La pièce me paraissait trop étroite, impression sans doute stupide et seulement présente car je venais de passer quasiment deux ans dans la chambre que j'avais, du moins c'est ce qu'on m'avait raconté, habité chez mes parents depuis ma petite enfance. Peut-être que si on m'avait fait passer de ma petite portion de pièce uniquement meublée d'un lit inconfortable et d'une chaise à l'hôpital à cette chambre d'étudiant, j'aurais moins fait mon difficile car je n'aurais pas put faire de comparaisons. Toujours était-il que je n'avais pas envie de pleurnicher. J'avais mieux à faire que ça. Je me tenais face à mon bureau qui commençait à crouler sous la paperasse. Des notes de cours, des emballages, vestiges de mes grignotages nocturnes et puis mon ordinateur et toutes sortes d'affaires que je n'utilisais pas de la journée la plupart du temps. Je ne pouvais pas me permettre d'être paresseux. Perdre la mémoire et oublier tous vos proches, c'est une chose et c'est déjà insupportable, alors en plus si vous rajoutez des années de solfège parties en fumée, envolées, ça vire au cauchemar. Par chance, je n'étais pas un trop mauvais débutant, il faut dire que ma mère ne m'avait pas lâché, se décarcassant pour que je retrouve mon niveau. Cela m'avait semblé être plutôt facile, mon père aimait dire que j'avais acquis des choses que je ne pourrais jamais perdre, mais au point où j'en étais, je ne doutais plus qu'il était possible de tout perdre. J'avais tout perdu et je n'avais plus qu'à recommencer. Au moins, si je savais que mes pertes étaient lourdes, je ne pouvais pas les identifier. J'avais au moins la chance de ne pas savoir exactement tout ce qui m'avait filé entre les doigts.

Je ne pouvais pas regarder derrière, car quand j'essayais de faire un effort, de faire remonter un souvenir, aussi court et insignifiant soit-il, je me heurtais de plein fouet à un mur. C'était un exercice fatiguant et peu prometteur mais auquel je m'adonnais fréquemment. Je n'avais pas perdu tout espoir quand bien même les chances de retrouver ma mémoire étaient maintenant quasiment inexistantes. Tous mes proches s'acharnaient à me dire de me résoudre à avancer et que les choses s'arrangeraient d'elles-mêmes. J'avais envie de les croire, mais de ce que j'en savais (or, mon savoir était bien limité de mon propre avis) aucun d'eux n'avait vécu de situation similaire à celle dans laquelle je me trouvais. Aucun d'eux n'avait été habité par ce sentiment effrayant de vide. Ce vide m'avait ruiné le moral dès mon réveil à l'hôpital et je prenais sur moi pour le combler chaque jour, tâchant de m'exprimer avec l'aisance et l'assurance que je parvenais à puiser en moi. Je ne pouvais pas vivre dans ma propre ombre, c'était un coup à devenir dingue. J'attrapa les dernières notes griffonnées au stylo de couleur sur une feuille de papier froissée et commença à relire mon écriture. Alors que je tâchais de me concentrer, mon portable vibra à côté de moi. Je m'en saisissais et ouvrit le message reçu quelques instants plus tôt. Il s'agissait de Remy, voulant partir en Espagne et me demandant de l'accompagner. Enfin, demander, c'était peu dire : elle était capable de s'installer sur mon lit tant que je n'aurais pas fini par céder. De toute façon, elle n'allait pas avoir besoin de me tirer hors de ma chambre. Je savais pertinemment que mes parents auraient grimacer à la pensée de me savoir sur un autre continent alors que je peinais encore parfois à retenir son second prénom. Je ne pouvais pas leur en vouloir, l'accident était encore si frais dans la mémoire de tout le monde, y compris la mienne évidemment, mais je ne pouvais pas non plus être surveillé comme un adolescent de quinze ans à l'âge de vingt-quatre ans. Dans une impulsion, je lâchais ma feuille de cours et me dirigea d'un pas vif vers mon armoire. J'en sortis un sac de voyage que je commençais à remplir à la hâte sans trop me poser de questions.

Il était fréquent que Remy décide de m'embarquer dans ses voyages aussi soudains que tentants. Quand bien même ce n'était peut-être pas la meilleure chose à faire pour m'aider à me trouver des marques, je ne refusais que très rarement. (A vrais dire, je n'avais encore jamais refusé.) J'avais besoin de sortir : plus j'agissais, moins je trouvais le temps de réfléchir à ma vie et à ma mémoire perdue et c'était là une très bonne chose. J'agissais alors plus instinctivement, plus naturellement et je me sentais mieux, moi-même. Une fois mon sac fermé, je troquais mon vieux pantalon de pyjama en soie contre un jean et garda le pull que j'avais retrouvé dans ma chambre chez mes parents et qui était confortable sans me donner l'air d'un crétin débraillé pour autant. J'enfilais ensuite une veste laissée à la fin de ma journée de cours et tâta les poches de cette dernière avec mes mains avant de les enfouir directement dedans. Un sourire se dessina sur mon visage alors que mes doigts rencontraient les objets 'essentiels' : un paquet de cigarettes, un briquet, un truc à manger, des cachets pour ma tête. Mes mals de crâne étaient encore fréquents, je ne pouvais pas les ignorer et jouer la carte de la totale inconscience. Je ne savais pas exactement qui j'étais, mais une chose était sûre : je n'étais pas stupide. Aussi, je ne pouvais pas lâcher tout pour un seul voyage en Espagne. Ainsi, je ramassa ma feuille de cours, la plia en quatre et la rangea dans la poche de mon vêtement avec le reste de mon bordel. Je réviserais dans l'avion. Il était préférable de ne pas informer mes parents de quoi que ce soit, ou du moins je le ferais une fois en Espagne ainsi n'auraient-ils plus que le choix de calmer leurs inquiétudes et de me faire un peu confiance.

