. J'avançais vers l'institutrice et lui adressais quelques mots. Elle me présenta mon premier patient: Terrence. Le petit garçon ne semblait pas intimidé puisqu'il me serra la main. Je lui adressais mon premier sourire de la journée. Devant un enfant, je n'avais pas besoin de me forcer, ils m'attendrissaient facilement. Terrence resta dans le cabinet une petite demi-heure, le temps de faire des radios de ses dents, de les observer et de lui donner quelques conseils, notamment sur le brossage des dents. Il me montra d'ailleurs comment il faisait chez lui et j'avais rectifié ses gestes d'une voix douce et calme. J'avais laissé repartir le petit garçon qui avait très vite retrouvé ses copains dans un coin de la salle d'attente. Je barrais son prénom de ma liste et pris le temps de lire le nom de ma prochaine patiente. 'Kristina?' Je n'avais pas jugé utile de dire le nom de famille. L'approche avec les enfants n'était pas la même qu'avec les adultes. Je me devais d'être plus proche d'eux afin d'installer plus facilement ce climat de confiance. Je promenais mon regard azur dans la salle à la recherche de la petite fille.

Ne me touchez pas je mord...

'Steven?' Mon regard bleu azur se posait sur chacun des enfants présents. Steven n'était que mon deuxième petit patient. Après, il y aurait encore Quentin, Kristina, Alexandre, Elise. Et bien d'autres. Je savais à l'avance que ma journée serait longue. Pourtant quand on était passionné par son travail, elle passait beaucoup plus vite. Seulement voilà: les visites scolaires ne me passionnaient pas vraiment et le seul point positif à cette situation était que c'était des enfants. J'aimais beaucoup travailler avec ces derniers. Justement parce que l'approche était différente d'avec les adultes, que ce n'était pas si simple de gagner cette confiance. Et surtout parce qu'ils arrivaient en un sourire à me faire oublier cette journée qui avait si mal commencé. Les enfants avaient cette part d'innocence en eux qui m'attendrissaient. Et cette franchise qui ne les quittait jamais. Ils n'avaient pas encore appris que toutes les vérités n'étaient pas bonnes à dire et encore moins à entendre. Cette naïveté était une de leur plus belle arme. Il l'a perdrait en grandissant, quand les problèmes arriveraient. Là, ils rêvaient certainement encore de devenir pompier ou médecin. Mais je m'égarais. Le petit Steven avait levé la tête, m'avait observé de haut en bas d'un oeil assez méfiant. Puis s'était tout bonnement retourné vers ses copains et avait continué à jouer, comme si de rien n'était. D'accord. De toute évidence, il n'avait nullement envie de venir s'asseoir sur mon siège. Comme la plupart de ses camarades, sans doute. Mais je n'avais pas de temps à perdre à jouer à un petit jeu du chat et de la souris. D'un pas vif, j'étais arrivé à ses côtés, je m'étais accroupi afin d'être à sa hauteur. 'Les voitures. C'était un de mes jeux préférés aussi à ton âge. Après la consultation, tu pourras les retrouver. Mais maintenant, il est l'heure de me suivre' Ma voix n'avait pas perdu de son calme. Mais le ton était un peu moins doux, plus strict. Je ne donnais pas le choix à Steven. Après tout, il ne l'avait pas. Il devait passer cette visite et le plus vite serait le mieux. Je ne voulais pas prendre de retard sur mon planning. Le petit garçon sembla comprendre le message puisque qu'il se releva et me suivit enfin. Il eut le droit aux mêmes examens que Terrence. Mais fut un peu moins chanceux que lui puisque je remarquais qu'il avait une carie. Je pris donc le temps d'expliquer au petit garçon les gestes que j'allais faire. Je le vis apeuré. Mais ne rien lui dire aurait été encore pire. Etre dans le doute, c'était toujours pire que de savoir. J'en étais parfaitement conscient. Steven avait d'ailleurs versé quelques larmes que j'avais essayé de sécher tant bien que mal. Je n'en menais jamais large de voir des enfants pleurer. Quelques minutes plus tard, Steven sorti enfin du cabinet, sa dent soignée. Je l'entendis dire à ses copains que je lui avais soigné son bobo mais qu'il n'avait même pas eu mal. Un sourire s'était étendu sur mon visage. Quand je disais qu'ils étaient attendrissants ses petits bouts. Je l'observais encore un instant avant de reporter mon regard sur ma liste de patients. 'Kristina?' De nouveau, je promenais mon regard bleu azur sur la salle d'attente. De nouveau j'observais les réactions des enfants. Certains n'avaient même pas relevé la tête, trop occupé à s'amuser ou même à lire. D'autres semblaient soulagés que ce ne soit pas leur prénom que je venais de prononcer. Puis je posais enfin mes yeux sur une jolie petite puce qui venait de lever son doigt. Un sourire rassurant apparu sur mon visage. A la voir comme ça, si intimidée -à moins que ce ne soit la peur légendaire du dentiste- elle me rappelait mes débuts. Quand j'avais son âge, moi aussi je détestais les dentistes. Dire que j'en serais bientôt un à présent. Les temps changeaient. Une petite moue s'était formée sur le visage de la dénommée Kristina et je ne l'avais pas quittée des yeux alors qu'elle se dirigeait vers moi d'un pas très lent. Comme si elle venait à reculons, ce qui devait être un peu le cas. Son regard se posa sur le mien. Elle était craquante cette petite. Vraiment. Elle représentait le genre d'enfant qu'on rêvait d'avoir. Etait-elle seulement si sage qu'elle le paraissait? Cela restait à prouver. Je la laissais donc entrer dans la pièce et s'installer sur le siège. Pendant ce temps, je me lavais les mains, par simple souci d'hygiène. J'avais toujours été très strict sur ce point. J'enfilais ensuite des gants et me rapprochais de la petite fille. " -Bonjour " Elle avait pris la parole en premier et je lui adressais un nouveau sourire. J'attrapais au passage un masque que je mettrais en temps voulu devant ma bouche. 'Bonjour Kristina. Je suis le docteur Moretti mais tu peux m'appeler Jaxhuem. Je vais vérifier si tes dents sont en parfaite santé. Est-ce que tu as des questions avant que je commence?' J'étais à présent à côté de Kristina. J'avais remonté le siège afin qu'il soit à ma hauteur. Dans quelques secondes, j'observerais les dents de la demoiselle avant de lui faire passer une radio. Rien de bien méchant au départ.