Apeurée et mal à l’aise, je l’étais. Un comble pour une Bêta, doyenne qui plus est. En d’autres circonstances, je me serai rendue à ce bal avec le sourire, fière et déterminée à véhiculer une image positive de ma confrérie. J’aurais fait jaser, les garçons se seraient retournés sur mon passage, les filles m’auraient maudites. Mais pas ce soir. Non, ce soir, ce qui était visible, c’était ma crainte, et mes doigts crispés sur l’avant bras de mon cavalier. La chute de la reine. J’ai légèrement secoué la tête, marquant ma désapprobation, alors que le Delta s’appliquait à flatter mon égo. Cependant, je ne pus m’empêcher de constater que les paroles semblaient plus que sincère ; Kenzo avait vraiment l’air de penser ce qu’il était en train de dire. Il n’avait pas fui devant mon apparente fragilité, et n’avait pas profité de celle-ci pour me poignarder dans le dos afin de récupérer mon poste dans notre confrérie. Au contraire, même. Depuis qu’il avait décidé de m’occuper à temps plein, je me sentais plus en sécurité, protégée. « Pourquoi est-ce que tu n’as pas été mis sur ma route avant les autres ? » Demandais-je à voix basse. Cette question, évidemment sans réponse, m’avait taraudé ces derniers jours. Les doigts de ma main droite glissèrent avec délicatesse sur la joue du Delta. « Les autres » faisant, évidemment, non explicitement référence aux hommes que j’avais pu fréquenter par le passé. J’avais toujours eu le chic pour me dégoter des petits amis qui avaient tout un tas de problèmes dont je me serai volontiers passée ; néanmoins, je ne m’étais pas arrêtée aux facettes peu glorieuses, préférant me concentrer sur ce qu’ils pouvaient m’apporter. Et je constatais une chose : j’étais souvent heureuse et comblée dans un premier temps, c’était vrai. Mais ce qui suivait ensuite s’apparentait à un cauchemar éveillé, un embourbement sans nom qui ne débouchait que sur des problèmes d’une envergure exceptionnelle. A tel point que je finissais toujours par me demander si le jeu en valait vraiment la peine. Être heureuse oui, mais si c’est pour souffrir comme une forcenée pendant des mois ensuite, je m’en passerai avec grand plaisir. Délicatement serrée dans les bras du Delta, je profitais de ce moment de sérénité. « C’est papa Barbapapa qui est rose. » Murmurais-je, relevant mes yeux clairs vers le visage angélique de mon cavalier. « En toute logique, donc, c’est toi qui devrais enfiler un costume rose. » Ajoutais-je, tentant un léger sourire. C’était là un geste bien hésitant, bien peu assuré, mais quoiqu’on en dise ou quoiqu’on en pense, ça restait une avancée. C’était faible, je n’illuminais pas la pièce, mais c’était quand même un début. Progrès non négligeable, d’ailleurs ; je tenais à le souligner. Un petit pas pour l’homme, un grand pour moi-même, pour parodier une phrase mondialement connue. J’étais sur que Kenzo et ses yeux affutés avaient sans doute noté cette prouesse, et pris cela comme un signe d’encouragement. Ses efforts n’étaient pas vains ; mieux encore, ils payaient – il était grand temps, devait-il penser. Ce que je pouvais comprendre ; à sa place, j’aurais été désespérée de ramer, encore et encore, pour ne rien récolter. Au cours des dernières semaines, Kenzo s’était toujours montré exemplaire. Il avait été là, à tout instant, à tout moment. Toujours prêt à m’aider, à m’épauler, à m’écouter lorsque j’en avais besoin. Il avait été délicat, ouvert d’esprit et charitable. Des qualités dont les Delta étaient généralement dépourvus – à croire que Kenzo était l’exception qui confirmait la règle. Je n’allais certainement pas m’en plaindre. A