⊹ Que le pouvoir des Sigmas soit avec toi!

I'm such a fangirl, it's not even funny. I could faint just by looking at you. You are my role model and I might just be obsessed with you. - WILD HEART

Debout devant une toile immense, je fixais une minuscule tâche de peinture. L'oeuvre était grande, il y avait beaucoup de choses à voir, des tas de couleurs, des tas de formes différentes les unes des autres, c'était un tableau plutôt incroyable et chaque personne qui prenait le temps de l'observer ne voyait pas forcément la même chose que les autres. Pour ceux qui détestent l'art, peut-être bien que cette peinture ne ressemblait à rien. J'entendais déjà dans ma tête des commentaires du style "Oh mais en maternelle je faisais la même chose!" ou encore "C'est juste des gribouillis de peinture, pas de quoi s'extasier!" ou même "Quoi?! Ce truc vaut dix mille dollars?! C'est scandaleux!". Rien que d'y penser j'en rigolais déjà. Personnellement, j'étais venue au musée aujourd'hui spécialement pour voir cette oeuvre. Je connaissais déjà sur le bout des doigts toutes les expositions permanentes du musée d'art de San Francisco, mais je revenais malgré tout plusieurs fois par mois pour voir les expositions temporaires, de toute façon cet endroit me mettait toujours de bonne humeur, même s'il s'agissait de voir et revoir ce que j'avais déjà vu une bonne dizaine de fois. L'art ne m'ennuyait jamais, je n'en avais jamais trop au contraire même. Ce tableau-là j'avais déjà pu le voir à deux ou trois reprises et à chacunes d'elles, j'étais restée perplexe. J'avais l'impression de l'avoir vu sous tout ses angles, je l'avais observé de près, de très près, de très très près, de loin, de très loin, de très très loin, puis je m'étais placée à gauche, à droite, en face, jusqu'à ne plus pouvoir trouver là où me placer pour changer de point de vue. Vraiment, je le connaissais si bien que j'aurais sans doute pu le reproduire très précisément si on me le demandait. J'avais presque l'impression d'en connaitre chaque petits centimètres, chaque goutte de peinture, chaque mélange de couleur, et pourtant voilà que j'étais de retour aujourd'hui pour me concentrer sur une seule et unique petite tâche. Je me demandais si elle avait vraiment été placée là volontairement par l'artiste, et si c'était le cas je me demandais pourquoi il avait choisi de mettre une si petite touche de peinture noire en plein milieu de son tableau. La première fois que j'avais vu cette toile, ça ne m'avait pas frappé mais à présent je n'arrivais pas à penser à autre chose. Mes yeux étaient instantanément attirés par cette goutte de peinture noire, si petite, si infime face à l'immensité de l'oeuvre. Le tableau prenait toute la hauteur du mur de ce côté de la pièce, et en largeur il devait bien faire trois mètres. C'était uniquement des couleurs très pop dessus, du fluo presque mais en son centre on pouvait apercevoir une petite touche de noir et c'était cela qui m'obsédait le plus concernant cette peinture. La nuit dernière, je m'étais imaginée être cette goutte de peinture et en me réveillant ce matin j'avais eu la sensation de comprendre quelque chose. La tâche de peinture perdue sur la grande toile et faisant contraste avec le reste des couleurs, elle me représentait moi. J'étais cette petite chose minuscule, perdue au milieu de l'immensité de cette planète et si je ne me démarquais pas forcément des autres à tous les niveaux, je me sentais quand même vachement différente à l'intérieur. Et ce n'était pas seulement depuis mon arrivée à Berkeley que j'éprouvais un tel sentiment. Toute ma vie j'avais été marginalisée, je n'étais pas comme les autres. Le seul moment où je m'étais retrouvée dans un environnement où je pouvais véritablement me fondre dans la masse remontait à l'époque où j'étais scolarisée dans une école pour surdoués. Seulement, je ne m'y plaisais pas du tout, à croire que j'aimais bien sortir du lot. Depuis le lycée, je suis un peu la bête curieuse, mais avec les années qui passent forcément les choses s'améliorent. Je viens de fêter mes dix sept ans, ce n'est plus si jeune que cela. Enfin si, bien sûr que c'est jeune, mais ce que je veux dire c'est que maintenant je me retrouve avec des étudiants qui ont entre dix huit et vingt cinq ans pour la grande majorité, en ayant dix sept ans, je ne me démarque plus tant que cela. Mon âge commence à ne plus vraiment être un problème même si ça l'est encore un peu. D'ici un an ou deux, ma place à Berkeley sera faite et je n'aurais plus jamais à me sentir à ce point différente. Je suis surdouée, je l'assume, mais je ne peux pas nier qu'à cause de cela je me suis souvent sentie comme cette tâche au milieu de la toile. Avant, penser à ça m'aurait vraiment fait peur, mais aujourd'hui ça ne me faisait plus le même effet. Je me sentais prête à conquérir le monde… ou en tous cas Berkeley. J'avais eu des moments très difficiles durant mes premiers mois mais désormais je savais que les choses aillaient s'arranger. Spring Break m'avait quelque peu remis sur les rails, j'avais pu voir que je possédais de véritables amis autour de moi et cela m'avait redonné le sourire. Bien sûr, les problèmes que j'avais pu avoir auparavant ne s'étaient pas effacés en un claquement de doigts mais maintenant je me sentais prête à leur faire face. Je n'allais plus me laisser marcher dessus, je n'allais plus être nunuche, innocente et naïve, il était temps pour moi de changer et de laisser place à une nouvelle Venia. L'arrivée de Pandora à mes côtés m'aidait aussi à me motiver pour me reprendre en mains. Ma soeur était là et je n'étais plus seule. J'avais des gens sur qui compter, des gens qui m'aimaient et que j'aimais aussi. Finalement, être cette petite tâche ne me gênait plus tant que ça, au contraire… je me sentais presque contente. Je fixais la toile encore une ou deux minutes avant de finalement faire volte face. J'allais encore déambuler quelques instants au musée, de toute façon je n'avais rien d'autre de plus important à faire. Je me sentais vraiment bien, apaisée même. Ça faisait un sacré long moment que je ne m'étais pas sentie aussi confiante et légère. La boule que j'avais dans le ventre depuis des mois s'était réduite considérablement et j'avais l'impression de pouvoir revivre. La Venia joyeuse et amusante que j'étais avant allait pouvoir faire son retour, et quel plaisir que de pouvoir sourire à nouveau tout en étant sincère.

