Kendall & Serena

« Big girls do cry sometimes »

Revenir en cours après tout ce qui m’était arrivé ces derniers mois ne fut pas une chose facile. Tout d’abord se posait le problème des lieux. Revenir sur le campus de Berkeley me rappelait à présent beaucoup de mauvais souvenirs : la fusillade, et le déclenchement de mon accouchement, et puis les cris et les pleurs de ceux qui étaient présents ce soir là. Toutes ces choses qui revivent dans ma tête lorsque je passe trop près de là où tout s’est passé. Je ne sais pas si je serais indéfiniment incapable de m’y rendre, je pense en fait que d’ici quelque temps je pourrais remettre les pieds sur les lieux du drame, mais pour l’instant je ne peux pas et j’évite cet endroit du campus. Il y a ensuite la difficulté à laissé Noah et Ryder à l’hôpital. Si je le pouvais je voudrais pouvoir rester à leurs côtés vingt quatre heures sur vingt quatre, malheureusement ce n’est pas possible. Dieu merci, je sais que les médecins et les infirmières prennent bien soins de mes deux hommes et qu’ils ne risquent rien. En tous cas c’est ce que je me dis pour m’aider à venir en cours. D’ailleurs depuis que je suis de retour à l’université j’ai décidé de reprendre mes études de médecine. C’est un gros chamboulement pour moi puisque j’en avais presque fini avec mes quatre années en Art du film, mais je sais que ma décision de revenir à la médecine est la bonne. C’est ce que je devais faire. Même si être médecin n’a jamais été ma première vocation, j’étais tout de même douée lorsque j’étudiais à Columbia et mes professeurs de l’époque disaient même que j’avais un gros potentiel. Tout le monde croit qu’il s’agit d’un coup de tête, une folie passagère peut-être, parce qu’après tout j’ai toujours tellement aimé le cinéma qu’il semble impensable que je puisse abandonner mes rêves d’actrice et scénariste. Mais j’ai un fils maintenant, et Ryder n’est pour le moment pas dans la capacité de m’aider financièrement et comme je ne sais pas trop combien de temps tout cela va durer, je dois penser à l’avenir et à ce qu’il y a de mieux pour Noah. C’est lui qui m’importe plus que tout désormais. Dans quelques semaines il sera assez fort pour sortir de couveuse et enfin je pourrais le ramener à la maison avec moi. J’ai tellement hâte de pouvoir le prendre dans mes bras, de pouvoir le serrer tout contre moi… J’en pleure rien que d’y penser. Il est tellement beau et c’est un battant, comme son père ! Il est encore si petit et pourtant si fort. Je suis impressionnée par sa capacité à s’accrocher à la vie. A sa naissance, rien n’était gagné d’avance. Il ne pesait pas très lourd et n’était pas bien grand, mais les jours et les semaines passent et il grandit et prend du poil de la bête à vue d’œil. Je suis tellement fière d’être sa maman. Être séparée de lui me déchire le cœur, mais bientôt tout ceci sera fini et nous serons enfin réunis. Quand à Ryder, les médecins ne savent plus vraiment quoi me dire, ils disent de garder espoir mais de ne pas trop me faire d’illusions non plus. C’est tellement dur de le voir comme ça, allongé et endormi à longueur de journée, sans savoir quand il se réveillera. J’essaye de rester positive et de ne pas perdre espoir mais ce n’est pas facile tous les jours. Seulement c’est la pensée qu’un jour il se réveillera et tout sera parfait à nouveau qui me motive à me lever le matin et à continuer de vivre. Sans ça, je crois que je ne ferais plus rien de mes journées. Ryder est l’homme de ma vie et je ne peux pas vivre sans lui, je ne peux pas non plus accepter que la vie me le reprenne de cette manière, c’est trop injuste… Et puis Noah doit connaitre son père. Il le doit !