J'étais plongé dans mes pensées et je fus long à remarquer que la porte s'était ouverte sur Remy. Qu'est-ce que tu veux que je te dise, quand on voyage en compagnie d'une fille qui a tendance à partir au quart de tour et qui choisit son emploi du temps dix minutes avant de le mettre en application, on apprend à faire vite répondis-je à sa remarque, sourire aux lèvres. On se salua avec une étreinte puis je me dégageais doucement, allant rassembler mes dernières affaires puis achevant de m'habiller. D'un mouvement de tête, je la rassurais. Non, rien de bien mieux à faire en perspective lançais-je avec un haussement d'épaules évasif. Et pourquoi l'Espagne sinon ? Qu'est-ce qui t'es encore passé par la tête au juste ? Mes parents m'avaient listés les différents pays que j'avais visité bien que je n'en eue pas le moindre souvenir aujourd'hui. J'avais survolé des albums photos sur lesquelles je m'étais vu, un goût amer en bouche dut à la frustration d'être dépourvu de souvenirs. L'Espagne faisait partie de ces pays et j'allais m'y rendre une nouvelle fois, sauf que si cela ne l'était pas techniquement, ce séjour allait faire office de première fois. Je devais refaire toutes mes premières fois.

Toute une multitude de détails me faisait parfois froncer les sourcils à propos de Remy. Elle n'était pas parfaite, personne ne l'était et parfois, elle m'agaçait assez. Elle pouvait être vraiment exaspérante, carrément têtue et pour moi qui détestais porter le moindre poids, c'était un petit calvaire. Il semblait pourtant plutôt évident qu'elle reflétait là mon propre défaut. Je n'étais pas franchement facile à vivre quand bien même je ne m'estimais pas être un garçon difficile non plus. Je n'étais pas du genre à me faire marcher sur les pieds et il était courant que je me jette droit dans un mur, uniquement guidé par mon instinct souvent, il fallait bien l'admettre, défaillant. J'avais perdu mon flair avec ma mémoire, en supposant que j'en ai un jour eu. Je pouvais être vraiment futé, le genre de garçons qui vous monte des plans incompréhensibles pour qui que ce soit à part eux-mêmes, mais je pouvais aussi me révéler incroyablement stupide et je n'avais pas peur de le reconnaître. Je n'aimais pas réfléchir, car penser me ramenait toujours à des souvenirs irritants. Le poids de certains souvenirs équivalait avec le creux pesant de tous ceux que j'avais oublié. Un déséquilibre franchement exaspérant et qui me pourrissait la vie quand je m'attardais trop là-dessus, oubliant de vivre la vie que j'avais toujours. Même si elle me semblait avoir été profondément gâchée par l'accident, je respirais toujours et ne pouvais pas me continuer de ruminer dans mon coin. Je n'étais pas comme cela, je ne pouvais pas être un pleurnicheur sans arrêt négatif. Ce n'était pas une vie et rien que de m'imaginer totalement désespéré, sans arrêt les joues humides à cause de larmes salées versées par torrent, j'avais envie de me donner une bonne gifle. Ruby était à l'opposé de cette version de moi triste et terne que je ne voulais jamais voir se concrétiser et contre laquelle je luttais en permanence dans un élan impulsif et de plus en plus affaiblit par des déceptions accumulées depuis deux ans. Elle ne semblait jamais se laisser abattre et quand cela se produisait, il m'apparaissait comme plutôt simple de faire renaître un sourire sur son visage. Par-dessus tout, elle m'offrait une chance non considérable : celle de m'évader un peu.

