L'âme sœur ? Pour Isaac ce terme était très vague. Pour certain, c'était la personne qui passerait le reste de sa vie avec vous, lié par un apparemment indestructible, en tout cas c'était ce que certains espéraient. Pour d'autres, c'était simplement une façon de mettre un mot sur un rêve, un conte de fée auquel on essai de se raccrocher pour avoir un peu d'espoir. Et pour une autre catégorie de personnes, dont le bel écrivain faisait évidemment partie, cette expression désignait bel et bien quelque chose, mais ils ne voulaient plus en entendre parler. Isaac avait déclaré la guerre à l'amour, ou plutôt l'amour lui avait déclaré la guerre sans aucune possibilité de paix. Pourquoi ? Parce que l'amour lui avait clairement dit qu'il allait le détruire jusqu'à la moelle quand il avait comprit que Calleigh s'injectait des piqûres maudites de liquides dangereux dans les veines et qu'elle aspirait chaque soir quantité de poudre blanche. A ce moment là, l'amour avait décidé de broyer Isaac, de le blesser, le torturer... Mais il ne savait pas pourquoi. C'était un pur hasard qui était plus que mal tombé. Pour une fille que Thea, il n'avait aucune idée de l'étendue des dégâts que l'amour avait pu faire sur elle. Peut-être qu'à force de s'envoyer en l'air avec n'importe quel garçon séduisant, elle s'était créée une carapace qui l'empêchait d'aimer ? Ou d'être abîmée par ses sentiments ? Quand il lui demanda avec virulence si c'était réellement ces à priori-là qu'elle avait sur lui, elle lui répondit assez violemment. « En tout cas tu n'as jamais rien fait pour prouver le contraire. » la belle brune marquait un point, même si l'handicapé ne voulait pas s'y résoudre ni se l'avouer. Il considérait juste qu'elle avait faux sur un point : il s'était relevé même après sa chute périlleuse après les deux morts prématurées de ses proches. Et ça, cela pouvait prouver qu'il n'était pas totalement un pleurnichard idiot et trouillard qui restait à sangloter dans son coin. Sinon à l'heure qu'il était, il aurait déjà choisi la solution la plus facile : boire, ou se jeter d'un pont. C'étaient bien ces choses-là qui pouvaient l'aider à oublier.

« Qu'est-ce que tu attends de moi ? Que je te plaigne ? Que je me mette à pleurer parce que ce pauvre Isaac en a bavé ? Mais tu crois que t'es le seul à avoir une vie de merde ? Je suis loin d'être une fille compréhensive et sensible, mais chacun d'entre nous avons eu des moments difficiles. Et pourtant on ne reste pas à broyer du noir ! » Il ne lui demandait pas d'être compréhensive, il ne lui demandait même pas de prendre son parti, il lui demandait juste d'entendre ce qu'il disait et de le prendre en compte. C'était tout. Encore une fois, dans ces exclamatives hâtives, Thea avait en partie raison sans que le pauvre gars qui se trouvait devant elle veuille humblement l'admettre. « Merde Isaac t'as qu'à te secouer un peu ! » cette phrase eut sur lui l'effet d'une gifle. Il n'avait voulu s'avouer à lui-même qu'il ne mettait pas tout ses efforts dans sa réinsertion dans le monde des vivants et que, quelque part, il restait consciemment à se lamenter sur le fait qu'il était rejeté. Alors qu'il avait sans doute cherché. Mais il avait ses raisons, et bien qu'une part de vérité se cachait entre ces syllabes articulées par la sulfureuse demoiselle, l'ermite n'avait pas totalement tort. Il baissa les yeux sur ses mains tandis que la jeune femme aux Louboutins bruyants rangeait bruyamment sa chaise. « Bon écoute, on perde notre temps là. On est pas du tout sur la même longueur d'ondes. Alors plutot que de continuer à hurler, je vais me barrer. De toute façon j'ai des choses bien plus importantes à faire. » il ne pouvait plus rester là à rien faire tandis qu'elle s'en allait, il avait besoin de dire quelque chose, peut-être de tout lui dire, qui sait ? Il commença d'une voix hésitante. « Je suis arrivé en début d'année à Berkeley. J'y ai peut-être passé dix jours, même pas. » il se dirigeait lentement, presque contre sa volonté vers son sujet sensible, ce point faible qu'il fuyait. « Quelle importance, tu vas me dire, hein ? Le truc c'est que je prenais les escaliers, je venais à pieds, j'entendais les pas qui claquaient sur le sol. » il releva la tête vers elle, plongeant son regard dans ses yeux. Il avait du mal à parler, à formuler ses phrases mais continua tout de même. « Je marchais, Thea. » fit-il,, Isaac avait dans la voix un mélange de tristesse, de nostalgie et de rêverie, comme s'il était en train de s'imaginer courir avec délice. « Et puis là, elle est venue. » reprit-il, comme s'il parlait à lui-même. Il parlait clairement de Calleigh, mais Thea n'en savait rien. « Cette putain de nuit. Et je l'ai prise dans mes bras, j'ai respiré l'odeur de ses cheveux... Jusqu'au moment où... plus rien. » le bel handicapé avait volontairement passé l'accident de voiture, de toute façon, à l'allure où il était parti, il allait devoir lui raconter toute son histoire. Quand il évoquait le plus rien, c'était le noir, le néant, le moment où il était tombé dans le coma après l'accident.