C’est avec toutes ces pensées dans la tête que je pénètre dans les toilettes pour filles. La matinée n’a pas été de tout repos et je suis exténuée. J’ai besoin de me rafraichir un peu le visage et peut être de me refaire une légère beauté. Je ne me maquille plus que pour une seule raison, je ne veux pas que les gens me prennent en pitié. Je sais que pleins de monde est courant de mon histoire et de ce que je traverse en ce moment, j’ai déjà reçu pas mal de marques de sympathie et des petites attentions, mais je refuse qu’en voyant ma tête au teint blafard et aux yeux bouffis, ils me plaignent encore plus qu’ils ne le font déjà. Je ne peux pas supporter que quelqu’un affiche un visage triste en me regardant parce que ça me ferait m’effondrer, c’est certain. Je peux à peine supporter ma propre tristesse alors celle des autres ce n’est même pas la peine. Alors j’affiche un maquillage parfait, mon teint est frais et coloré, mes yeux ont revêtis leurs plus beaux fards à paupières, mes cils sont plus longs qu’ils ne l’ont jamais été et mes joues roses et mes lèvres brillantes respirent la fraicheur et la joie de vivre. Même si tout le monde se doute qu’il s’agit d’un masque, même si moi-même je sais que tout ce maquillage ne peut pas vraiment changer quoi que ce soit à mon état psychologique, ça m’aide à avancer. Après un rapide passage aux toilettes, je m’avance vers le miroir et me fixe lentement, de haut en bas. Je m’observe attentivement, comme si j’essayais de trouver quelque chose de changé. Je me sens tellement différente à l’intérieur que j’ai du mal à comprendre comment je peux être restée tout à fait la même à l’extérieur… Enfin mis à part ma nouvelle couleur de cheveux, mais ça c’était ma faute, je l’avais volontairement fait, rien d’autre n’avait naturellement changé en moi, rien de physique en tous cas. Je me lave les mains lorsque la porte s’ouvre et qu’arrive une fille que je connais déjà. Serena Parker-Harrows. Elle avait vraiment le visage d’une garce de première. En réalité à part son prénom je ne la connaissais pas tant que ça mais depuis la fusillade j’avais entendu parlé d’elle à plusieurs reprises et quelque chose me dit que je n’allais probablement pas l’apprécier.

Kendall & Serena

« Big girls do cry sometimes »

Lorsque j’entends les mots de Serena, j’ai l’impression de rêver. Pendant plusieurs longues secondes je reste figée comme si j’étais en train d’halluciner ou quelque chose de ce genre. Oui, ça doit être cela parce que personne ne peut-être à ce point sans cœur. Je veux dire par là que cette fille a tout à fait le droit de ne pas me demander si je vais bien, elle a le droit de ne pas me regarder avec pitié, ou encore de se sentir désolée à mon égard, à vrai j’estime même qu’elle peut ne pas ressentir de compassion pour toutes les personnes touchées de près ou de loin par la fusillade, encore très présente dans les esprits de tous. Mais si elle a le droit de faire tout cela, il me semble qu’il serait plus correct qu’elle le fasse en silence. Parce que si elle peut ne pas se sentir concernée par cette tragédie, elle devrait tout de même respecter les gens qui l’entourent et qui souffrent. Et puis d’ailleurs, je ne trouve pas cela très fin de me parler de ma «tête d’enterrement» en sachant que des gens sont morts, d’autant plus que moi-même j’ai deux personnes à qui je tiens plus qu’à ma propre vie, qui se battent pour continuer de respirer. Honnêtement après sa remarque j’hésite entre lui sauter dessus pour l’étrangler ou quelque chose dans ce style, et partir en courant. Franchement à bien y réfléchir, je n’ai ni la force de me disputer, ni l’envie de courir, je préférerais simplement qu’elle me laisse tranquille. Visiblement elle ne semble pas prête à la faire, car à peine ai-je décidé de l’ignorer que Serena recommence à se montrer désagréable. Il est clair que cette fille n’a aucun savoir vivre. Je ne sais pas comment on devient ce genre de personne, oui parce que clairement personne ne peut être né en détestant le monde tout entier. J’ai toujours pensé que les gens méchants l’étaient parce qu’ils avaient souvent trop soufferts, et peut-être est-ce le cas pour elle. A ce stade je ne faisais que supposer, je n’avais aucune envie d’essayer de la comprendre, ni de l’aider, elle voulait être méchante et était plutôt douée pour alors à quoi bon essayer de la faire changer ou de découvrir ce qui se cache sous tant de colère. Je préférais rester passive et ne pas réagir à ses attaques de la manière qu’elle attendait que je le fasse. Je pris une profonde inspiration et me tourna à nouveau vers le miroir, je l’avais assez regardé comme cela. «Tu sais je ne sais pas pourquoi tu me parles, mais sache que tu n’es en rien obligée de le faire, je ne t’ai rien demandé alors si tu veux aller cracher ton venin ailleurs et sur quelqu’un d’autre, ce sera avec plaisir…». J’avais dit cela sur un ton tout à fait banale, comme si je lui disais qu’il faisait un temps plutôt pas mal dehors. Je n’avais aucune envie de lui faire le plaisir de m’énerver ou pire encore, de me mettre à pleurer et pourtant Dieu sait que j’en aurais envie. Pour tout dire j’ai envie de pleurer à longueur de temps, si je ne me retenais pas je pleurerais sans cesse jusqu’à ce que je me vide de toutes les larmes de mon corps, enfin si c’est vraiment possible.