l’inverse, je préférais en profiter largement, et savourer chaque minute en sa présence, tant le fait de le savoir à mes côtés me rassurait. Confiante, je me suis laissé entraîner à sa suite. Je notais, non sans un certain soulagement, que Kenzo évitait soigneusement de nous exposer aux yeux de tous. Ce qui, je le concevais, était en totale contradiction avec les mœurs et habitudes de notre confrérie. « Est-ce qu’il y a des gens que tu veux aller voir ? » Demandais-je en constatant qu’il faisait signe à certaines personnes, présente dans l’assemblée. « Je ne veux pas t’en empêcher, au contraire. Je tacherai de faire bonne figure. » Murmurais-je, sincèrement navrée qu’il se prive pour moi. En guise de premier bal de promo, il devait certainement s’attendre à mieux. Niveau ennui, j’étais persuadée qu’il atteindrait des sommets avant même que ne sonnent les douze coups de minuit. Contrairement à ce que j’avais imaginé, les pas du Delta ne nous menèrent pas vers une quelconque connaissance, mais vers le bar. J’ai pris la coupe, pleine d’un cocktail aux couleurs orangées, que me tendait Kenzo. J’ai légèrement hoché la tête lorsque le Delta porta un toast. « Je suis contente que tu sois venu me trouver. » Répondis-je avec sincérité, avant de faire tinter nos deux coupes. Il avait certes eu un mal fou à me faire bouger, cette après-midi là, mais il y était quand même parvenu. « J’aurais préféré être de meilleure compagnie, mais… » Ce n’est pas facile, j’ai honte, je n’arrive pas à faire semblant, j’ai peur d’être à nouveau brisée en mille morceaux. Je n’avais pas besoin de dire tout ça à voix haute ; j’étais persuadée que mon cavalier en avait pleinement conscience. Il veillait sur moi depuis bien trop longtemps pour ne pas être au courant de tous mes tracas. « … Mais je suis sincèrement contente que tu sois venu me trouver pour me faire cette proposition. » Ajoutais-je, posant un regard doux sur Kenzo. « En fait, je suis contente de t’avoir à mes côtés. Pas seulement ce soir, mais tous les jours. Que ce soit pour la confrérie, ou en général. » Murmurais-je, un peu maladroitement. Je n’étais pas une grande habituée des longues tirades chargées de touches de sentimentalisme débordant, bien au contraire. J’étais plutôt du genre à jouer la carte de la fille austère, passionnée par son travail de doyenne. Mais j’estimais, à juste titre, que le Delta méritait largement tous ces compliments. « Je… J’en sais trop rien… » Soufflais-je à voix basse, jetant un regard craintif vers la piste de danse. De nombreux couples étaient déjà formés, et nous n’aurions aucun mal à nous fondre dans la masse. En théorie donc, ça n’aurait pas dû me poser le moindre problème. Cependant, mes récents déboires remontèrent rapidement à la surface, et ne tardèrent pas à me submerger. J’ai fermé les yeux le temps d’un instant, avant de légèrement hocher la tête. « Je… C’est d’accord. » J’acceptais à demi-mot, du bout des lèvres. Que pouvait-il m’arriver, de toute façon ? Je serais prisonnière de son étreinte, et je savais qu’il ne ferait rien qui puisse me brusquer ou me mettre mal à l’aise. Autrement dit, j’étais en sécurité. Mes doigts s’emparèrent de sa main, et j’esquissais un pas en direction des autres couples qui étaient déjà en train de se mouvoir au rythme de la musique. Avec une timidité que je ne me connaissais pas, mes mains remontèrent le long des bras du Delta, pour aller se nouer derrière sa nuque. Ma tête se posa ensuite sur l’une de ses épaules, et je ne me sentis que pleinement rassurée lorsque je sentis ses bras m’enfermer dans cette proximité corporelle.

