Les liens du sang

Avec Blaithin O'Griffin

Les marches se grimpaient les unes derrières les autres. L’ascension ne l’avait jamais effrayée. Le vide ne l’avait jamais perturbée. Pourtant en remontant ce simple escalier, Sin se sentait réduire. La mâchoire se crispait au fur et à mesure de son avancée. Pourquoi ne pas faire demi-tour alors qu’elle pourrait repartir sans éveiller la moindre curiosité ? Pourquoi se forcer à avancer vers cette porte trop lisse ? Par amour. Sa famille de sang lui manquait cruellement. Les ponts avaient été tranchés à son arrivée à New York. Bien que son cœur n’avait pu retenir l’envie de contacter James ou Edouard O’Malley, elle n’avait jamais réussi à contacter sa cousine. Blaithin tenait pourtant une place primordiale dans son cœur mais la peur avait été plus forte autant de l’appréhension de faire face à la réalité. Nul doute que la jeune homonyme savait parfaitement que Sin avait épousé une femme de deux fois son âge comme pour cumuler les entorses à la normale. Aengus n’avait invité personne de la famille à son mariage, de peur de leur regard et de leur critique. Depuis son départ d’Irlande, elle ne portait plus le nom de Sin mais d’Aengus. Une lubie dirait certains… Une nécessité pour la jeune femme.

Blaithin était l’image de la femme qu’aurait voulu être ‘Gus. Réussir dans l’armée, devenir forte, s’assumer comme femme… toutes ces choses ne seraient jamais à portée de main pour la blonde qui jalousait farouchement sa cousine. Aussi, maintenant qu’elle se retrouvait le nez sur la porte, elle constatait que son rythme cardiaque passait d’un tranquille slow à un morceau de Heavy metal endiablé. Inspirant profondément, elle lissa son jean délavé et trop grand de ses mains moites. Elle ne savait pas si le but demeurait de sécher ses mains ou de réajuster son pantalon. Pourtant, elle replaça son Tshirt Iron Maiden dans lequel elle aurait pu rentrer trois fois. L’une de ses épaules dépassait du col et elle soupira en essayant de l’ajuster avec vigueur. Sa peau trop blanche s’exhibait sans la moindre gêne. Dans une moue navrée, elle réalisa qu’elle aurait dû s’habiller avec plus de prestance. Devant un tel constat, ses mains s’agitèrent nerveusement pour tenter de recoiffer sa tignasse blonde en pagaille. Les doigts s’emmêlèrent dans un paquet de nœuds et elle soupira lassée. A quoi bon ? Elle devrait rentrer ! C’était la pire idée qu’elle avait pu avoir dans sa vie que de venir trainer ici. Sa cousine le faisait exprès…Rien que cette porte semblait être une offense envers ‘Gus.

L’un de ses doigts se décida à venir s’identifier sur la sonnette pour signaler sa présence. A peine le son résonna t il dans l’air que Sin eut la désagréable sensation de redevenir l’enfant qu’elle était auprès de sa cousine. Un profond sentiment d’impuissance vînt cueillir son cœur et elle s’enrageait intérieurement. Ses lèvres tentèrent malgré tout de s’étirer dans un sourire accueillant. Mais son inquiétude ne pouvait passer inaperçue. Chaque plissure de son visage respirait malaise. Elle n’aurait pas du venir. Alors qu’elle n’avait attendu que quelques secondes, elle pivota pour s’en aller. Sa cousine ne devait pas être là s’imaginait-elle pour se rassurer. Et pourtant, se fut bien le bruit de la porte se déverrouillant qui crispa tout son dos. Raide comme un piquet, elle pivota sur elle-même et offrit un sourire Colgate à sa cousine sur le pas de la porte.

« Salut… »

Le regard courut sur le corps de la brune comme pour trouver les marques que le temps avait apposé à Blaithin. Elle avait mûri sans nul doute mais dans un sens positif. De beaux yeux noisette, de longues boucles sombres et une peau lisse… Aux yeux de Sin, elle était parfaite, comme Blanche neige alors qu’elle, elle devait se contenter d’être la sorcière de l’histoire. Le malaise ne l’aidait pas à se présenter ou à ouvrir une conversation correcte et polie. Aussi une voix cassante et froide s’éleva bien malgré elle :

« Je te dérange. »

Elle ne posait pas la question mais énonçait. Ca ne semblait pas l’ennuyer de venir à une heure si matinale de la journée pour déranger sa cousine. D’ailleurs, elle avançait droit devant elle, prête à forcer le passager pour s’inviter chez Blaithin. Elle était contente de la voir et elle ne pouvait cacher son regard brillant d’émoi de revoir sa cousine. Tant pis, elle qui aurait voulu lui faire croire qu’elle n’en éprouvait aucun sentiment, c’était raté.

