Méconnaissable. C’était bien le mot. Une chemise bleu clair, un pantalon de toile fine beige, chaussures assorties, et ma montre. Voilà à quoi je ressemblais aujourd’hui. Non, ce n’est ni le carnaval, ni halloween. Si je m’étais habillé plus décontracté, c’était parce que j’avais décidé de prendre une journée de repos pour aller faire les magasins. Oui, vous avez bien entendu. D’ordinaire, je laissais cette corvée à Gauthier ou à l’un de mes hommes. Mais ce jour-là était spécial. Je voulais faire un cadeau à ma petite-amie. Or, j’estimais qu’il n’était pas convenable pour un homme de demander à l’un de ses subalternes de le faire à sa place. Aussi, j’avais emmené ma fille avec moi. Cela faisait un mois maintenant, que les journalistes avaient appris la nouvelle : Louna O’Malley, la fille secrète du milliardaire. Tel avait le gros titre des journaux locaux à l’issue du procès. Parce qu’évidemment, ces vautours ne faisaient pas les choses à moitié. Ils avaient même campé pendant des jours et des nuits devant la grille du château où nous résidions. Jusqu’à ce qu’Alfred, mon majordome eut le réflexe – qu’il prétend involontaire – de lâcher les deux dogues sur les paparazzis. Depuis, nous étions plus tranquilles. Certes, le monde savait aujourd’hui que j’avais une fille. Qui était sa mère ? Dans quelle école est-ce qu’elle étudiait ? Qui sont ses amis ? Sa famille ? Personne n’était au courant. Enfin bref, tout ceci pour dire que cela ne me posait plus aucun problème de sortir comme tout père de famille, avec mon enfant. « Deidi, je peux m’acheter une glace, s’il te plaiiit ? » L’arme fatale de Louna pour me réclamer quelque chose et être sûr de mon accord. Son regard. Elle avait celui de sa mère et savait comme elle, parfaitement l’utiliser. De grands yeux vert clair, l’air larmoyant, la bouche frémissante, comment résister ? « Hum, d’accord. Tiens, chérie. » Lui donnant la monnaie, je ne la quitte pas des yeux le temps qu’elle arrive jusqu’au camion de glaces.

Quelques heures plus tard, et nous ressortons d’un magasin de vêtements. Plusieurs robes, des chaussures, de quoi rendre la petite heureuse avant son cours de piano. Quant à moi, après l’y avoir déposé, je reprends mes courses. Une voix attire bientôt mon attention. Un sourire étire mes lèvres, juste avant que celle-ci ne s’éteigne…  contre mon torse. Pendant ce temps, je n’ai pas perdu une miette de la conversation depuis que je l’ai ‘suivi’ le long de Ocean Avenue. En affaires, on est tous des requins, vous le savez bien. « Encore une femme qui cherche à t’éviter ? Mon pauvre ami. Quand comprendras-tu que la coupe retro n'est plus à la mode depuis les années 20 ?! » soupirai-je aussitôt avec sarcasme, dès qu’il relève les yeux vers moi pour savoir qui il vient de heurter.

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« Ohh, tout s’explique alors. » renchéris-je avec un sourire amusé. « …cet attroupement continuel autour de ton auguste personne. » Moi, le taquiner ? Un peu, oui. Mais c’est de toutes façons à charge de revanche pour lui comme pour moi. A ce moment-là, ma fille s’approche, le dévisageant longuement en gardant sa petite main dans la mienne. Elle a l’air sérieux d’une personne en plein calcul mathématique. Aussi imperturbable que son père, en somme. Ce qui faisait d’ailleurs toute ma fierté en de pareilles occasions. Certes, j’aime voir ma fille rire et sourire dans ses jeux d’enfants, ou avoir du tempérament. Je n’aurai pas apprécié une enfant qui passe son temps dans les livres, ou au contraire, devant la télévision. Ou encore, qui se sentirait supérieure aux autres en raison de son statut social. Oui, je l’ai bien élevé, selon les traditions irlandaises. Cependant, je lui avais aussi transmise une qualité que les parents de nos jours répugnent encore à enseigner à leur bambin : la méfiance. La méfiance de l’inconnu, aussi charmant puisse t-il se montrer. Et la prudence. « Oui, c’est vrai. » énonça bientôt Louna en levant son petit bout de nez au ciel, fière comme un œuf. Un orgueil qui redescendit aussitôt du plafond lorsque nos regards se sont croisés. J’admets la chouchouter. Mais elle est fille unique, et je suis loin d’être un père exemplaire. Alors oui, je sais que ce n’était pas la meilleure méthode à suivre que d’offrir des cadeaux hors de prix pour se faire pardonner son absence dûe au travail, mais je n’avais pour l’instant rien trouvé de plus commode. Je passais déjà mes weekends avec elle, après une promesse que je lui avais faite il y a quelques mois de cela. Et je tenais également à ce que nous dînions ensembles tous les soirs. Mais ce n’était pas encore suffisant pour la petite princesse. Normal, me direz-vous. Elle n’avait que 7 ans, et ne comprenait pas encore très bien, les obligations d’un entrepreneur. « Oui. Cette jeune fille avait besoin d’une nouvelle robe. » lui dis-je pour toute explication. Biensûr, elle en avait toute une armoire, mais vous connaissez les femmes ? Il n’y a jamais assez tant que ça rentre. Et Louna, malgré son jeune âge, n’échappait pas à la règle universelle de la femme folle de shopping. Bien au contraire. « Mademoiselle Louna O’Malley, je vous présente Monsieur Hawke. Un …vieil ami. » ajoutai-je avec un sourire en baissant les yeux sur ma fille. Je ne pouvais le présenter autrement que comme un ami. Il était certes un rival en affaires, mais ne m'avait jamais fait de coups bas, comparé à d'autres. Et je savais que, même dans la rivalité, nous nous entendions parfaitement. Sans compter qu'une enfant de son âge ne conçoit pas encore les 'demi-amitiés'.  