Spoiler:

THE PROM SEASON
So shine bright, tonight you and I

Sheena était vraiment ravissante ce soir et si j'étais venu lui parler c'est parce que j'appréciais cette petite mais aussi parce que Marni avait mystérieusement disparue de la circulation. J'ai une certaine fierté et il est clairement hors de question que je parte à sa recherche. Et puis quoi encore ? C'est elle qui était partie, je n'allais certainement pas faire toute la salle pour essayer de la retrouver. Quelque chose me disait qu'elle n'allait pas tarder à refaire surface. Bref, cela étant, je n'allais pas rester debout avec mon non pardon mes deux verres de jus d'orange en main. La zone ! Déjà que je n'avais pas particulièrement envie d'être là, je n'allais pas en plus passer la soirée tout seul. L'horreur. Je m'étais donc rapproché de Sheena qui était elle aussi toute seule. Tant qu'à faire, autant aller lui parler. Elle semblait aussi perdue que moi, la belle affaire. J'engageais donc la conversation avec elle, c'était toujours un plaisir de parler avec. la brunette avait toujours un large sourire et était si simple. Elle ne se prenait pas la tête et n'hésitait pas à m'attaquer, une bonne chose ! Machinalement, l'Alpha me rendit le compliment. Après tout, cette soirée n'était qu'artifice et tout le monde semblait si superficiel. Sheena était belle dans sa jolie robe bleue. Elle me rappela à quel point la soirée était ennuyante. En fait, j'étais là comme un paumé avec mes deux verres. Je ne faisais aucun effort et j'affichais une mine blasée. Je me perdais dans mes pensées, j'étais présent physiquement uniquement. Je regardais machinalement mes verres avant d'hausser les épaules. « Eh non, il n'y a pas d'alcool pour ce soir. Dommage, je ne pourrais pas te repêcher sur le bord de la route à moitié ivre. » J'éclatais de rire, c'était pour la taquiner, rien de bien méchant. Petite référence à notre première rencontre, j'aimais particulièrement la lancer sur ce sujet, elle réagissait tellement bien ! Puis elle me lança la réplique qui tue du genre " va retrouver ta femme " Je restais un moment à la bloquer. Mince, comment pouvait-elle être au courant. J'eu un moment de lucidité en me rendant compte qu'on était à Berkeley et qu'un tel événement n'allait pas rester secret bien longtemps. Bah tu m'étonnes, les étudiants de nos jours étaient plutôt adepte de ce genre de ragot. Son sourire avait disparu, serai-ce de la jalousie de sa part ? Je restais vraiment étonné face à Sheena. « Elle  est partie je ne sais pas où mais si ma présence te gène je te laisse hein. » dis-je exactement sur le même ton qu'elle. Blasé par ce qu'elle venait de rire, j'allais m'en aller quand Aengus fit son apparition. Alors je ne sais pas mais elle doit avoir un don cette fille. Arriver toujours au bon moment, elle me sortait à chaque fois d'une situation gênante. La dernière fois, elle a débarqué dans ma chambre et m'a permis d'éviter de mentir à une nana, elle là chassé à ma place. Cette fille je l'adorais clairement. Elle lança une réplique qui eu pour effet de détendre l'atmosphère. « Si tu as mieux à proposer que du jus d'orange, je suis partant. » Aengus se lança dans une présentation théâtrale autour des sous-vêtements de Sheena. J'explosais de rire en la voyant faire, vraiment voir la tête de l'Apha en valait le détour. Et comme dans un geste de secours, la Gamma me saisit le bras et vint se coller juste à côté de moi. C'était devenu habituel entre elle et moi. Il n'y avait absolument rien entre nous et pourtant notre amitié était comme ça. Aengus avait besoin de ça pour se sentir rassurer et moi en retour, j'aimais son caractère, ce petit bout de femme avec une personnalité hors du commun. Une fille comme Aengus, il n'y en a qu'une, pas la peine de chercher ailleurs, elle est unique.  « On parlait de rien. » Je tournais ma tête vers Aengus. « Sympa la robe Aengus. » dis-je ironiquement, je n'en attendais pas moins de sa part. Effectivement, je ne la voyais pas débarquer en robe rose fluo. De ma main libre je posais les deux verres sur la table non loin de moi avant de revenir. J'avais juste envie de partir, autant j'étais d'humeur coquin avant d'arriver, autant là j'étais plutôt de mauvais humeur. Le sourire avait disparu de mon visage, j'étais blasé et limite j'étais à deux doigts de partir. « Je hais cette soirée, c'est officiel. » concluais-je en serrant un peu plus mon bras qui était autour de celui d'Aengus. Entre Marni qui avait disparu, Sheena qui semblait faire la gueule, le jus d'orange et le fait que nous venions à peine d'arriver, je n'allais pas tenir bien longtemps ici.