J’ouvris un robinet et pris un peu d’eau dans mes mains avant de les porter à mon visage. Mes joues étaient brûlante, pourtant je n’avais pas vraiment chaud. Je sentais que Serena était encore là, dans mon dos, comme si elle attendait de me voir collapser, mais je ne voulais pas lui faire ce plaisir. J’avais la désagréable impression que mes pensées résonnaient à travers toute la pièce et qu’elle-même savait ce que j’étais en train de me dire. Alors, je ne sais pas trop pourquoi, mais je me suis retournée à nouveau et une fois de plus je l’ai fixée, sauf que cette fois je n’ai pas pu me taire et toujours de manière calme je lui ai dit: «Tu sais, je crois que tu ne comprends absolument pas ce qui se passe… Tous ces gens qui pleurent et qui ont des têtes d’enterrement comme tu le dis si bien, figure toi que certains d’entre eux ont perdus des amis, des frères ou des sœurs, des camarades de classe, des gens qu’ils côtoyaient tous les jours, des gens à qui ils tenaient… Alors peut-être que pour toi c’est impossible de comprendre leur douleur, ou la mienne, mais avant de parler et de nous juger je trouve que ça serait bien que tu tournes ta langue sept fois dans ta bouche histoire de ne pas te donner l’air trop bête. Et puis d’ailleurs, si je peux me permettre, tu devrais apprendre le mot respect, je crois que ça ne pourrait pas te faire de mal.»

Kendall & Serena

« Big girls do cry sometimes »