Elle tend la main et le salue poliment, sans encore sourire. Il lui faut un peu de temps avant de cerner le personnage et de savoir si elle peut ou non s’y fier. C’est bien, ma chérie. Tu apprends vite. « Enchantée, monsieur. »  

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Je vois ma fille plisser du nez lorsque Nate emploie son prénom. Elle s’était toujours mise dans la tête qu’en tant que fille de milliardaire, tout le monde – exception faite de ses camarades de classe, d’Alfred notre majordome ou de sa famille proche – se devait de l’appeler ‘Mademoiselle ‘. Le fait que le gentleman anglais ne prononce que son seul prénom, comme s’il avait le ‘droit’ de le faire, venait donc de la mettre de mauvaise humeur. Heureusement, les enfants sont si facilement manipulables qu’elle ne le resterait pas longtemps. En effet, à peine Nate eut-il parlé de nourriture, que ma fille s’accrocha à mon mollet avec un grand sourire sur le visage. « Deidi, te plait ? » Oohh, avec ce regard de petit chien perdu, j’aurai presque failli marcher… si je n’y étais pas habitué depuis sa naissance. Sans compter que … « Tu viens d’en manger une, Lou’. » Me lâchant aussi vite qu’elle m’avait attrapé, la petite fronce alors les sourcils en croisant les bras sur sa poitrine d’enfant. Après le regard du chat botté, la moue boudeuse. « Il y a des gaufres ou des crêpes si tu veux. Mais c'est l'une ou l'autre. » ajoutai-je alors pour éviter tout un après-midi à chercher à attirer son attention. Je crois que ce petit tempérament, elle le tient de moi. Même si je me plais souvent à dire qu’elle le tient de sa mère. L’Irlandais dans toute sa splendeur. Plein d’orgueil et avide de plaire. D’autant plus que, si elle tient de moi ce caractère, cela voulait dire qu’elle n’allait pas m’adresser la parole avant d’avoir obtenu gain de cause. Et dieu sait à quel point ma fille est douée dans ce domaine. Me tourner en bourrique, je veux dire. « D’accord, merci Deidi ! » Comme par enchantement, la petite ne se fit pas attendre pour retrouver son habituel sourire de princesse et de courir chercher sa gaufre. « Et pas trop de nutella, Louna ! Une cuillère est largement suffisante. » Quoi ? Oui et bien désolé mais aujourd’hui, j’ai laissé ma panoplie du super business man impénétrable au placard pour revêtir mon costume de père. Va falloir vous y faire. Et le premier qui se fiche de moi aura mon poing en pleine poire. « Il y a une table qui se libère là-bas. » ajoutai-je en m’adressant à Nate. Une table, et de l’ombre. Le paradis en somme. Vous avez déjà essayé de marcher dans la rue avec un enfant qui mange quelque chose de chaud et de dégoulinant ? Pas besoin de vous faire un dessin. C’était généralement la catastrophe assurée.  

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Tournant la tête dans sa direction, surpris qu’il émette ne serait-ce que l’ombre d’une opinion quant au régime que j’imposais à ma progéniture, je hausse un sourcil, avant de lui répondre tout en surveillant de loin ma petite princesse irlandaise.  « Tout le monde n’a pas la chance d’avoir le physique d’une nymphette  en mangeant pour deux, mon cher. » répliquai-je à son attention en le contemplant de haut en bas. Fin, bel homme, crinière au vent. Nate avait ce qu’on appelle un physique d’androgyne, qui plaisait sûrement autant à ces dames qu’à ces messieurs. Et pour cause, puisque j’en faisais moi-même partie. Sans être, comme qui dirait ‘sous le charme’, j’admets que si je n’avais pas été en couple et particulièrement heureux de l’être, j’en aurai bien fait mon quatre heures, de cet Australien à la langue trop pendue. Mais puisque ce n’est pas le cas, autant remettre les pendules à l’heure et se contenter d’apprécier la vue, à défaut de pouvoir toucher. « En outre, dans la famille, on apprécie le sucre, mais malheureusement le sucre nous aime tout autant. Et je n’ai pas envie que ma fille ait des problèmes de santé. Alors oui, je peux te paraître sévère, mais c’est pour son bien et elle le vit très bien, figure-toi. » ajoutai-je pour moi-même en voyant la petite revenir avec sa gaufre dans une main et dans l’autre, un petit pot dans lequel avait été copieusement versé du chocolat. « Louna, qu’est-ce que j’ai dit ?! » « Mais c’est le monsieur qui …pfff, d’accoorrdd ! » maugréa la petite qui pensait sans doute pouvoir m’amadouer. Jetant la moitié du chocolat dans une poubelle proche, elle revint alors, moue boudeuse, s’assoir à nos côtés. « Hum, voilà qui demande réflexion. Puis-je savoir à quelles affaires précisément est-ce que tu fais allusion ? » lui demandai-je, presque suspicieux. Vu tous les coups fourrés que l’on s’était déjà fait lui et moi, il est logique que je puisse croire en une nouvelle tentative de sa part. Encore qu’il me paraissait plus sérieux, ces temps-ci. Aurait-il des problèmes ?

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