Alors que je marchais de salle d'exposition en salle d'exposition, je ne me concentrais qu'à moitié sur les toiles, il n'y avait pas grand monde autour de moi, et de toute façon j'étais un peu perdue dans mes pensées. A un moment donné, je cru apercevoir un visage que je connaissais plus ou moins. Je m'étais stoppée net pour observer la jeune femme qui se tenait à seulement quelques mètres de moi. Regardant à gauche, puis à droite, et enfin derrière moi, j'affichais un sourire ravie. Décidément aujourd'hui était une bonne journée. Je m'approchais doucement de la jeune femme qui était concentrée sur une sorte de sculpture un peu étrange. "Alexie?" Il me semblait bien avoir reconnu Alexie Hargrove, elle était arrivée à Berkeley dans le cadre de l'échange avec Oxford et dès que j'avais vu son nom sur la liste des correspondants je m'étais mise à sautiller comme une petite folle. Cette fille était bourrée de talent, s'en était presque injuste pour tous les autres peintres de sa génération. J'avoue que j'avais un peu fait ma groupie lorsque j'avais eu l'occasion de la rencontrer pour la première fois. Elle avait dû me prendre pour la plus grosse tarée qu'il soit, ou peut-être s'était-elle contentée de me voir comme une gosse immature. Sur le coup je n'y avais pas trop pensé parce que j'étais trop heureuse de la rencontrer, mais maintenant je m'étais faite à l'idée de la croiser sur le campus et j'avais appris à contrôler mes émotions pour pouvoir me tenir en fille civilisée. Au fond, je mourrais d'envie de lui demander un autographe ou un petit mot pour mes parents qui étaient eux aussi de grands admirateurs d'Alexie. C'est grâce à eux que j'ai connu cette peintre surdouée. L'une de ses oeuvres trône d'ailleurs fièrement sur le mur central de notre salon. C'est l'une des choses que je préfère dans la maison familiale de Santa Fé.