Mon compte en banque me permettait de voyager et ce sans devoir attendre d'être poussé par Remy à le faire, mais je n'étais pas sûr d'avoir la moindre envie de voyager seul. A l'évidence, je vivais mal la solitude et ne parvenais pas à me faire à la perspective d'être seul, ce qui m'apparaissait être un fait assez amusant vu que j'étais également irrité et étouffé par la présence importante de mes parents dans ma vie. J'étais bien trop choyé et la perte de mon petit confort était difficile, alors perdre en plus tout repères en me voyant éloigné de mon entourage, cela n'était pas envisageable pour moi. J'étais dépendant de tout le monde et évidemment, je n'en étais pas fier. Au moins je ne le niais pas, on ne pouvait pas me qualifier de menteur à ce sujet, c'était déjà ça. Vu le bordel qu'il y a dans la mienne, rien ne peut m'effrayer chez toi, crois moi répondis-je avec un haussement d'épaules. C'était vrai et c'était pour cela en partie que j'aimais tant la suivre dans ses voyages aussi soudains que tentants. Faire preuve d'impulsion, ne pas réfléchir. C'était précisément ce que je voulais. Je ne voulais pas me poser des barrières encore et toujours et me terrer peu à peu dans les regrets et l'incompréhension du monde qui m'entoure. Si pour cela, je devais aller de pays en pays et tout faire pour faire de ma vie un voyage sans fin et divertissant, j'étais prêt à le faire et ce avec le sourire. Voyager n'avait rien de déplaisant et Remy n'était pas franchement de mauvaise compagnie, ainsi j'avais tout à gagner à la laisser volontiers m'entraîner dans ses péripéties. J'étais franchement impatient de partir à présent alors que, quelques minutes plus tôt, j'ignorais tout de ce nouveau voyage. Mon impatience grandissait d'instants en instants et je peinais bien à le masquer. Je jouais parfois les grincheux histoire de la retarder, mais au final, je la suivais toujours avec bonne humeur. Je n'étais pas sûr qu'elle soit consciente du bien que me faisait ses voyages et combien la supporter en échange durant quelques jours vingt-quatre heures sur vingt-quatre était dépourvu d'importance. Je voulais simplement partir. Je fus même tenté de laisser mon téléphone dans ma chambre à l'université histoire de ne pas être ennuyé par qui que ce soit, notamment par mes parents que j'imaginais déjà, furieux de me savoir sur un autre continent. Ce n'était pas la première fois et je ne culpabilisais même pas de leur faire de petites frayeurs, bien sûr ce n'était pas très gentil, mais ils cherchaient tellement à me surprotéger et à me guider dans ma vie en permanence que j'estimais bien avoir droit à de petites vacances, loin d'eux.

Mon regard ne se posait pas longtemps, occupé que j'étais à le laisser parcourir la pièce afin de m'assurer de ne pas oublier quoi que ce soit qui puisse venir à me manquer une fois en Espagne. Je n'étais pas très doué pour les valises, encore moins quand j'avais que quelques minutes pour les boucler. Voyager avec Remy était un excellent entraînement pour cela, cette fille quittait le pays en un temps record, sur un coup de tête, une envie de s'envoler un peu dans les airs. Les grands stressés ne pouvaient pas envisager de vivre une telle vie, uniquement guidée par l'instinct et l'envie d'aventure. Personnellement je n'aspirais plus qu'à cela et je me demandais si cela n'avait pas toujours été quelque part en moi comme désir, seulement je n'étais bien sûr pas en mesure de le confirmer. Tant pis, aujourd'hui, ce besoin de vivre sans trop réfléchir était bien présent, confortablement niché en moi. Bonne idée, bonne initiative et tu ne pouvais pas mieux choisir ton moment pour avoir envie de voyager, tourner en rond dans cette chambre, ça me rend barge, il faut que je sorte. Je poussais un petit soupire de satisfaction en achevant de me vêtir à la hâte, me couvrant rapidement et légèrement. Je n'étais pas très frileux, plutôt du genre à me dévêtir au moindre rayon de soleil et à saisir la moindre occasion de faire une petite séance de bronzage. De plus, en brave petit garçon pourri gâté, je détestais avoir à me trimballer des vêtements chauds et encombrants dans les bras. Voyager léger, c'était un concept bien plus pratique pour moi. Je tournais un peu le dos à Remy afin d'aller attraper mon sac que je surélevais un peu dans les airs avant de le jeter sur mon épaule avec une petite grimace que je faisais disparaître en une poignée de secondes, cédant place à un sourire dévoilant mes dents blanches.

Si tu es prête, question plutôt stupide te connaissant, on peut y aller lançais-je en attrapant mes papiers d'identité sur mon bureau. Sans eux, je ne risquais pas d'aller bien loin. N'attendant pas de réponses de Remy pour réagir, mon sac toujours dans les bras, je la contournais pour me retrouver devant ma porte. Je fis tourner la poignée et ouvrit la porte avec humeur. Je me sentais bien voir même carrément enjoué et c'était un sentiment très agréable, trop rare à mon goût. L'idée de prendre de la distance avec mon quotidien me rendait vraiment heureux, toute occasion était bonne de m'éloigner pour une poignée de jours des cours, des villes que je connaissais mieux que ma poche par le passé et dans lesquelles je me perdais aisément à présent, de la multitude de visages qui me souriait sans que je sois capable de mettre un prénom sur eux, de ma famille, de tout. Me retrouver seul, ou du moins avec pour seule compagnie Remy, me permettais plus aisément de me recentrer sur moi-même et c'était sans doute précisément ce dont j'avais besoin : d'un peu de temps pour moi, pour me retrouver, pour apprendre à me connaître et à me reconnaître. Après toi marmonnais-je dans un bref moment de galanterie tout en la poussant gentiment vers la sortie, entourant mon bras autour de sa taille pour mieux la guider vers l'extérieur de la pièce que j'étais bien heureux de quitter pour quelques jours.