Plus longue que jamais, la journée ne faisait que de commencer à mes yeux. Malgré ce que m’avaient dit les médecins, je ne peux m’empêcher de vouloir tout faire : courir, nager, boxer, sauter, tout en une journée. Epuisée, je devais me calmer mais c’était impossible, me dépenser est la seule chose qui me permet de rester calme. Je sais qu’elle est là, quelque part dans cette immense université, en train de vivre une vie paisible sans aucun remord, ayant oublié qui je suis. Tout ce que j’ai, c’est une bête photo de toutes les filles, une photo de groupe, où on est toutes dessus, et où on a toutes l’air unies, connerie. Ici, toutes les filles sont blondes et bien foutus, ce qui rend ma tâche encore plus compliquée que je ne le pensais. Arpentant les couloirs comme une fouine, je reste discrète mais pas trop, je fais parler de moi, mais jamais dans l’excès. Je ne crois pas l’avoir encore vu, car je pense qu’une fois que celle-ci m’aura reconnu, son visage changera vite d’expression et de couleur, avec un peu de chance même, elle tombera dans les pommes : en moins je serais sûre que c’est bel et bien elle. Je sais aussi quelques prénoms, une Cassandra, une Léo ou Léa, peu importe, leurs visages n’ont pas dut bien changer, alors je pense avoir mes chances. Je passe mon temps à scruter le campus, les confréries, les chambres, mais rien. Je sais que j’ai quelqu’un de mon côté, Mavis, un ami à un ancien copain à l’une des filles. Il m’a promis son aide dans mes recherches, mais pour le moment il reste peu convaincant. J’attends, j’apprends à connaître des gens sur le campus qui pourrait m’être utile par la suite, j’essaye de tout savoir pour pouvoir ainsi mieux gouverner après.

Après être allée manger avec deux trois amies à la cafétéria, je décide de faire un petit saut par les toilettes, histoire de me rafraichir. J’entre, personne, tant mieux après tout. Je pose mon sac, je m’étale sur le lavabo et remet à niveau mon pauvre maquillage du matin. Alors que je me rinçais les mains, j’entendis la porte s’ouvrir violemment dans mon dos, par reflexe, je baissai la tête. Mes longs cheveux blonds cachèrent mon visage et sans un bruit je fis un pat de recule. Sans un bruit, je lève doucement la tête, curieuse de voir qui cela pouvait bien être. Peut-être que la fatigue avait pris le dessus sur moi, mais en voyant cette jeune fille, j’eus comme un vertige, je fus déstabilisée. Sa réflexion me perturbait, elle m’intriguait, comme si elle je la connaissais. Bouche bée, je reste planter derrière elle, sans un bruit. Elle se retourna brusquement, me fixant avec de gros yeux horrifiés, comme si elle avait vu un fantôme. Sur le coup, je ne pensai pas que celle-ci pouvait être l’une des filles, mais quand elle se retourna, une vague de parfum circula vers moi, et c’est là que cela me percuta. Son parfum, je le connais, par cœur même car j’avais acheté le même. L’odeur me figea, je ne pouvais plus bouger. Elle aussi était fixée depuis déjà un bon bout de temps. Revenant doucement sur terre, je m’appuie sur la porte derrière moi. Mon souffle devint court et mon cœur s’accéléra. Cassandra, ou Léa, Léo, je n’en sais rien mais je dois savoir. D’un petit souffle, j’ouvris la bouche et cracha quelques mots sans réels sens. « Léa … Cassandra ? » Mon cœur s’arrêta pendant un instant, sa réponse risque de tout bouleverser dans ma vie, et si c’était elle ? L’une d’elles ? J’aurais alors des réponses à toutes ces questions ! Un certain enthousiasme parcourut mon corps, et sans bouger, j’attendais patiemment devant elle.

C’est elle, j’en suis sûre. Alisson, Ali, tout revient si vite et si clairement. En quelques secondes tout mon passé refoulé refit surface, comme un coup de vent, j’en eus des frissons. C’est elle, c’est nous, du moins, c’était nous, les deux complices. Ali, j’étais la seule à la surnommer ainsi, tout le monde gardait Léo, mais je me souviens d’avoir voulu marquer la différence, car elle est différente et notre relation l’était aussi. Peu de temps après son petit Alisson, celle-ci reprit en énonçant mon premier prénom : Catherine. Après l’accident, j’ai décidé de changer mon prénom et de prendre mon second, Poppy, histoire de ne plus jamais entendre cet affreux nom de Catherine qui me donne encore des frissons. Tant de souvenirs sont associés à ce prénom, des bons comme des mauvais, mais les deux ans de coma effacent tous les bons souvenirs d’avant. Quand elle m’appela par mon premier prénom, mes yeux se figèrent, le temps c’était arrêté et je tremblais doucement sans dire un mot. Mon cœur accéléra, et je sentis que le malaise n’était pas loin. Elle me regardait avec de grands yeux verts, aussi perdue que moi, je savais qu’elle était mal. Mal car à mon réveil, je ne la vis pas à mes côtés, personne ne fut là, ni elle, ni Cassandra, personne. Pourtant, mes premiers mots à mon réveil furent pour elles, mes amies, ma bande, ma famille, mais personne ne fut là pour les entendre. Pourquoi n’étaient-elles pas là ? Elle était tout à mes yeux, elle était comme ma famille, je les considérais toutes comme mes sœurs, mais elles, avec une pudeur magistrale, n’eurent même pas le courage et le respect de venir me voir. Je ne pourrais jamais le pardonner, jamais.