Je lui fis un large sourire. "Je suis Venia, je ne sais pas si tu te souviens de moi? Je… je suis une grande fan." Si j'avais pu m'observer en train de lui dire ça, je me serais sans doute sentie très bête mais pour le coup je m'en fichais un peu. J'avais envie de lui parler et vu qu'elle était seule c'était le moment où jamais d'en profiter. "Je ne veux pas te déranger…" Je portais mon regard sur la sculpture devant laquelle nous nous tenions. "C'est joli." En réalité c'était assez moche et j'avais du mal à voir ce que ça représentait mais bon, elle avait l'air vraiment concentrée dessus et je ne voulais pas la contrarier ou quoi que ce soit. "Ça fait plaisir de voir que je ne suis pas la seule à passer mon temps dans un musée." Je marquais une pause, il ne fallait pas que je me laisse emporter et que je me mette à parler trop et trop vite, je ne voulais pas qu'elle me croit encore plus folle que je ne l'étais vraiment. "En général je ne croise que des Sigmas ici, ou alors on vient en groupe… C'est notre petite sortie du dimanche." plaisantais-je joyeusement. Si elle comptait rester à San Francisco, il fallait à tout prix qu'elle se joigne à notre confrérie, ce n'était pas discutable. Elle y avait sa place, pas de doute là dessus!

⊹ Que le pouvoir des Sigmas soit avec toi!

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Elle se souvenait de moi? Elle se souvenait de moi? Oh mon Dieu! J'imprégnais bien cette phrase et ce moment dans mon esprit pour pouvoir le raconter en détails à ma mère lors de notre prochain coup de fil. Alexie Hargrove se souvenait de moi. J'avais envie de sautiller un peu partout mais je m'efforçais plutôt de me contenir et de simplement afficher un joli sourire enthousiaste. "Désolée de t'avoir fait peur." Je grimaçais légèrement. Je savais bien qu'en l'abordant ainsi je risquais de la surprendre, voire même de la déranger. Cependant, Alexie m'affirmait que ce n'était pas le cas, ce qui me rassura quand même. La dernière chose que je voulais c'était de l'embêter. Je m'étais tournée vers la sculpture devant laquelle elle se tenait, je la trouvais moche mais ne sachant pas son avis sur la question je préférais faire comme si ça me plaisait. Je ne devais pas être très convaincante, de toute façon j'étais une menteuse plutôt mauvaise même si ces derniers mois j'avais eu tout le loisir de m'améliorer. J'ai toujours détesté le mensonge, les secrets, les histoires à deux sous qui ne créent rien d'autre que des conflits, je fuyais ces choses-là comme la peste. Malheureusement pour moi, cette année avait été remplie de tout ceci et sans vraiment le vouloir je m'étais retrouvée mêlée à des histoires incroyablement tordues. Pour la première fois de ma vie, j'étais tenue de garder des secrets assez lourds parfois, et pour éviter les trop nombreuses questions de mes proches, je m'étais mise à mentir à mes parents. Par exemple, depuis ma petite histoire avec Eileen Rosenbach à la plage, notre dispute et notre soirée en garde à vue, je leur avais promis de me rendre chez un psychologue pour parler de mes angoisses, mes problèmes, mes pensées en général et tout ce que je voulais d'autre. Ils voulaient que je me confie à quelqu'un en qui je pourrais avoir totalement confiance. Moi qui étudiais en psychologie, j'aurais dû être ravie et pourtant ce n'était pas le cas. Pas du tout emballée à l'idée de devoir parler avec un inconnu, j'avais séché tous les rendez-vous avec à chaque fois une bonne excuse à donner pour justifier ma non venue. J'avais cependant pris la décision de me reprendre, je n'allais pas avouer toutes mes erreurs de cette année à mes parents, mais je comptais quand même en tirer des leçons et ne plus recommencer à leur raconter des bobards. Je voulais repartir sur de bonnes bases et pour ça, je me devais de me montrer honnête envers eux et ce dès à présent. Quoi qu'il en soit, je complimentais vaguement l'oeuvre devant laquelle nous nous trouvions mais Alexie m'affirma quant à elle qu'elle ne la trouvait pas vraiment jolie mais qu'elle lui faisait penser à quelqu'un. J'étais déjà assez chiante comme cela, je n'allais pas en plus me montrer indiscrète en lui posant d'avantage de question. Je hochais la tête, un sourire toujours accroché à mes lèvres.