Les liens du sang

Avec Blaithin O'Griffin

Il était tôt ce matin. Il était trop tôt pour rendre visite à quelqu’un. L’heure n’avait rien d’anodine. Si la blonde semblait parfois légère, un brin impulsive et égoïste, son inconscient travaillait pour elle. Il lui offrait mainte occasion d’éviter ce qu’elle ne voulait pas au fond d’elle-même, ce que sa conscience refusait d’admettre ou les désirs les plus bas auxquels elle ne pouvait faire face. Ainsi, son petit minois se trainait là dans l’espoir d’avoir fait un effort, d’être venue rejoindre sa cousine mais de ne pas l’avoir trouvée. Concilier autant de sentiments en un seul être demandait beaucoup de détour et de réflexion à un esprit. Des jours entiers, des nuits blanches à se décider. Devait-elle venir ? Serait-elle la bienvenue ? Manquait-elle à sa cousine ? La réponse fut toute trouvée. Hypersensible, trop observatrice peut être ou encore extrêmement soumise au jugement d’autrui, et plus particulièrement à celui de Blaithin, Sin remarqua au premier coup d’œil la méfiance et le peu d’enthousiasme que ressentait la brune face à sa venue. Un court instant, la blonde se demanda si elle avait des canines qui lui avaient poussées à l’instant ou si elle avait toujours provoqué ce rejet.

Blessée dans son orgueil, Sin offrit un sourire adorable à l’ainée. Qu’importe ce que l’on pouvait en dire, elle avait toujours prit grand soin d’aimer les siens. Sa façon de montrer et de signaler son affection revêtait quelques singularités. Néanmoins, les proches finissaient soit par se lasser, soit par s’habituer et au mieux s’adapter. La dernière catégorie demeurait la plus rare, bien entendu.

Un pas la poussa à l’intérieur, sans réellement attendre d’invitation de la part de la brune. Aengus était assez sensible pour avoir remarqué le peu d’envie de sa cousine de la faire entrer. Son chat l’avait d’ailleurs mieux fait comprendre que n’importe qui. Il était hors de question de rester sur le pas de la porte comme une inconnue ou un parasite. Son égo ne le supporterait pas. Déjà au bas de l’échelle, son estime d’elle-même n’aurait plus eut qu’à se terrer mille pieds sous terre. Dans un rire, elle désigna le chat du menton. Sa voix enjouée et amusée se laissa entendre sans difficulté, raclant son anglais de son illustre accent Irlandais.

« Sympa ta bête. A quelques ressemblance physique prêt, on dirait presque qu’il porte les mêmes gênes que le reste de la famille. »

Une boutade comme une autre, prête à détendre un peu l’atmosphère lourde pesant sur leurs épaules. Blaithin avait fait l’effort de l’appeler Aengus et la blondinette en sourit, touchée par cette délicate attention. La majorité des membres de la famille ne s’était fait à son changement de prénom et continuait de l’appeler Sin. Tout n’avait que peu d’importance. Sin ne voyait plus sa famille depuis de nombreuses années à présent. Une correspondance s’entretenait avec son frère le plus âgé, engagé au front, en Irak.

Mais Blaithin était peut être plus renseignée qu’elle concernant la famille. Si elle retournait au pays, elle aurait l’occasion de voir le reste des O’Griffin. Dans un pincement au cœur, la blonde réalisa que ses parents ne l’avaient jamais invitée et que à ses quelques timides notes ou cartes postales avaient toujours été qu’à sens unique. Quelle importance se demanda ‘Gus ! De toute façon, la fin du monde balayera tout sur son passage dans peu de temps. Mais, pour l’instant, il n’y avait que le regard de ‘Gus qui balayait la pièce pour mieux l’admirer. Sa jalousie, jusqu’alors endormie, s’étira dans les plus sombres recoins de son être. La bête sortait ses griffes luisantes pour mieux les planter dans son cœur. La griffure crissait telle des ongles sur un tableau noir. Pourtant, son regard ne faisait que briller d’une certaine admiration et curiosité. Rien de méchant en somme. Elle fut tirée de sa rêverie par la voix de sa cousine. Ce qu’elle voulait ? Pardon ? Blaithin voulait probablement en arriver au fait, que Sin ne tourne pas autour du pot durant des heures. Décidément, elle n’avait pas l’air d’avoir envie de prolonger ce qui semblait être une visite du démon pour elle. Mais le sourire de ‘Gus s’élargit à la suite. Elle lui proposait par politesse un café ou un thé…Deux trucs à ne pas lui donner si on la connaissait un peu. La caféine autant que la théine étaient de véritables drogues. Elles poussaient son cœur à battre un rythme fou avant de s’arrêter brutalement pour la pousser dans un sommeil profond.