Avant l’accident, je n’étais pas une personne très rancunière, mais à présent, je suis devenue quelqu’un de plus froid, de plus méchant et mesquine, je n’hésite plus à me venger ou à faire du mal. Cette rencontre banale dans les toilettes avec Ali, me fit sourire au fond de moi, car je sais que tout vient de commencer, que le jeu a commencé et que c’est moi qui déciderai quand il sera fini. Ma faim de vengeance et de réponse est indescriptible, je veux tout savoir et je veux tout faire, sans aucune pitié. Je sortis peu à peu de mes pensées, toujours figée devant elle, je me mets alors à sourire, un bon vrai sourire. J’allais jouer la carte « faux-cul », comme si de rien n’était, comme si on venait de se retrouver après un lendemain de soirée. « Ali ! Comment tu vas ? Tu es à Berkeley ? Incroyable ! » Plus faux-cul que ça tu meurs, j’en rigolais au fond de moi. Jouer la comédie n’est rien de difficile quand le scénario est bon, et rien que pour ce petit acte, je méritais déjà un oscar. Je m’avançai alors vers l’évier à sa droite et me lava les mains tout en la regardant du coin de l’œil. Elle ne comprenait pas, et j’avais hâte de voir comment celle-ci aller gérer la situation. Sans un bruit, je rinçai mes mains et les sécha doucement, en attendant sa réaction comme un prédateur attend sa proie.

Elle ne sait rien de moi, elle ne sait pas ce que j’ai fait, ce que je suis devenue : elle est naïve. Sans aucune rancœur, je pose mon regard sur elle, comme sur un enfant, car au fond, j’avais mal pour elle. Je ne sais pas si elle est à l’origine de l’accident, ou si elle y a contribué, mais ce qui est sûr, c’est que quelque chose d’étrange s’est passé cette nuit-là, car aucune d’entre-elles n’étaient là à mon réveil, honteuse ou lâcheuses, je le devinerais un jour. Mon souffle est court, et mon cœur bat vite, mais peu importe, je confronte enfin mes démons, ceux de mon passé, ces fantômes qui ont disparu si vite de ma vie. Sur le coup, je ne puis dire laquelle de nous deux se sentit le plus mal à l’aise, et surtout laquelle de nous se posa le plus de question. A en juger sa tête, je peux dire que je me suis bien mieux préparé à cette confrontation qu’elle-même. Je ne sais quasiment rien de cette nuit, de cet accident, je sais juste que j’ai perdu deux ans de ma vie, deux ans des ‘meilleures années de ma vie’. En venant à Berkeley, mon seul et unique but est de découvrir toute la vérité, tout ce qui s’est passé, que tous mes trous de mémoire se comblent et que je puisse enfin totalement tourner la page. La prochaine page sera consacré à ceux qui sont responsables de cet accident, après tout deux ans c’est long, alors je compte bien montrer qui je suis devenue à ces personnes, et qu’elles retiennent une bonne fois pour toute qui je suis et à quel point il ne faut pas me vexer. Celle-ci répondit enfin à ma question, d’une petite voix timide et gênée, la pauvre. Cela faisait à peine quelques mois qu’elle était là, fraiche et fragile, tout ce qu’il me faut. Je sentis alors son angoisse, son incompréhension, dans ses yeux se lisaient la peur et le stress, comme si elle comptait chaque mot qui sortait de sa bouche.

‘Catherine, qu'est-ce qu'il s'est passé ? Durant ces deux années ? J'ai beaucoup de choses à te dire. Si je n'étais pas présente c'était pour une bonne raison mais comment tu vas toi déjà ?’ Catherine, que je haie ce prénom dorénavant, il faut déjà que je mette cela au clair. « Mm, c'est Poppy dorénavant » D’un petit sourire moqueur, je la laissai continuer, l’observant paisiblement et sans aucune émotion. Durant ces deux années ? Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Elle est sérieuse ? Je ne pus m’empêcher de lâcher un petit rire tellement la rancune et l’énervement ma gagner petit à petit. Mordant ma lèvre supérieure, je me retenais de lui arracher les cheveux. Gagnant à nouveau mon calme, elle m’expliqua alors qu’elle avait beaucoup de chose à me dire, et que si elle n’était pas là, c’était pour une bonne raison. Quelle bonne raison est assez puissante pour ne pas venir voir l’une de ses meilleures amies, une de ses sœurs à l’hôpital après deux ans d’absence total. Mon souffle devint lourd et pesant, il fallait que je reste calme mais ses paroles me poussaient à bout petit à petit. Pour finir son petit speech, elle me demanda comment j’allais, ce qui me fit sourire à nouveau. Comment peut-on bien aller après tout cela ? Physiquement je n’ai aucune séquelle de l’accident, aucun problème et je suis restée la même, mais mentalement, tout à changer, rien n’est comme avant, je ne ressens plus rien, plus de pitié, plus de tristesse, personne ne m’intéresse. Bien sûr, je ne pouvais pas lui cracher tout cela d’un coup, alors après une grande bouffée d’air, je décidai de prendre la parole. « Deux ans c’est long tu sais, beaucoup de chose ont changé, et tu t’en rendras vite compte. Sinon, je vais bien, très bien même, et puis ne t’inquiètes pas, maintenant qu’on est toutes les deux à Berkeley, on aura tout le temps de parler de ces deux ans où tu n’étais pas là, où personne n’était là. » Ma voix tournait à la moquerie, on pouvait y sentir une haine profonde, comme une peste, je joue la comédie à merveille. Devant le miroir, je fouillai alors dans mon sac à la recherche de mon rouge à lèvre. Après quelques secondes de recherche, je le trouvai et me le mit délicatement sur mes lèvres, tout en gardant un œil sur la grande blonde derrière moi.