Alexie semblait elle aussi ravie de voir quelqu'un du campus se balader par ici. Elle me demandait justement si je venais au musée de manière récurrente. Je souris d'avantage tout en hochant la tête. "En fait… Dire que je viens souvent c'est un euphémisme. Je songe même à prendre un job ici l'année prochaine. Rien de sûr, mais si mon emplois du temps à l'université me le permet ça serait vraiment bien. Je passe déjà tellement de temps ici que ça me changerait pas grand chose en fait." Je rigolais légèrement. Je replaçais une mèche de mes cheveux derrière mon oreille et je faillis défaillir lorsqu'Alexie me dit que je pourrais devenir sa guide. Apparemment elle avait du mal à se repérer dans le musée, à savoir par où commencer tant il y avait des choses à voir et surtout, elle avait peur de rater des choses intéressantes. Soudainement plus timide, je me pinçais la lèvre inférieure. "Oh et bien… Oui! Oui… Si tu as besoin d'aide… N'hésites pas à me demander!" Je pouvais sentir que je commençais à rougir. J'étais vraiment flattée qu'elle me demande ça à moi. Cela dit, si j'avais vraiment à jouer ce rôle devant elle, je n'étais pas sûre de pouvoir tenir debout très longtemps, ou en tous cas je me mettrais sans doute à raconter n'importe quoi au bout de cinq minutes à me soumettre à son regard. À mes yeux, Alexie Hargrove était une star. Même si nous ne pratiquions pas du tout le même art, j'étais quand même fascinée par sa réussite, elle avait un parcours qui devait être un exemple pour nous tous artistes et elle me donnait d'autant plus envie de travailler dur. Ma passion pour le monde du cirque ne s'était pas du tout atténuée cette année, je n'avais pas arrêté mes entrainements, même si malheureusement j'avais parfois un peu mis de côté mon trapèze pour mes livres de psychologie. Cela dit, je ne pouvais jamais rester bien longtemps sur la terre ferme, il arrivait toujours un moment où l'envie de virevolter dans les airs était plus forte que tout. La nuit je rêvais de ma future vie au Cirque du Soleil, voyageant à travers le monde pour les représentations extraordinaires qui feraient rêver petits et grands. Je me voyais déjà en trapéziste super star… Rien que d'y penser je mourrais d'impatience et de détermination également.

Justement, la discussion était en train de se tourner vers nos confréries respectives, je voyais là une occasion en or de lui vanter les mérites des Sigmas. L'air de rien, je pouvais bien nous envoyer quelques fleurs. ll fallait que je me montre subtile, je ne voulais pas non plus qu'elle se sente forcée de quoi que ce soit. Je ne lui mettais pas le couteau sous la gorge, même si clairement, à mes yeux elle n'avait sa place dans aucune autre confrérie que la notre… du moins à condition qu'elle reste à Berkeley évidemment. Rien que ça, ce serait déjà génial! "Oh et bien nous on ne fait que ça! On a vraiment de la chance de tous s'entendre plus ou moins bien, il y a une bonne ambiance générale chez les Sigmas, tu sais?! On fait pas mal de chose ensemble. Et puis même à la maison c'est toujours bruyant entre ceux qui jouent d'un instrument, ceux qui chantent, et les poètes aussi qui testent leurs rimes sur nous… C'est rempli de cerveaux cent pour cent artistiques, tout le temps en ébullition! C'est très inspirant! Tu devrais venir nous rendre visite un de ces jours histoire de voir de quoi je parle. Je suis sûre que certains des peintres que l'on compte dans nos rangs seraient ravis de faire ta connaissance si ce n'est pas déjà fait!" Je faisait preuve d'un enthousiasme sans limite. J'étais déterminée à la convaincre de se joindre à nous. "J'ai entendu dire que certains élèves anglais allaient rester à Berkeley. Je ne sais pas si tu en fais parti mais… Tu devrais songer aux Sigmas. Ce serait un véritable honneur que de te compter parmi nous!" Pour la subtilité, on repassera! Je ne pouvais pas me mordre la langue d'avantage. Tant pis si elle me riait au nez, au moins j'aurais essayé.