Le plaisir ? En effet, Serena avait raison, ces derniers temps j’avais du mal à en ressentir, mais j’y arrivais tout de même, à chaque fois que je voyais Noah je sentais mon cœur se remplir d’amour et presque même de joie. J’avoue me sentir un peu honteuse d’être heureuse lorsque je suis avec lui, parce que je sais que normalement Ryder devrait être à mes côtés, à nos côtés, mais malgré tout Noah a besoin de toutes les bonnes ondes possibles alors je me dis qu’être heureuse et avoir plaisir à être avec lui, sont des choses qui lui sont bénéfiques, même si l’instant qui suit ma visite à mon fils, je ressors le cœur lourd de penser que Ryder ne connaitra peut-être jamais notre enfant. Noah me procure des moments de plaisir, certes très courts mais tout de même très intense. Si seulement la Bêta en face de moi savait de quoi elle parlait… Mais rien ne semble l’arrêter, je me demande jusqu’où elle pourrait aller, dans ses paroles ou dans ses actes, juste par simple méchanceté. Quoi qu’au fond il me semble qu’elle est plus du genre grande gueule et qu’au final elle ne doit pas souvent passer à l’action. Mais peut-être que je me trompe. Quoiqu’il en soit, lorsque les mots qui suivent sortent de sa bouche je me fige sur place. Sans prévenir, venant de nulle part, Serena s’emporte et me balance tout son passé à la figure. Pendant un court instant je crois que je vais m’évanouir, et puis finalement rien ne se passe. Je l’écoute et je n’en crois pas mes oreilles. Si elle est colère contre toutes les personnes tristes en ce moment, c’est parce qu’elle-même souffre. Elle n’a pas les mêmes raisons mais elle en a des bétons tout de même et qui mieux que moi peut comprendre de quoi elle parle. Soudain je suis frappée par le nombre de point commun que nous avons, enfin en quelque sorte… Elle a perdu un mari, donc elle était mariée, première nouvelle. Et qui plus est, un mari militaire, ou du moins je le suppose vu qu’il est mort à la guerre. Une idée me traverse l’esprit, peut-être est-elle au courant de toute ma situation et peut-être est-elle en ce moment même en train de me jouer un mauvais, peut-être que tout ceci est une grosse blague ayant pour but de me faire craquer. Mais je balaye mes soupçons rapidement lorsque je vois le regard dans ses yeux brillants. Le grand méchant loup a donc bel et bien un cœur. Un cœur visiblement brisé par les coups du sort. Une grande tristesse s’empare de moi, je ne sais pas pourquoi je me montre compatissante envers cette fille qui n’a eu aucune pitié pour moi, mais peut-être est-ce parce que je la comprends, peut-être aussi parce que maintenant je sais que sa méchanceté vient de quelque chose de bien plus profond et encré en elle-même. Lorsqu’on souffre, on a tendance à vouloir se faire du mal encore plus, ou à vouloir en faire aux autres. Ce n’est pas une excuse mais disons que c’est compréhensible. Moi-même, depuis que Ryder est dans le coma, j’ai déjà ressenti l’envie d’envoyer bouler plus d’une personne. Les gentillesses et les petites attentions peuvent parfois devenir irritantes. Et comme Serena j’ai moi aussi eu du mal à supporter la peine des autres sachant que moi-même je suis en peine, mais elle et moi ne sommes pas faites pareil. J’ai plus de patience et de compassion envers les autres qu’elle n’en a. Je suis prête à accepter de voir les autres souffrir, même si ça me tue parce que c’est déjà bien assez dur de supporter ma propre douleur. Je n’oblige personne a être gentil et à faire attention à moi, tout comme personne ne m’oblige à être attentionnée pour eux, mais nous nous aidons et nous soutenons les uns les autres parce qu’au fond souffrir seul c’est horrible aussi. Je trouve parfois du réconfort à l’idée de ne pas être la seule à subir les coups injustes et révoltants que le sort nous a donné. Je ne savais pas trop comment m’y prendre vis-à-vis de Serena. Mais ma douleur au cœur se fit plus forte et lorsque je pris la parole je ne pu m’empêcher de parler avec une voix brisée. «Je ne savais pas pour ton mari… C’est triste, vraiment triste. Mais crois moi, si les gens savaient je suis sûre qu’ils ne resteraient pas indifférents. Moi en tous cas, contrairement à ce que tu peux croire, je te comprends. Je te comprends même très bien.» Je pris une profonde inspiration, j’hésitais entre poursuivre mon discours ou bien m’arrêter là, ne pas en dire plus et ne pas partager ma vie avec elle. Mais peut-être qu’en sachant qu’elle n’était pas la seule à subir d’aussi grande perte, elle verrait que j’étais sincère. « Moi aussi je suis mariée et… mon mari est militaire. Mon père aussi était militaire, j’ai toujours vécu avec la trouille au ventre d’un jour perdre un être cher au combat. Ce n’est jamais arrivé mais j’ai connu des familles qui l’avaient vécues et je sais que ce n’est pas facile… Mon mari est tout ce que j’ai, et je ne sais pas ce que je ferais si je devais le perdre… définitivement.» Cette fois ma voix se mit à trembler et je ne pu retenir mes larmes. Contrairement à Serena, je n’essayais même pas de les cacher. « Mon mari est dans le coma depuis le soir de la fusillade. Il… est était en chemin pour se rendre à l’hôpital… pendant que moi je donnais naissance à notre fils. Et maintenant… ils sont tous les deux à l’hôpital. Mon fils va mieux mais il a faillit mourir et il n’est toujours pas entièrement sorti d’affaire. Mon mari n’a pas bougé un doigt depuis deux mois et je me retrouve complètement seule avec l’incertitude de ce qui se passera demain. On vit tous des trucs difficiles, toi plus que n’importe qui devrait comprendre ça… On ne réagit pas tous de la même manière tu vois, certaines personnes comme toi vont tout intérioriser, quand d’autres personnes comme moi, ne saurons pas retenir leurs émotions… C’est tout.»