Mais la jeune femme ne pu retenir un rire amusé à la dernière remarque de Blaithin. En réalité, ‘Gus ne passait jamais ou peu… Ses heures lui importaient peu et Blaithin n’avait pas eu à supporter ses visites depuis bien longtemps.

« Merci, j’ai déjà petit déjeuné. » Menti la jeune étudiante sans se formaliser à son mensonge. « Tu amène ton chat au Pays ou tu as besoin de quelqu’un pour le nourrir ? » poursuivit-elle tranquillement, comme une façon de proposer son aide.

Le regard coula sur la bestiole toujours aussi antipathique aux yeux de la blonde. Cependant, elle ne pouvait laisser un animal crever de faim. Dans le fond, elle se doutait que Blaithin n’avait pas attendu après sa proposition pour prendre les choses en main et prévoir le bien être de l’animal pendant son voyage.

« Que vas-tu faire là bas ? » S’enquerra t elle.

Les liens du sang

Avec Blaithin O'Griffin

‘Gus sentait bien qu’elle n’arriverait à rien. La méfiance de sa cousine se sentait à plein nez. Sans bien savoir d’où toute cette attention étrange pouvait émaner, ‘Gus mit cette tension sur le compte du dérangement. Son envie de casser les pieds de sa cousine la poussèrent à désirer rester et réclamer un café. Cependant, Aengus espérait avoir assez de bons points auprès de Blaithin pour l’attirer à elle. Vous savez, lorsqu’une personne brille de milles feux, vous la désirez pour vous et vous seul afin que sa lumière vous illumine aussi un peu. C’était égoïste mais jamais ‘Gus n’avait pensé un jour être autre chose qu’une égoïste. La blonde ria de la petite blague de Blaithin, plus par politesse que par réelle amusement.

Un coup d’œil fut jeté au chat alors qu’elle soupirait à la deuxième annonce de Blaithin. L’Irlande devrait attendre encore un peu avant de pouvoir accueillir de nouveau les pas de ‘Gus. Bien sûr Dublin lui manquait mais Shannon plus encore. Sa famille avait pour habitude de s’y rendre pour les vacances et les montagnes verdoyantes manquaient souvent à Aengus.

« Je devrais te laisser préparer ta valise. De toute façon, Erwan raffole des repas de famille alors c’est certain, on se recroisera bien vite. »

Erwan était le fils ainé de sa branche. Il avait été au combat deux ans en Afghanistan et un en Irak. Il était revenu ici il y avait de cela six mois. Une bombe artisanale avait explosé durant l’une de ses missions, tuant une dizaine de ses camarades et le laissant avec de très profondes cicatrices sur le mollet gauche et une bonne partie de son audition et deux orteils de perdus. Il n’était plus apte au combat et profitait pour le moment d’un repos bien mérité. Boiteux et probablement marqué à vie, il n’avait plus beaucoup de chance de parvenir à obtenir un métier correct. Il avait donc postulé pour une pension en tant qu’ancien combattant auprès de l’Etat. Les démarches administratives étaient longues et les frais médicaux coûteux. ‘Gus avait donc décidé de squatter chez lui, en toute logique.

« Je vais aller acheter un café pour Erwan, comme ca, je lui ferais un petit déjeuné surprise. »

Elle pivota vers la porte pour mieux dégager le plancher. Le regard se baladait toujours autour d’elle pour mieux admirer les lieux. C’était juste magnifique et immense, bien loin de l’appartement qu’elle avait réussi à obtenir pour elle et son frère.

« Bon voyage en tout cas, passe le bonjour à tout le monde. »

Certes, elle avait envie d’avoir des nouvelles de ses parents. C’était une partie d’elle après tout et cela malgré toutes les disputes qu’ils avaient pu avoir.