Kendall & Serena

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Serena changea du tout au tout après ma révélation. Elle révélait une part d’elle que je n’aurais pas soupçonnée … Jusqu’à présent elle m’était apparue comme une fille forte, froide et distante, avec moi en tous cas, et pas très sympathique. Mais comme elle le disait, nous avions plus de points communs qu’on ne le pensait et cela me surpris au moins autant qu’elle. Les choses difficiles qu’elle avait vécu dans le passé ne pouvait pas lui servir d’excuse pour son comportement exécrable à mon égard, mais disons que ça pouvait en parti l’expliquer. Quelque part en s’ouvrant à moi, elle me permettait de me sentir plus proche d’elle, enfin ce n’est pour cela qu’on devait devenir copine, au contraire, mais au moins j’arrivais un peu mieux à la comprendre et à la cerner. Son discours me fit réagir. Elle avait raison sur le fait que passer notre vie à pleurer ceux qui nous ont quittés est plutôt révoltant. Surtout lorsque les disparus sont morts de façon tragique et soudaine alors qu’ils étaient à peine en train d’entamer leur vie. J’avais envie de penser de cette manière là moi aussi, mais Ryder n’était pas mort, il était encore bel et bien en vie alors qu’étais-je supposée faire à présent ? Continuer de vivre malgré tout ou mettre ma vie en pause jusqu’à son réveil, si réveil il y a… ? Une partie de moi avait envie de célébrer la vie, la naissance de mon fils, bientôt j’allais pouvoir le ramener avec moi à la maison et il allait enfin pouvoir vivre une vie normale. Mais l’autre part de moi, la femme amoureuse, ne pouvait se résoudre à laisser l’homme qu’elle aime de côté. Ryder peut rester dans cet état végétatif durant des années, ou bien il peut se réveiller demain et reprendre sa vie. Mais il peut aussi mourir… Je ne sais pas ce que je suis censée faire. Je ne veux pas le perdre, je l’aime tant. Je n’ai jamais envisagé ma vie sans lui depuis que nous sortons ensemble. Il est mon meilleur ami depuis l’époque du lycée, c’est le seul et unique garçon que je n’ai jamais aimé et aujourd’hui je me retrouve dans la pire des situations. L’attendre et prendre le risque de manquer quelque chose dans ma vie, ou continuer à vivre et prendre le risque de le perdre s’il se réveille un jour. Je ne peux pas me résoudre à prendre une décision. Je ne suis pas capable de faire ce choix et je ne me vois pas un jour être capable de le faire. Je me sens comme condamnée à attendre que quelque chose se passe. J’appréhende son réveil, j’appréhende sa mort. Je sais que rien ne sera jamais plus pareil, si Ryder émerge de son coma, il risque d’avoir de graves séquelles mentales et physiques. Il ne sera jamais plus l’homme que j’ai aimé. Et j’ai tellement peur qu’il ne le supporte pas lui non plus. Je sais qu’il ne pourra jamais vivre dans un fauteuil roulant, ou incapable de s’exprimer correctement ou encore incapable de se débrouiller seul pour les choses de la vie courante. La mort serait une libération à ses yeux. Mais à côté de ça, il y a tout de même une infime chance pour qu’il se réveille en bonne santé. Pour cette infime chance, je ne veux pas qu’il meurt. Je vis avec l’espoir que cette chance sur un million soit notre chance. Je prie tous les jours pour que Noah grandisse avec son père. Et j’ai tellement peur.

Serena s’excusa et me demanda ensuite si je la trouvais dure. «Non. Je crois que je te comprends moi aussi. Parfois avoir des gens qui pleurent avec moi juste pour me prouver leur soutient, ça me fait du bien… Et parfois ça m’exaspère. J’ai envie de leur crier à tous qu’eux ne savent pas ce que je vis et qu’ils n’ont pas le droit d’être malheureux ou de pleurer parce qu’ils n’ont aucune idée de ce que je peux éprouver… Le pire ce sont ceux qui disent qu’ils comprennent. Ils ne comprennent rien. C’est terrible. Honnêtement, c’est peut-être dur, mais je crois que quelques fois nous avons bien le droit d’être en colère. Leur chagrin ne nous semble pas légitime parce qu’ils n’ont perdu personne, tandis que nous, nous souffrons comme pas permis. Je te comprends. C’est tout.» Les yeux inondés, j’utilisais la manche de mon sweat-shirt pour me les essuyer. La dernière phrase qui sorti de la bouche de mon interlocutrice m’acheva. Imaginer Ryder sur une table à la morgue me donna des frissons. Je ne sais pas comment Serena a pu survivre à tout cela… «Ca a dû être très dur pour toi aussi. En te voyant je n’aurais jamais pu y croire mais maintenant que je le sais, moi aussi je te vois différemment. Ne t’inquiète pas… je ne dirais rien à personne.» Je marquais une pause avant de reprendre. «Tu vas me trouver horrible, mais je me dis que quelque part ça aurait été plus simple si Ryder était mort dans l’accident. Maintenant, s’il se réveille il sera sans doute diminué physiquement et mentalement et ça je sais d’avance qu’il ne pourra pas le supporter. Il était au plus haut de sa forme. Un militaire de vingt cinq ans à qui tout souriait… Il ne pourra jamais vivre cloué dans une chaise. Je le sais. Je ne veux pas le voir souffrir. C’est pour ça qu’une part de moi voudrait qu’il ne se réveille pas. Mais en même temps s’il ne se réveille pas ou s’il meurt, c’est moi et mon fils qui allons souffrir… J’aimerais juste pouvoir me réveiller de ce cauchemar. Oublier que tout ça est arrivé. Oublier tout.»